
Benjamin Zébazé est aujourd’hui considéré comme un vétéran de la presse camerounaise
Benjamin Zébazé est aujourd’hui considéré comme un vétéran de la presse indépendante camerounaise. Ancien patron de “Challenge Hebdo”, l’un des titres de la « sainte trinité » qui comptait en outre Le Messager et la Nouvelle Expression, il brille par son verbe tranchant et sans amitié.
30a ans après la glorieuse, celui dont le dernier enfant, Ouest Littoral » a été mangé par la CNC (Conseil national de la communication) lève le pan sur une page importante de l’histoire politique du Cameroun nouveau. De l’interview qu’il a accordée à ABK nous vous proposons quelques uppercuts.
La causerie radiophonique a été structurée sous la forme d’une interview. Sinotables n’a pas structuré son interview en rapport direct avec les questions posées par l’animateur à son invité, mais il a agencé les réponses selon les grandes thématiques répertoriées dans l’entrevue.
A propos de moi-même ?
Je suis pour le moment le plus vieux patron de presse encore en activité au Cameroun. Je crois qu’après moi c’est Sévérin Tchounkeu. Évidemment, Pius Njawé décédé était nettement devant nous. J’ai commencé en 1988. J’avais 26 ans. J’ai créé une imprimerie, préparant le journal. En 1990 j’ai lancé mon premier journal « Challenge Hebdo ». Et par après, quand la presse privée a été complètement bloquée au Cameroun et en Afrique Centrale j’ai donc lancé une imprimerie spécialisée dans l’impression des journaux. Je suis le premier en Afrique centrale, et j’imprimais donc tous les journaux camerounais, les journaux tchadiens, les journaux centrafricains, quelques journaux nigérians, les journaux gabonais d’opposition.
Il faut aussi dire que mon destin est particulier parce que j’ai eu la chance d’être le dernier fils d’une famille où il y avait quand même un peu de moyens. Et j’ai eu un seul frère et cinq sœurs. Mon frère en mourant m’a laissé beaucoup d’argent. Imaginez un garçon de 26 ans qui a cent millions de francs. C’est beaucoup d’argent. 100 millions de francs CFA avant la dévaluation. Donc ma famille m’a donné beaucoup d’argent. J’ai eu cette chance-là. J’aurais pu prendre cet argent pour faire autre chose, mais ça me parait un peu vaniteux, mais je dois le dire. Si je n’avais pas cette imprimerie pour faire les journaux, il n’y aurait pas eu de journaux dans le sens que vous connaissez aujourd’hui.
A propos de « Challenge Hebdo » ?
Pour être honnête, « Challenge Hebdo » n’est pas mon idée. Mon frère, un jour il achète le journal « Le Combattant » de mon ami Benyimbe [Joseph, ndlr] qui est décédé depuis. Il est très mécontent. Et il me dit : « je vais faire un journal dans ce pays. Ce journal ne vaut rien. » Entre temps il meurt et me laisse beaucoup d’argent. Et comme j’aimais beaucoup le sport je vais faire un journal sportif. J’ai joué longtemps dans l’Aigle royal de Dschang, comme on l’appelait à l’époque. Donc je commence par un journal sportif ; et un beau jour le patron des PTT ferme ma boîte aux lettres. Chez nous on ferme votre boite aux lettres et vous n’avez plus aucune possibilité de communiquer. Et quand je vais me plaindre chez lui il m’enferme dans son bureau et cherche la police. On me fout les menottes et on m’emmène directement en cellule. A cette époque-là le sous-préfet peut vous enfermer pendant des mois et des mois. Sans jugement. La garde à vue ! C’était des mots inconnus. On m’enferme et je me retrouve dans la nuit avec des prisonniers, si vous voulez des gardés à vue. Je vois bien un qui est tellement respecté par les policiers. Dès que je suis arrivé les policier m’ont dit « il faut donner de l’argent à ce petit-là ». Et je lui demande : « pourquoi ces policiers sont si gentils avec toi ? » Le monsieur m’explique qu’il fait des photocopies à la Poste centrale d’Akwa et qu’un monsieur est venu le voir pour photocopier un tract. Il a photocopié le tract et après il prend les déchets pour mettre dans son sac. La police l’arrête au contrôle et vérifie. C’est un tract du SDF. Le SDF n’existait pas à l’époque, mais il faisait des tracts. Donc on l’arrête et je le retrouve en cellule. Il m’explique que les policiers, le procureur veulent le relâcher, mais un indic était allé raconter au ministère de l’AT qu’on l’avait arrêté. Du coup on attend la décision de l’AT. Et l’AT attend la décision de la Présidence. Pour un petit tract. C’est la seule fois que j’ai bénéficié de l’appui de Madame Foning.
