Le duo entraineur de l’équipe nationale de football fanion du Cameroun, Lions indomptables, a pour nom Clarence Seedorf pour le sélectionneur principal, et Patrick Kluivert pour l’adjoint. Les deux techniciens de football ont signé pour deux années avec le Cameroun qui organise la CAN en 2019.
Ils ont déjà pris leur quartier à Yaoundé jeudi, et le travail peut commencer. Un travail qui doit être méticuleux, professionnel et rigoureux. Car il s’agit d’éloigner de la tanière les mauvaises habitudes qui y ont élu domicile.
Parfait Tabapsi est journaliste culturel. Mais il offre à Clarence Seedorf un texte évocateur, inégalable. Un bel hommage, en somme. Il devrait travailler à le mériter.
Monsieur Seedorf,
J’ai été heureux de revoir votre sourire sur les photos qui illustraient votre arrivée au Cameroun hier. Heureux de savoir que pour de vrai vous étiez le nouveau sélectionneur des Lions indomptables devenus méconnaissables depuis quelques temps. Heureux de savoir que le bruit qui courait depuis un certain temps n’était pas une énième rumeur. Heureux de savoir qu’enfin mon pays pouvait s’attacher les services d’un ancien footballeur au talent incommensurable, même si les lignes manquent à la feuille blanche de votre nouvelle vie d’entraîneur.
En vous voyant ainsi tout sourire, je n’ai pu m’empêcher de solliciter ma mémoire pour y retrouver le lien qui m’unit à vous. A la vérité, je vous ai découvert pour la première fois en 1993. Dans un magazine de foot que je dévorais à l’époque depuis mon lycée à Mbanga. Il s’appelait Onze Mondial et était dirigé par Raoul Dufourq et l’ancien footballeur Jean-Michel Larqué. Dans ce numéro-là, vous étiez apparu dans un encadré contenu lui-même dans un dossier sur le Surinam, votre pays d’origine. Le préposé à l’article avait fait savoir que vous étiez un joyau qui bientôt déchirerait le ciel de la planète football. A l’époque pourtant, votre illustre devancier Ruud Gullit, en rupture de ban à Millanelo, s’en était allé se rappeler au souvenir de Berlusconi, Sua Emittenza, depuis Gênes. Il était alors sur la fin d’un parcours qui avait contribué à hisser votre pays sur la carte mondiale du foot. Les stars surinamiennes étaient alors les deux avant d’aile Gaston Taument et Régis Blinker du Feyenoord Rotterdam, voire le portier de l’Ajax d’Amsterdam Stanley Menzo.
Encore à l’école de l’Ajax après avoir réussi à passer dans les mailles des Talentendagen (Journées de détection), vous faisiez vos classes. Avant d’éclore seulement un an plus tard et de remporter la prestigieuse ligue des champions avec comme camarades de cordée Patrick Kluivert, Nwanko Kanu, George Finidi, Edwind Van Der Sar, Edgard Davis ou les frères De Boer. Couvés que vous étiez alors par les papys Rijkaard et Blind, et dirigé par l’arrogant et non moins fin technicien Louis Van Gaal.
Les prémonitions du reporter de Onze Mondial venaient donc de se réaliser. Et pour montrer que vous n’aviez peur de rien, vous décidâtes de mettre les voiles pour Gênes, à la Sampdoria qui rêvait d’une autre finale européenne après celle, malheureuse, de 92 à Wembley, et les départs de Gianluca Pagliuca et autres Attilio Lombardo. Au bout d’un an, sans doute las et assoiffé de challenges excitants, vous preniez le chemin de Santiago Bernabeu. Où votre talent, sous la surveillance de Fabio Capello, appelé pour remplacer l’apôtre du beau jeu Jorge Valdano à qui on reprochait de lever les foules sans rien gagner, allait une nouvelle fois irradier le foot. En compagnie des Panucci, Carlos, Amavisca, Campo et surtout de Redondo, Mijatovic et autres Suker, vous alliez montrer aux yeux du monde votre art du foot. Qui consistait alors à mettre les attaquants sur orbite, à orienter le jeu et lui donner le tempo qu’il convient.
Adieux alors les faux pas en sélection comme ce pénalty raté à l’Euro anglais en 1996 devant la France en quarts de finale et qui signa la défaite des Orange. Ainsi que votre désamour avec une sélection alors connue pour sa rigueur là où vous souhaitiez la créativité, le mouvement, la feinte, l’esquive et la vie tout simplement. Et là je ne parle même pas de racisme qui poussa votre coéquipier Davis à bout, lui valant une suspension que le bon sens allait finir par lever pour mon plus grand bonheur et le Mondial de haute volée qu’il réalisa dans la foulée en France. Sans vous évidemment.
Après Madrid, vous reprîtes le chemin d’Italie. A Milan. Où le président Moratti ne se décourageait pas à remettre l’Internazionale sur le toit de l’Europe, longtemps après les travaux d’Hercule d’un Helenio Herera qui surprît les footeux des années 60 par un art du football ultra-défensif, posant les bases du « Catenacio » qui allait devenir la signature du Calcio pour longtemps. De ces années intéristes, je ne me souviens pas vous avoir vu heureux même si certains coups d’éclat technique y marquèrent votre passage. Et dire que vous aviez pour coéquipiers des figures du beau jeu comme Recoba ou Pirlo. Avec ce dernier, vous alliez échouer au bout de quelques saisons chez l’ennemi : le Milan AC. Où un ancien de la maison devenu entraîneur, et après avoir fait parler de lui à Parme et à Turin (Juventus), allait enfin vous permettre de passer vos plus belles années de Game Maker. En compagnie des Maldini, Boban, Kaka, Costa et Pirlo donc, le beau jeu devenait une réalité. Et conquérait l’Europe avec trois finales européennes dont deux victorieuses au bout.
Durant ce séjour, vous eûtes le temps de démontrer votre panoplie de footballeur total, sachant défendre et attaquer en même temps, pouvant distiller des ballons, provoquer la faute meurtrière, faire marquer et marquer. Le tout avec le sourire et la disponibilité d’un seigneur.
Maintenant que vous avez accepté de venir travailler au Cameroun, je suis incapable de prédire ce que sera votre séjour connaissant mes compatriotes. Pourriez-vous avoir les mains libres dont vous avez besoin ? Aurez-vous les moyens de votre politique du beau jeu et de l’offensive ? Personnellement, j’avais pensé quand la question du choix du sélectionneur s’était posée qu’il serait bon de faire confiance à un local et de lui permettre ce que l’on permit en 1985 à un Français du nom de Claude-Marie Leroy. Qui put choisir dans notre championnat, alors mieux organisé et plus populaire, de jeunes louveteaux qu’il allait transformer en adultes magnifique à force de discours, de stages, notamment au Brésil, et de compétitions domestiques ou presque comme la coupe de l’UDEAC. Je suis donc dubitatif. Et ce même si votre carrière de terrain parle pour vous. Je le suis également parce que changer de tunique et de position sur le green n’est pas aisé. Certes vos contemporains français Zidane et Deschamps y sont parvenus ; tout comme des anciens comme Ancelotti, Capello ou Valdano qui vous ont entraîné. Même si votre contemporain et compatriote Blind n’y est pas parvenu. Bonne chance donc, et surtout ne perdez pas votre sens de l’engagement et de l’honneur. Notre sélection engoncée dans les abymes en a besoin.
Parfait TABAPSI