
La Chronique de Kemadjou Njanke Marcel
Demandez à n’importe quel enfant du CM2 de vous dire ce que signifient les mots lordose, cyphose et scoliose… il vous le dira avec une voix monocorde mais si affirmée que vous aurez envie de vous inscrire dans un cours de chant. Demandez-lui de vous donner les causes et les conséquences de ces incommodités et il vous le dira avec un tel triomphe dans la diction que vous aurez envie de danser. Mais tout s’arrête-là, malheureusement, à l’issue du concours d’entrée en 6ème et de ce certificat qu’on appelle le CEP ; surtout que les vacances avec leurs lots de distractions incohérentes et ridicules viendront achever le travail de savonnage de la mémoire.
Il suffit de voir comment les enseignants se tiennent eux-mêmes sur leurs chaises et se fatiguent quand ils sont debout ou alors comment les médecins recroquevillés dans leurs fauteuils luxueux vomissent des examens de laboratoire et des prescriptions mécaniques pour comprendre à quel point le culte du diplôme et de la recherche d’emploi a permis de laisser à la poubelle l’attachement aux connaissances pratiques. Car ces déformations de la colonne vertébrale devraient faire partie des répétitions générales quotidiennes.
En réalité il s’agit d’un problème culturel. Les parents d’aujourd’hui ont complètement laissé de côté l’éducation par l’exemple et nos chercheurs sont tellement préoccupés par les soucis méthodologiques qu’ils ne donnent de l’importance qu’aux mots ayant pour préfixe ethno et pour radical logos.
Il aurait simplement suffit d’observer ce que le passé nous a légué pour faire en sorte que le médecin ne soit plus seulement un prescripteur de pilules contre la douleur.
Nos ancêtres avaient l’habitude de porter de lourdes charges au-dessus de la tête ou de les transporter sur de longues distances en les mettant dans des hottes, ou encore en bandoulière comme le faisaient chasseurs et cueilleurs de vin.
Ils avaient compris que lorsque la colonne vertébrale est droite elle permet de répartir le poids de ses charges sur tout le reste du corps de façon à ce que le porteur fasse un avec sa charge et marche avec la légèreté de quelqu’un qui n’a pour seule charge que son chapeau.
Observons les trônes et tabourets royaux ou tout simplement les tabourets domestiques et nous constaterons que nos ancêtres n’utilisaient pas les dossiers comme on le voit sur les chaises d’aujourd’hui. Il existe certes des trônes avec dossier mais le plateau de ces sièges était si profond que, arriver sur le dossier équivalait pour le roi à ce que ses pieds ne touchent plus le sol. Hors ne plus avoir d’emprise sur le sol pour un roi assis est signe d’être mort ou d’avoir été vaincu.
Observons aussi les sculptures africaines à formes humaines statiques pour constater que pour la majorité, les genoux sont toujours fléchis, comme si l’humain représenté était assis sur une chaise invisible. Le dos, c’est-à-dire, la colonne vertébrale, restant toujours droit.
En allant plus loin on constate que cette position des sculptures que le maitre de danse ivoirien Alphonse Tiérou appelle « Dooplé » était (elle l’est de moins en moins), la position de départ de toutes les danses africaines. C’est la position de l’union du mortier (jambes fléchies avec les plantes des pieds fermement établies sur le sol et le pilon toujours en activité). Ce pilon est la colonne vertébrale, qui en effet, ne se repose jamais. Que vous soyez assis, couché ou debout, la colonne vertébrale est toujours en activité. C’est elle qui est le vrai dossier du corps et non le dossier de la chaise. Bien qu’elle soit flexible c’est elle qui porte tous les organes, le système nerveux… Elle permet à l’esprit de se servir d’elle comme appui.
Le fameux « tog » des peuples Medumba donc les charlatans se servaient pour faire taxer beaucoup de braves mères de sorcières est en réalité une force multiplicatrice neutre qui est accrochée à la colonne vertébrale dans les alentours du nombril. Il est vrai que vous pouvez vivre avec une colonne vertébrale en mauvais état mais quelle vie ! Inspirons-nous donc de nos richesses ancestrales pour former nos enfants au lieu de se contenter de les applaudir quand ils passent des diplômes donc le contenu théorique ne leur sert, en réalité, à rien. Commençons dès aujourd’hui par la posture du mortier et du pilon.
KEMADJOU NJANKE Marcel