A propos de Madame Françoise Foning ?
Entre Madame Foning et moi, si quelqu’un donnait de l’argent à une autre personne, c’et moi qui donnais de l’argent à Madame Foning. Je n’avais pas besoin que quelqu’un me donne de l’argent.
Madame Foning est donc venue au commissariat. Tôt le matin. Vous savez c’était un acteur de théâtre. C’était une pièce de théâtre à elle seule. Et j’ai été libéré. Je me souviens, quand je suis rentré au bureau tous mes employés m’ont accueilli à l’escalier. Je leur ai dit : « Écoutez! c’est fini ! Maintenant on va faire comme Njawé ! » C’est-à-dire qu’on va ramer contre les injustices. Parce que ce que je voyais ce monsieur subir au commissariat était de l’injustice. C’est comme ça que ça a commencé.
A propos de la presse privée des années 90 ?
Je pense que les patrons de presse étaient insouciants. L’argent n’était pas ce qui était important. Vous prenez quelqu’un comme Njawé… à la limite il voulait de l’argent. Je vais prendre un exemple qui me revient toujours en tête : quand Fru Ndi se lance dans la course présidentielle…la différence entre mon époque et la vôtre c’est que c’est nous qui donnions de l’argent à Fru Ndi. C’est nous qui financions. Et aujourd’hui le patron de presse est devenu carrément un prostitué par rapport aux hommes politiques. Mais ce n’est pas de leur faute. C’est parce qu’à l’époque, quand vous vouliez créer un journal- ce qui était mon cas- vous aviez une enquête de moralité. Les services compétents faisaient une enquête de moralité. Et il fallait que ça arrive jusqu’au ministre de l’administration territoriale pour qu’il vous accorde la possibilité d’ouvrir une entreprise de presse. Or pour combattre Le Messager, La Nouvelle Expression et Challenge Hebdo on a décidé qu’on pouvait faire une simple déclaration. Donc tout le monde est tombé dans la presse et c’est qui, de mon point de vue… et à l’époque aussi il y avait un respect entre les gens. Pour dire la vérité, à l’époque j’étais le patron de presse qui avait le plus de moyens. D’accord ! Mais l’idée que je puisse organiser une réunion dans mon bureau, convoquant les patrons de presse et convoquer Njawé, ça ne me passait même pas dans la tête. Ce n’était même pas possible. Quand il y avait un problème, Njawé me disait : « Zeb’s, tu es où ? ». Je dis « je suis dans mon bureau » et il me dit : « Allez viens ! » Je cours et c’est tout. Et après j’appelais Tchounkeu pour lui dire que Pius dit qu’on le retrouve. On se retrouvait chez Pius et il nous disait « il y a telle, telle chose ». Je vais vous raconter une petite anecdote : Un jour le gouvernement décide de frapper de la TVA sur le papier. Ça allait augmenter terriblement le prix du journal. Et en plus de cela il y avait eu la dévaluation quelques mois plus tôt. Et Pius m’appelle un jour et me dit « Écoute ! Retrouve-moi dans mon bureau ». J’appelle Moussala, et j’appelle aussi Tchounkeu. On se retrouve chez Pius et il me dit « Regarde la situation. On ne peut pas continuer comme ça. » Je lui dis « moi je ne vois pas ce qu’on peut faire. Ce qu’on peut faire c’est d’aller voir le ministre et le ministre ne doit pas nous recevoir ». Il me dit « Quoi ? Le ministre ne nous reçoit pas ? » Il prend son téléphone et il appelle le ministre des Finances qui s’appelle Justin Ndioro. Quand je vois Atanga ministre aujourd’hui et je vois que nous traitions avec des gens de cette classe… Monsieur Ndioro c’était un seigneur. Un monsieur de grande classe. Monsieur Ndioro dit : « Vous voulez venir quand ? » Njawé dit : « Demain matin » Et le lendemain matin on se retrouve dans son bureau à quatre. Quand Pius finit de lui expliquer la situation, il lui dit : « Vous savez, M. Pius ? Moi je ne suis pas là pour détruire la presse. Si vous avez raison, je règle ce problème-là. » Nous rentrons à Douala, et le lendemain matin il avait déjà envoyé tous les courriers. Donc il y avait une certaine discipline, le respect de la hiérarchie. Or aujourd’hui des gamins créent une radio, ils créent un journal, ils insultent leurs pères, ils insultent leurs mamans, ils insultent tout le monde. Moi je ne pense pas qu’on puisse s’en sortir comme ça. C’est en formant un bloc. Le jour où Pius est décédé, et pendant qu’on l’enterrait je pleurais l’ami qui est mort, mais je pleurais notre profession. Et je n’avais pas tord. Puisque quand on voit comment ça se passe aujourd’hui, on est trop individualiste.
A propos de l’opération presse morte ?
Je suis sûr qu’aucun patron de presse ne sera d’accord avec moi. Parce que c’est la défaite de Fru Ndi en 92 qui a tué la presse. Je vais vous expliquer pourquoi. Il faut vous remettre dans le contexte. Il y avait rien d’autre que ces journaux-là. Aujourd’hui vous avez les radios, vous avez internet. Il y avait des journaux qui pouvaient dire quelque chose qui paraissait plus libre que ce que la presse d’État disait. On avait fait naître beaucoup d’espoir derrière Fru Ndi. Et honnêtement Fru Ndi avait fait une excellente campagne. Vous vous imaginez quelqu’un qui n’était pas allé très loin à l’école, qui avait tous les intellectuels du Cameroun qui le soutenaient et qui avait quand même réussi… parce que fédérer les gens ce n’est pas facile hein. Il avait réussi à fédérer les gens du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Quand il a perdu aux élections, il y a eu une grande cassure. Évidemment si vous regardez comment les choses se sont passées par la suite, internet, la radio… L’instantanéité a tué le journal. Et puis il faut reconnaître quelque chose, je me rappelle quand j’étais petit, ma mère avait un bistrot à Dschang. Les bistrots… A l’époque il fallait aussi une enquête de moralité pour ouvrir un bar. Le président Biya en a fait le fer de lance de sa politique. Ouvrir un bistrot c’est aussi facile que boire un verre d’eau. Les Camerounais boivent, boivent ; ils ne lisent plus. Et c’est vraiment dommage. Mais je dis toujours qu’un homme politique qui est malin, qui veut que son pays marche bien…
A propos du président Paul Biya ?
