
DONGMO Samuel, très connu pour avoir été pendant de longues années le président de l’Aigle Royal de la Menoua, vient d’être déclaré Docteur PhD en Droit Public de l’Université de Dschang. C’était le 30 décembre dernier, à l’issue de la soutenance de sa thèse sur « La décharge de gestion en finances publiques au Cameroun » présidé par un jury composé de ABANE ENGOLO Patrick Edgar (professeur, président, Université de Yaoundé II), BEGNI BAGANA Gaëtan (Maitre de Conférences, Université de Douala), DJAME François (Maitre de Conférences, Université de Douala), GUESSELE ISSEME Leonel Pierre (Professeur, Université de Dschang).
Ce travail sous la direction Célestin SIETCHOUA DJUITCHOKO (professeur, Université de Dschang) a été sanctionné par la « Mention Très Honorable ».
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— Momokana Augustin Ro (@ARMomokana) February 3, 2023
Monsieur DONGMO Samuel vous voici Docteur Ph.D parce que vous avez présenté et soutenu une thèse sur « La décharge de gestion en finances publiques au Cameroun ». De manière terre à terre, que signifie ce thème ?
En finances publiques, tout gestionnaire est appelé à rendre compte. Il doit se sentir responsable, être tenu pour responsable de sa gestion. Et au terme des opérations de gestion, il est question que l’on contrôle et juge cette gestion. Au terme du contrôle ou du jugement porté sur votre gestion, il peut arriver que vous soyez déchargé, que vous ayez le quitus de votre gestion. Cela veut dire que votre gestion a été jugée conforme, elle a été exécutée selon les règles de l’art, qu’elle a été orthodoxe. Là vous êtes déchargé, vous avez le quitus de votre gestion ou acquittement devant une institution de contrôle de l’usage des derniers publics dont vous avez la charge.
Maintenant il peut arriver que votre gestion soit sujette à caution et que votre décharge soit rendue difficile. Dans ce cas, vous êtes appelé à répondre de votre gestion. Et quand vous répondez de votre gestion favorablement et que les autorités en charge du contrôle- l’administration ou le juge- attestent que votre gestion est correcte, alors vous êtes déchargé de votre gestion. Si par contre, elles jugent que votre gestion n’est pas correcte, elles procèdent à la sanction de vos responsabilités. Cette responsabilité peut être disciplinaire, pénale, administrative, financière. Elle est peut tout aussi être personnelle et engager votre patrimoine.
A quoi renvoie le vocable gestionnaire ? Les administrateurs civils sont-ils eux-aussi comptables de leur gestion ?
Notre travail s’intéresse aux gestionnaires des finances publiques.
En général dans l’administration publique camerounaise, la transparence et la reddition des comptes constituent une exigence qui prend un sens tout particulier. L’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, dispose à cet effet que : « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
La gestion du patrimoine foncier de l’Etat rentre-t-elle dans la catégorie objet de votre travail ?
Vous posez là une question majeure qui est la reddition des comptes par tous ceux qui ont une charge publique. Composante majeure de la gouvernance, la reddition de comptes s’entend de ce point de vue, de l’obligation, pour l’administration, le personnel au service de l’Etat, de répondre des responsabilités qui leur ont été conférées. Elle les oblige à confirmer, à expliquer et à justifier l’exécution du pouvoir et des moyens d’ordre politique, constitutionnel, réglementaire ou contractuel, qui leur ont été conférés et à permettre de vérifier si l’usage qui en est fait est conforme aux objectifs dévolus. Elle s’effectue au moyen d’un contrôle interne ou externe à l’entité auditée. Elle s’effectue également par le moyen de la sanction desdites responsabilités. Il est admis que trois grands principes doivent guider la conception de mécanismes permettant de rendre compte de la gestion de la chose publique, à savoir l’étendue de la responsabilité, les techniques de mesure et les institutions auxquelles on doit rendre des comptes.
Un membre du jury a soulevé la problématique de la formulation du thème. Elle aurait, de son avis, Selon revêtu un caractère interrogation : « Quelles sont les formes de décharges…au Cameroun » ?
Nous n’avons travaillé que sur ces formes, même si le sujet n’a pas été sous la forme interrogative. Il y a la forme administrative, il y a la forme juridictionnelle. On aurait bien voulu insister sur la forme parlementaire, malheureusement elle n’est pas très opératoire au Cameroun. Nous avons tout au moins parlé de la décharge par cet organe politique (le Parlement) à travers la loi de règlement, par le biais de la certification du compte général de l’Etat.
