L’Afrique est un continent de paradoxe. La démographie y est jeune, extrêmement jeune, mais les dirigeants sont âgés, voire très âgées. 2/3 des habitants en Afrique ont moins 30 ans, tandis que la moyenne d’âge des dirigeants est de 80 ans. L’âge médian au Cameroun est même de 19 ans!
Comment la communauté de jeunes pourtant majoritaire a perdu la bataille face aux vieux?
Évidemment la réponse qui coulerait de source c’est que la majorité des pays africains sont des dictatures et que les vieux se maintiennent au pouvoir par la force. C’est peut-être vrai, mais à mon sens les recettes de la victoire des (vieux) dirigeants sont beaucoup plus subtiles… Si les vieux continuent de dominer, c’est parce que les jeunes n’ont pas (encore) réussi à établir un rapport de force pour inverser la tendance. Les jeunes présentent des tares, défauts et handicaps (parfois encouragés par les vieux dirigeants) qui ne leur permettent pas d’être aptes pour le combat. Citons quelques-uns :
1. LE FATALISME
Beaucoup de jeunes pensent que leur avenir repose entre les mains d’une autre personne qu’eux: Un ami, un oncle, une Elite de son village, un membre de sa communauté tribale ou linguistique ou un gouvernement. Cela créé une paresse mentale qui empêche de trouver des solutions par soi-même, parfois à portée de mains et des frustrations anesthésiantes et paralysantes quand les attentes des solutions par autrui ne sont pas assouvies. Au mieux, ils se contentent de peu et refusent de pousser l’effort plus loin. L’obtention d’un matricule à la fonction publique, d’un dépannage ponctuel, d’une “sardine” ou d’un job précaire qui lui permet d’avoir son nyama sonne souvent la fin du combat.
2. LES DIVERTISSEMENTS
L’Afrique est un vaste espace de divertissement. On se divertit partout et à tout moment. Quand je suis de passage en France, je suis impressionné par l’engouement à la lecture des jeunes français. Ça lit partout: Dans les trains, métros, parcs, salles d’attente, cafés, domiciles, etc… Les jeunes vont au cinéma, aux musées, aux expositions d’art, etc…
Ici chez nous, les jeunes restent au bar. Depuis l’instauration de la journée continue, les jeunes (travailleurs) commencent à boire dès 16h, voir avant, alors que dans l’ancien système, ils entraient dans les débits de boisson la nuit tombée ou le week-end.
Depuis 30 ans, il y a une explosion des bars au Cameroun. Ces débits de boisson ont en plus la particularité d’être très bruyants, empêchant les échanges et discussions constructives et canalisant uniquement vers la luxure et l’étourdissement. Pour compléter le tableau, sport, musique et sexe accélèrent l’émerveillement des jeunes. Les réseaux en sont le reflet : 90% des posts, commentaires et discussions en Afrique tournent autour des sujets libidineux et récréatifs. Du coup la culture générale des jeunes est faible, inférieure à celle de leurs parents malgré l’abondante documentation à leur portée. Les vieux au pouvoir plus outillés intellectuellement, les dominent.
3. ÉGOÏSME, DIVISIONS ET REPLIS IDENTITAIRES
Chaque jeune pense qu’il peut se contenter de qu’il a ou bien il réussira tout seul ou par le biais des siens (famille, communauté). Cela donne lieu à un faible engagement pour des causes communes (l’éducation, l’eau l’électricité, les prix des denrées alimentaires, la protection du consommateur, les transports, etc…) et un engagement fanatique pour des causes partisanes (parti politique, défense de sa région ou de sa communauté, etc…)
Ainsi face aux vieux, ils apparaissent divisés, émiettés, fragilisés. Bien qu’en infériorité numérique, ces derniers n’ont plus qu’à appuyer sur les leviers du pouvoir pour décontenancer ces jeunes mal inspirés, mal organisés et déboussolés.
Si cette tendance se poursuit, il n’y aura jamais de transition intergénérationnelle en Afrique. Après les vieux, ce sera encore les vieux. Il ne restera plus qu’aux jeunes les fêtes de la jeunesse à célébrer.
Bonne fête quand-même !
Roger ETOA