Monsieur Biya a installé au sommet de l’Etat un tribalisme inédit. Je ne sais pas si quelqu’un fera mieux que lui un jour. Je pense qu’il a vraiment bouché tous les trous. Moi je connais l’époque d’Ahidjo. Mon oncle était directeur du cabinet civil. Je ne sais pas comment on appelait cela à l’époque, mais c’était le cabinet civil. Lorsque le président Biya arrive au Cameroun, Ahidjo l’envoie dans le cabinet de mon oncle. Toutes les ethnies étaient représentées au sein de la présidence de la république. Or, aujourd’hui à la présidence de la république – mon ami Hervé Nkom qui est très intelligent, très cultivé, très informé- qu’il me cite un poste important à la présidence de la république qui n’est pas entre les mains d’un Camerounais originaire du Centre ou du Sud. Directeur du Cabinet Civil, Chef d’État Major de l’Armée, pilote de l’avion présidentiel, Cuisinier, Secrétaire général de la Présidence. Tous les postes. Quand vous le dites, on dit que vous êtes tribaliste. Mais non. J’appelle un chat un chat, c’est tout.
A propos de ma fortune ?
On a fermé mes activités au moins une cinquantaine de fois. Comment voulez-vous que je m’en sorte. Évidemment, dans un échec il faut tenir compte d’abord de ses propres fautes. Peut-être à 26 ans j’étais très jeune pour avoir tant d’argent. Mais il faut quand même reconnaître que quand vous avez 26 ans, quand vous lancez une activité comme celle-là vous avez la police tout le temps. Mon imprimerie a été encerclée par l’armée. Je ne parle pas de la police. En 1992, parce que nous ne voulions plus passer par la censure on s’était réuni : Pius Njawé, Tchounkeu, moi, Moussala, le patron de Vision 4 aussi… je ne sais plus. On avait décidé qu’on ne passait plus par la censure à cause de ce qui se passait. Quand vous arriviez à la SOPECAM il y avait un service technique pour effacer des lignes, effacer des mots. Un jour on a dit « c’est fini ! » c’était facile de le dire. On allait continuer comment ? Ce n’était pas comme aujourd’hui. Njawé faisait 100 000 exemplaires. Il était parmi les journaux les plus importants d’Afrique. Je faisais 70 000, Tchounkeu 50 000 exemplaires. Si vous n’aviez pas une machine industrielle… C’est pour ça que je me suis décidé d’aller acheter la machine. Et quand j’ai acheté la machine, l’imprimerie a été bloquée. Il a fallu que l’ambassadrice des Etats-Unis – les deux qui se sont succédés – viennent menacer le Pouvoir pour que l’imprimerie puisse travailler. On était arrivé à faire des choses dont j’ai honte aujourd’hui, mais on ne pouvait faire autrement. Comme l’imprimerie était encerclée, j’ai proposé à Pius Njawé que l’on fasse comme tous les Camerounais font. Tous les soirs on donnait de l’argent aux policiers. Et quand on sortait les journaux vers 3, 4, 5heures du matin ils fermaient un peu les yeux. Vous pouvez appeler cela la corruption, moi j’appelle cela un acte de résistance. Il fallait bien qu’on résiste. La preuve c’est qu’à la fin le gouvernement nous a appelé pour dire : « qu’est-ce qu’on fait ? Vous voulez quoi ? » On a dit qu’on ne veut plus de censure. Ils ont dit « okay ! On va mettre en contrepartie la prison. » C’est pour cela que vous voyez des journalistes en prison, plus facilement qu’à notre époque.
Mes comptes sont vides aujourd’hui. J’ai des maisons que j’ai achetées. Mais je n’ai aucun mérite. Parce que c’est les biens de mon papa. Si je dis que j’ai deux, trois, cinq maisons, ce serait comme si j’ai fait quelque chose. Je n’ai rien fait du tout. C’est mon père qui m’a laissé l’essentiel de ce que j’ai. Moi-même j’ai construit deux maisons.
A propos de la « Sainte trinité » ?