Un autre membre du jury s’est appesanti quant à lui sur le pourquoi n’avez-vous pas axé votre travail sur la comparaison de ce qui se fait au Cameroun et la pratique dans les autres pays de la CEMAC.
En ce qui concerne la comparativité, sachez que le sujet, comme le jury l’a remarqué, ne court pas les rues. Beaucoup ont travaillé sur la répression des atteintes à la fortune publique, la responsabilité, la faute de gestion, etc. Par contre, j’ai décidé de faire le chemin inverse. Au lieu d’être responsable on peut être déchargé. Le sort du gestionnaire publique n’est pas toujours scellé à la suite d’un contrôle, il peut aussi être descellé. Au lieu de charger le comptable on peut aussi le décharger, c’est-à-dire le mettre hors de cause. Parfois il a bien géré, il est de bonne foi, mais il a commis quelques petites erreurs ou peccadilles, des négligences : il est fautif. Parfois il n’a pas porté atteinte à la fortune publique, il n’a causé de préjudice ni financier ni matériel à la puissance publique. On pourra plutôt apprécier sa gestion économe qui ne porte pas atteinte à la fortune publique. On peut tout aussi faire une gestion très orthodoxe et ne pas être déchargé.
Nous avons tout au plus évoqué les décisions du juge administratif et du juge des comptes français pour établir à titre de droit comparé, les modalités de décharge de responsabilité financière des gestionnaires publics. Un travail sur l’espace CEMAC pourrait être envisagé pour satisfaire cette curiosité heuristique.
Le cas du Recteur de l’Université de Douala a été pris en exemple ?
Le Recteur de l’Université de Douala a sauvé une vie en procédant à une évacuation sanitaire, au mépris de la réglementation financière ou du formalisme budgétaire. Qu’est-ce qu’il y a de plus cher pour l’humanité que sauver un Homme en danger de mort? Mais au regard des règles de gestion financière et comptable il était fautif. Le détournement de destination n’est-il pas un détournement de deniers publics. Si un gestionnaire public décide de donner un puits aux populations alors que c’est un microscope qui était inscrit comme projet d’investissement, il a agi dans l’intérêt public, mais sans respecter l’affectation du crédit public dédié à une opération bien précise. L’ordre public financier doit être scrupuleusement respecté aussi bien dans le droit financier substantiel, que sur son volet processuel.
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Le constat que nous avons fait pendant votre soutenance c’est que le jury est unanime qu’il faille partir de la Chambre des comptes de la Cour suprême pour la Cour des comptes. Ce qui naturellement imposerait la suppression du CONSUPE.
C’est très pertinent et cette piste est plus que jamais envisagée. La Chambre administrative de la Cour Suprême, aussi bien que le Chambre des Comptes de la Cour Suprême, sont des excroissances de la haute juridiction de l’ordre judiciaire. Il faut créer une Cour des Comptes et des chambres territoriales des comptes ou des tribunaux territoriaux des comptes pour respecter les règles de L’INTOSAÏ, L’AFROSAI et même la Directive de la CEMAC sur la comptabilité publique. Dans tous les pays, il est demandé de disposer d’une Cour des Comptes au lieu d’une Chambre des Comptes au sein de la Cour Suprême qui examine les comptes. C’est tout un ordre juridictionnel qu’il faut mettre sur pied avec des juridictions autonomes, j’allais dire spécialisées.
Qu’est-ce qui, selon vous, expliquerait les résistances?
Ce qui fait la fierté d’une juridiction c’est avant tout son autonomie. Lorsque le juge des comptes se trouve au sein de la Cour Suprême, il n’est pas autonome. Au-dessus de lui il y a le Président de la Cour Suprême. Alors qu’ailleurs on parle du Président de la Cour des Compte. Dans l’ordre protocolaire de l’ordre juridictionnel il y a une il y a une Cour suprême dans l’ordre judiciaire, il y a une Cour des Comptes, dans l’ordre financier. Il faut bien que l’on essaie de faire la distinction : la Cour des Comptes est appelée devenir une juridiction autonome et elle a sous elle des juridictions qui peuvent lui faire appel afin de respecter le principe de double degré de juridiction. Je l’ai dit et vous l’avez certainement saisi, si on avait des chambres territoriales de comptes dans toutes les régions, chaque gestionnaire pourrait être contrôlé dans le délai de quatre ans. Mais lorsqu’il s’agit d’une seule chambre des comptes, elle ne peut pas examiner les comptes de 360 communes, 250 établissements publics, plus de 300 régies. C’est un travail humainement impossible. L’autre contrainte qui est politique, est la révision de la constitution afin de mettre sur pied cette juridiction des comptes. Les camerounais sont assez jaloux de la constitution et adeptes de la stabilité constitutionnelle et institutionnelle. La contextualisation des nécessités de notre environnement juridique, économique, social et culturel s’adapte mal à cet immobilisme du socle de notre corpus normatif.