Quand les gens sont limités, ils accusent les autres. Quand j’ai commencé la presse il ne me connaissait pas Pius Njawé. Un jour je rentre dans mon bureau et je trouve que la secrétaire de Pius Njawé m’a appelé. Elle a laissé un message. Pius Njawé veut que je le retrouve ce soir chez lui pour manger. Mais j’étais content comme jamais. Je vais vous étonner. Il y a dix ans que ne n’ai plus porté de costume. J’avais porté mon meilleur costume et ma jolie cravate. Et quand je suis arrivé chez Pius Njawé, j’étais timide. Tellement il y avait des patrons de presse de l’époque assis autour de sa table. On a bu et bien mangé. A la fin il m’a appelé dans un coin. Il m’a dit : « tu sais petit-frère ? Ces gens à Yaoundé me prennent pour un fou. Je lis ton journal et je suis très content. Maintenant nous deux-là on va bien les embêter.
La « sainte trinité » c’est quoi ? A force d’être suspendus, embêtés : Pius Njawé arrêté, Tchounkeu tabassé…ça créé forcément des liens. Et un jour on en avait vraiment marre. Pius m’a appelé et dit : « il faut qu’on fasse quelque chose. » Alors nous avons eu l’idée. On a dit qu’on va faire une journée presse morte. Exactement comme celle que la presse a organisée hier [lundi, 04 mai 2020, ndlr]. Mais au lieu d’organiser une journée comme ça on va faire un journal avec tous nos logos et tous nos journalistes vont écrire dans un seul journal. Et le ministre Fame Ndongo qui, à l’époque, avait de petits journaux à Yaoundé où il écrivait de n’importe quoi… Il nous critiquait et il a dit voilà « désormais c’est la sainte trinité ». Cette trinité en réalité tenait sur quoi ? C’est que moi j’avais beaucoup de respect pour Pius Njawé. Et j’avais de l’amitié pour Tchounkeu. Donc au milieu des deux je servais un peu de courroie de transmission. Par contre j’avais du respect pour Njawé. C’est-à-dire que ce que je faisais avec Tchounkeu je ne pouvais pas le faire avec Njawe.
A propos de Séverin Tchounkeu ?
Je connaissais Séverin Tchounkeu depuis Bordeaux. Jusqu’aujourd’hui lui et moi on a d’excellents rapports. Je ne sais pas si je peux faire deux jours sans l’appeler. Lui-même quand il a des difficultés dans son boulot il va m’appeler. Il sait que s’il m’appelle, il appelle quelqu’un qui est de bon cœur avec lui.
Un matin on vient ramasser Séverin Tchounkeu chez lui. Sa secrétaire m’appelle, elle me dit : « DP fuit ! Fuit ! » Comme à l’époque j’étais inconscient, j’avais quel âge ? Je réponds : « je ne fuis pas, qu’ils viennent m’arrêter… » Vous savez, Séverin Tchounkeu a un fer dans l’une de ses jambes. Ils l’ont tabassé toute la journée au point où le fer s’est déplacé pour s’enfoncer dans… Et ils tabassaient Séverin Tchounkeu alors que Séverin et moi il y a deux ou trois jours plus tôt on était allé rencontrer Jean Jacques Ekindi à la gendarmerie de … Il avait été frappé aux pieds. Je pense que vous regardez bien Ekindi. Je ne pense pas qu’il porte les chaussures hein. Je pense qu’il porte des chaussures ouvertes. Il avait été bousillé complètement. Si je vous cite tout ce que j’ai vu pendant cette période-là je ne sais pas comment quelqu’un peut défendre le régime actuel.
A propos de la corruption et moi ?
Je suis quelqu’un de particulier. Je peux dire un peu fou. Parce que la plus part des ministres actuels me connaissent bien. Mais s’ils me voient dans la rue je ne suis pas sûr qu’ils vont me reconnaitre. J’ai passé des années à défendre Fru Ndi. Les gens sont étonnés quand je leur dis que j’ai vu Fru Ndi quatre fois de ma vie. Quatre fois. Un jour j’allais à Dschang, il m’a doublé et puis quelqu’un lui a dit : « voilà Zébazé ! » Il m’a bloqué. On a discuté un peu. Et quand il a échoué aux élections présidentielles il nous a appelés, Njawe, Tchounkeu et moi pour nous remercier de l’avoir aidé. Que ce n’est pas de notre faute s’il a échoué. Qu’on avait fait ce qu’on pouvait.
A propos de l’âge d’or de la presse camerounaise ?
Je vais vous dire qu’à l’époque, honnêtement, je ne sais pas si on faisait de la presse hein. Pour moi on était des militants qui voulaient que les choses changent. La seule arme qu’on avait c’était la presse. La presse vivait de son travail. Moi je faisais 70 000 exemplaires et je vendais 50 000 exemplaires. Pius vendait 70 000 exemplaires. Faites les calculs ! On gagnait notre vie. A partir du moment où Fru Ndi perd, que l’enthousiasme sur le plan politique s’estompe, on n’avait plus de lecteurs. C’est pour ça que je suis passé rapidement de 50 000 ventes à 15000 ventes. Pius à 20 000. Ça a commencé là. Et avec sa cohorte de problèmes.
A propos de Maurice Kamto ?
Maurice Kamto, quand il entre en politique j’ai été très dur avec lui. Parce qu’il était entouré des gens que je pourrais qualifier de révisionnistes. Ils arrivaient en politique, ils pouvaient insulter Fru Ndi. Moi je n’aime pas ça. Vous savez il faut parfois reconnaître les talents de certaines personnes. Fru Ndi a fait ce qu’il a fait. Maintenant on peut dire qu’il est hors jeu, je suis d’accord. Mais quel est le problème ? C’est qu’à partir du moment où Maurice Kamto a fait ses preuves sur le terrain, il a éliminé la concurrence. Nous avons le même but, comment voulez-vous que je le critique étant donné qu’il obtient des résultats que moi je n’aurais pas pu obtenir? De l’autre côté vous avez un pouvoir qui passe son temps à lui chercher des poux dans la tête. Vous avez parlé d’une vidéo où on m’aurait reconnu, mais Maurice Kamto on avait affirmé qu’on l’avait vu avec un gamin. Et quand un monsieur est attaqué de cette manière-là, je me sens obligé de le défendre. Sans avoir la carte du MRC. 30 ans plus tard je suis là entrain de défendre Kamto. Mais souvenez-vous de ce que je vous ai dit 30 ans plus tôt. Je vous ai dit que je devenu journaliste critique parce que j’étais contre l’injustice dont avait été victime un pauvre photocopieur. Donc c’est la même chose.
Vous avez vu quand Maurice Kamto a perdu les élections présidentielles, dans les conditions qu’on sait. Si vous remarquez bien, il a essayé de faire deux meetings : un à Yaoundé, un à Douala. Il y avait combien de gens à ces meetings ? Il y avait pratiquement personne. C’est comme ça. Quand il y a un échec comme ça, il y a un désenchantement. Et c’est pour ça que le jour où le pouvoir a arrêté Maurice Kamto, j’ai dit : « comment ces gens pouvaient être aussi cons ? » Parce que c’est l’arrestation de Kamto qui l’a relancé. Bien évidemment l’homme a des qualités personnelles qu’on ne peut pas discuter. Quand vous avez un pouvoir avec des ministres comme Atanga Nji, comment voulez-vous que ces gens-là raisonnent ? C’est quelqu’un que je connais depuis 30 ans. Je ne l’aime pas. C’est que l’homme n’a rien à faire là où il est. Il faut dire les choses telles qu’elles sont. Moi je le connais particulièrement, je le connais très bien d’ailleurs. C’est pour ça que je suis parfaitement à l’aise quand je parle de lui. S’il ose me provoquer…
A propos du tribalisme ?