Il a également été question de la performance au cours de vos échanges avec le jury. Quels sont les arguments pour analyser la performance dans la gestion des finances publiques et même ailleurs ?
En droit public économique et financier, la performance est le socle du management des organismes et administrations publics. Il n’est plus question de contrôler uniquement la gestion financière, de faire un contrôle arithmétique des ressources et des emplois. Parce que vous pouvez faire 300% de rendement dans une localité où vous auriez dû faire seulement 500%. Lorsque vous faites 300% vous avez atteint les objectifs chiffrés, mais sans être performant. La performance voudrait dire que vous puissiez faire le plein et même le trop plein sans oublier la qualité du service rendu aux usagers. Il n’est pas question pour les Impôts de faire 300% de recettes alors qu’à côté les droits des usagers ne sont pas respectés et le climat des affaires (doing business) à déplorer. Donc, il faut respecter les droits des usagers, il faut respecter les droits de l’Homme. Ce sont des notions transversales, et comme je l’ai dit, la performance a commencé dans le secteur privé avec la direction par objectif. Les services publics l’ont ensuite embrassé, si bien qu’il n’y a pas de service public dont on ne puisse juger de la performance. On ne juge plus les chiffres, on juge la performance, c’est-à-dire l’atteinte des objectifs avec en prime les notions de qualité et de pertinence. Ce ne plus seulement l’économie, l’efficacité et l’efficience, mais c’est aussi la pertinence et la qualité.
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Comment expliquez-vous la remarque du Président du jury selon laquelle vous êtes sorti des sentiers battus ? Je souligne à ce niveau que vous êtes un haut cadre du Ministère des Finances.
Pour dire vrai, je suis un homme qui ne sait pas toujours emprunter le chemin frayé par d’autres personnes. J’aime oser. Il faut avoir l’audace de frayer un nouveau passage lorsque vous en avez l’occasion. Cela était nécessaire puisqu’on ne parle que de la responsabilité, comme si dès lors que vous êtes gestionnaire votre sort est scellé. Il était important pour moi de montrer que votre compte peut être descellé par la qualité de votre gestion, par la bonne foi, par votre manière de servir. Parfois des gens ont commis des fautes graves, des fautes très graves, et au regard de la manière de servir ils ont été acquitté. Les décisions rendues par le juge financier camerounais et français, ainsi que les cas illustrés par le CONSUPE ont permis de mettre au vert les cas de décharge de responsabilité des gestionnaires épinglés dans la gestion fautive des opérations budgétaires des collectivités publiques.
Le jury pense que vous devez rendre votre travail accessible au grand public. Comment cela s’entend ?
J’ai conclu ma thèse en indiquant qu’il s’agit d’un chantier où j’ai pris les risques en posant les balises. Je n’ai fait que l’implantation, s’il faille emprunter au vocabulaire de la construction, je n’ai ni posé les murs, ni la charpente, ni réalisé les finitions. Il y a beaucoup à faire et j’ai pris l’engagement de le faire avec l’appui de la communauté scientifique. Il est question de tenir ferme pour densifier ce travail, pour l’enrichir et le rendre accessible à la postérité.
Cette audace vous a valu la « Mention Très honorable ». Comment réagissez-vous ?
La « Mention Très Honorable » est une surprise pour moi. Je vous l’ai dit : « en mars 2022, mon pronostic vital était à 2% ». Ce qui signifie que l’équilibre vital était mis en cause. A un moment, j’ai pensé que je n’étais plus apte à mener ces travaux à leur terme. L’Eternel aidant, les choses se sont améliorées au point où j’ai repris les choses en main et aujourd’hui je suis sacré avec la « Mention Très Honorable ». Je rends grâce à Dieu dont je suis un Serviteur dévoué, pour m’avoir donné de reprendre une vitalité normale.
C’est l’occasion de remercier une fois de plus le Pr. SIECTCHOUA, mon Directeur de Thèse ainsi que mes camarades de promotion, pour m’avoir stimulé à finaliser cet œuvre.
Je vous remercie, Docteur DONGMO Samuel, pour cet éclairage exclusif que vous avez bien voulu apporter aux lecteurs de Sinotables sur cette thématique très actuel.
C’est plutôt moi qui vous remercie pour votre intérêt à notre étude.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA
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