Moi j’ai fait l’université de Yaoundé pendant une année. Je ne sais pas si on pouvait dire que quelqu’un était béti ou bassa. Je ne sais pas si ça existait ça. Et l’exemple typique c’est que tous les gens qui ont fait le CES de Dschang à l’époque avec moi, ils savent très bien qu’au dortoir ou au réfectoire il y avait des bétis, des anglophones… le fait que nous étions différents de vous, ça n’existait pas. Moi je pense que ce qui s’est passé, il y a eu rupture en 1984. Vous avez quelqu’un qui est arrivé à la présidence de la république-je ne vais pas être méchant avec lui hein- et qui n’était pas outillé pour. Le président de la République. Paul Biya. Il n’était pas outillé pour. Et je crois que le putsch de 84 a dû aussi beaucoup le marquer. Il a dû penser que c’est maintenant à leur tour de bouffer de l’argent. Quand vous voyez une ethnie qui s’accapare de tous les pans de l’économie, de tous les pans de la politique, les gens commencent à réagir violemment. Moi je me souviens, en 1992, quand Fru Ndi entre en campagne présidentielle, c’est toutes les ethnies… d’abord les nordistes sont les plus représentés dans les instances dirigeantes. Or regardez ce qui se passe aujourd’hui. On peut tourner autour du trou, mais la plupart des partis politiques ont d’abord une base communautaire. Aujourd’hui presque tous les partis politiques ont d’abord une base communautaire. Et paradoxalement le seul qui n’a pas une base communautaire c’est le RDPC. Évidemment parce qu’il a dissimulé des voyous partout… Le programme politique du RDPC c’est « Pour le Libéralisme communautaire. » Or quand vous voyez comment le président Biya agit vous vous rendez compte qu’il est l’auteur d’un livre qu’il n’a jamais lu. Parce que ce qu’il fait n’a rien à voir avec le livre dont on prétend qu’il est l’auteur. Ces gens sont au RDPC juste pour profiter. Vous verrez bien le jour où le président Biya va disparaître. Le RDPC va perdre 99,99% de ses militants. Le RDPC respire par rapport à la capacité de signature de Monsieur Biya. S’il ne peut plus, c’est fini.

A propos de Jean Jacques Ekindi ?
Monsieur Ekindi représente le côté hideux de la politique. Je vous explique pourquoi. Vous ne pouvez pas créer un parti, croire à quelque chose, et du jour au lendemain vous allez retrouver votre principal adversaire qui pendant la période s’est encore empiré. Et en plus, monsieur Ekindi s’il avait négocié un accord avec le RDPC, de parti à parti, on pouvait encore comprendre. Ça fait très mal. Un jeune n’a plus confiance en un homme politique. Le RDPC c’est une coquille vide. C’est un SAS dans lequel vous entrez et après si vous avez la chance d’avoir quelqu’un qui va vous rapprocher du Président de la République, soit le Secrétaire général de la Présidence de la République, soit le Directeur du Cabinet civil, si vous avez cette chance on peut vous nommer. Mais le RDPC en lui-même n’est rien du tout. Si vous voulez, citez-moi une seule proposition de loi du RDPC. Ça n’existe pas. Tout vient de la présidence.
A propos de l’Opposition ?
Je ne vais pas en dire du mal. Il y a quelqu’un qui me fait très très mal. C’est Cabral Libii. Voilà quelqu’un qui a moins de 50 ans. Il a tout l’avenir devant lui. Qu’est-ce qu’il est allé faire dans cette galère ? Parce que le RDPC l’a amené exactement là où il voulait, c’est-à-dire qu’on a réussi à le confiner dans la Sanaga Maritime. C’est fini. Il va rester là-bas. Il ne va plus en sortir. Parce qu’on va le cataloguer comme un parti bassa, un point c’est tout. Alors que c’est quelqu’un qui avait tout un boulevard tracé. Mais il faut qu’il s’entoure des gens ayant un minimum de connaissances en communication. J’ai rarement vu un monsieur ayant de telles potentialités produire des tweets aussi malheureux, en déphasage par rapport à ce que la population vit. Sinon les autres ce ne sont plus des partis de l’opposition. Les gens ont tué mon SDF. Un parti qui m’a fait rêver. Ça n’existe plus. C’est une virtualité. Mais attention ! Il y a un parti que les Camerounais ont oublié : c’est l’UNDP. Ils ont un vivier communautaire fort. Si un jour Bello Bouba devient raisonnable et accepte à la tête de ce parti un jeune dynamique, faites attention. Ce parti peut faire mal.
A propos de mes mémoires ?
Je ne savais pas qu’un livre écrit par quelqu’un comme moi pouvait intéresser. Et quand je suis arrivé sur Facebook en 2015 ce n’était pas pour saturer les réseaux sociaux, c’est parce que moi je suis un homme de défis. Lorsque le CNC avec Peter Essoka- ils m’ont suspendu trois fois en trois ans- je me suis dit okay ! je vais trouver un autre moyen d’expression. Puisque je fais aussi ça par plaisir. Vous savez que ce métier que vous faites c’est pas pour devenir milliardaire. Il y a un côté … passion. Quand ils m’ont interdit d’exercer ma passion j’ai dit je vais sur le net. J’ai commencé à écrire de petits papiers et j’étais étonné de voir des jeunes qui appréciaient et ça a fait foule. Les gens ont commencé à me demander d’écrire un livre. Je ne m’imaginais pas entrain d’écrire un livre. Je vais être forcé de m’y mettre. Ce qui m’a motivé, je me suis rendu compte qu’en 30 ans, sans m’en rendre compte, j’avais vu beaucoup de choses.
A propos de mon combat actuel ?
Mon objectif est ceci : je veux voir l’alternance avant de partir. Il y a quelque chose qui me chagrine beaucoup. J’espère que les hommes politiques ne vont pas m’en vouloir. Je veux bien qu’on combatte Monsieur Biya, d’ailleurs on ne peut pas faire autrement. Parce que ce qu’on voit au Cameroun ne se voit nulle part. Mais je veux aussi que les hommes politiques comprennent une chose : il faut qu’ils travaillent leurs dossiers. Nous avons abordé un problème tout à l’heure, celui de la presse. Malheureusement on n’avait pas le temps, j’allais vous donner quelques petites pistes. Vous ne pouvez pas laisser la presse dans l’état où elle est. Parce que si vous clochardisez les patrons de presse vous clochardisez leurs employés et vous les obligez à trouver tous les moyens… Moi, je veux que les hommes politiques, sur chaque sujet qu’ils travaillent… Imaginez un instant, la redevance télé rapporte beaucoup d’argent. Si l’Etat considère que la Crtv et Cameroon Trinbune c’est leur affaire, la redevance télé on leur donne tout ça, mais en contrepartie elles n’ont pas droit à la publicité. Que la publicité soit exclusivement réservée aux chaines privées. Vous ne pensez pas que ça va améliorer un peu la situation ? C’est comme ça que les Anglais ont fait. Deuxième chose, la presse écrite. La presse écrite est la plus piratée de ce pays. Ouvrez n’importe quel site vous voyez un article du Jour, de Mutations, etc. On pouvait aussi décider très bien ceci : lorsqu’un Camerounais paie des data, qu’il y ait 0,3% ou quelque chose de ce genre qu’on reverse à la presse privée. Parce qu’un pays sans presse, sans radio libre ne peut pas être un pays qui marche. Regardez aujourd’hui, chaque télé, chaque journal écrit, chaque radio a sa chapelle politique derrière. A notre époque on était plus libre parce qu’on avait les moyens. Aujourd’hui ce n’est pas la faute des patrons. J’insiste là-dessus. Nous n’avons pas eu un adversaire terrible comme internet. Les partis politiques doivent trouver des solutions pour sauver la presse.
Propos retranscrits et montés par Augustin Roger MOMOKANA