
L’une des batailles les plus virulentes contre le néocolonialisme de l’Afrique se joue à Dschang, entre la France et le Cameroun, pour le contrôle de l’Alliance Franco-Camerounaise de Dschang (AFCD).
A l’Alliance Franco-Camerounaise de Dschang (AFC), l’argent appelle des convoitises. Pour l’exercice 2020, l’Alliance Franco-Camerounaise de Dschang a arrêté un budget équilibré en recettes et en dépenses à la somme de 245 089 925 FCFA dont 15% attendu comme subvention de l’Ambassade de France. Seulement la gestion de ce budget fait saliver certains.
Personne de ceux qui ont assisté à la séance de travail du 11 février, dans le bureau du préfet du département de la Menoua, ne nous dira le contraire. Parmi les « dignitaires », le maire de la Commune de Dschang, le Recteur de l’Université de Dschang, le président du conseil d’administration de l’Alliance et les membres de son équipe. Objet de la réunion : médiation de la crise née de l’exclusion du directeur Jean Willy EKOM EBANGO d’une part, et de la décision de non reconduction du contrat du cabinet d’audit, d’expertise et de conseil PM Consulting.
Que retenir de cette séance de travail ? Que les « dignitaires » de la ville de Dschang ont posé un seul principe : chasser le conseil d’administration d’une association dont ils ne sont ni membres ni bailleurs de fonds afin de s’installer. Ils ne se sont pas voilés la face, devant un préfet tourbillonnant, pour exiger des administrateurs légalement élus par l’assemblée générale en date du 28 octobre 2020 pour un mandat de deux ans renouvelable qu’ils démissionnent ou se fassent jeter en prison.
Voyons comme on en est arrivé à cette crise.
Jean Willy EKOM EBANGO a été proposé, selon certaines sources sous anonymat, par l’Ambassade de France, en remplacement pour remplacer Elie POUDEU sous qui les examens de langue avaient été suspendus pour des cas de fraudes avérés. Le nouveau directeur est donc commis pour « restructurer l’AFC de Dschang », selon les propres termes de Yann LORVO (Conseiller de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France, COCAC) à Yaoundé. Il a pris ses fonctions vendredi 10 juillet 2020 en présence des autorités administratives dont le Préfet de la Menoua, MBOKE Godlive NTUA.
Quelques semaines seulement après l’arrivée du nouveau directeur, l’ambassade de France recrute un cabinet d’audit comptable et financier. Parce que, dit-elle, la gestion est à l’emporte-pièce. L’audit financier et comptable initié en octobre 2020 couvre la période 2018-2020 et est effectué par le cabinet PM Consulting S.A.R.L dont le siège est à Douala. La prestation coûte à l’AFCD une bagatelle de près de 20 millions de FCFA.
En fait, il ne s’agit pas seulement d’un audit, mais de plusieurs autres marchés imposés par l’ambassade par la voix de son Conseiller aux affaires culturels. Ainsi l’AFCD s’est trouvée dans l’obligation de souscrire un marché de rédaction du manuel de procédures, de février à mars 2021, contre une enveloppe de 4 250 000 FCFA dont 2 125 000 FCFA effectivement payé au cabinet.
Passé le délai du contrat, le prestataire n’a pas livré le manuel. Le 22 juin 2021, lors d’un conseil d’administration en présence de Yann LORVO, COCAC, Pierre MAYAK sollicite un moratoire et l’obtient. Passé ce nouveau délai et après plusieurs tentatives infructueuses de rentrer en possession du document, et sous la pression des membres qui exigent la présentation du rapport d’audit, l’Alliance somme le cabinet de restituer l’argent perçu pour cette prestation. Alors commencent les problèmes.
Entre temps, l’Ambassade de France a imposé que le cabinet PM Consulting signe un contrat d’accompagnement et d’assistance à l’AFCD. La période de contrat court du 15 décembre 2020 au 15 décembre 2021 tel que contenu dans le contrat d’assistance administrative et financière de l’AFCD signé en date du 14 décembre 2020 par Pierre MAYACK (PM Consulting) et Albert DONGMO TSOBENG (AFCD). L’Alliance doit verser au prestataire la somme de 10. 000 000 FCFA, tous comptes faits. Ce qui est fait. Le cabinet s’engage à établir un bilan à l’ouverture, à concevoir un système de reporting mensuel, et effectuer une revue périodique de la comptabilité, à paramétrer la comptabilité, à réaliser un inventaire du patrimoine de l’AFCD. Six mois après aucun rapport n’est produit.
La mission d’accompagnement et d’assistance se transforme, à la demande de l’ambassade de France, en celle de gestionnaire de l’Alliance. Ainsi, le cabinet devient le juge de l’opportunité des dépenses et l’ordonnateur des dépenses. Il ferme tout accès du conseil d’administration au code d’accès au compte de l’association. Le cabinet convoque et organise des réunions avec le personnel, sans en informer le conseil d’administration.
Jean Willy EKOM EBANGO, le directeur s’en était d’ailleurs offusqué : « Tout est piloté par le cabinet d’audit, c’est le cabinet qui renvoit l’état des besoins avec les annotations », avait-il saisi le président du Conseil d’administration.
Selon nos sources, cette intrusion orchestrée par l’ambassade de France a fait perdre à l’Alliance environ 30 000 000 FCFA. Face à ce déficit incompréhensible, le conseil d’administration décide de commettre à son tour un audit indépendant et informe l’ambassade de France. Le service culturel de l’ambassade lui oppose un refus catégorique.
Et le directeur dans ce brouhaha managérial ?
A un moment donné, le conseil d’administration a émis des doutes sur les compétences du directeur. Il se serait toujours refusé de fournir son CV. La fréquentation de l’Alliance a chuté de 1000 membres à environ 300. Le climat de suspicion entretenu dans ses relations avec le personnel a favorisé des mouvements d’humeur du personnel. Il s’est fait remarquer dans l’enregistrement des personnels, autorités de la ville membres du conseil d’administration. Lesquels enregistrements il envoyait au service culturel de l’ambassade de France.
« Après des mois de bataille contre l’opacité entretenue par le cabinet et le directeur sur les pièces comptables, nous y avons eu accès et ce que nous y avons vu est tout simplement scandaleux », s’exclame le président dans un note à laquelle Sinotables a eu accès.
En effet, les artistes locaux accusent le directeur, en pleine assemblée générale, d’exiger des rétrocommissions pour percevoir le soutien que leur accorde l’Alliance. Le cas de Jasmin SONGOUANG a été vécu par l’assemblée générale de mi-parcours tenue le 3 novembre 2021 comme un véritable scandale. Le directeur a tenté de se justifier par le fait que l’Alliance, sur instruction de l’Ambassade de France, ne verse pas de l’argent en espèces, mais règle les factures. Pourtant il est vite rattrapé lorsqu’on se rend compte qu’il a débloqué 1 900 000 FCFA pour un autre artiste.
Rupture du contrat liant l’AFCD au cabinet PM Consulting.
Fort de ce que le cabinet ne produit pas les résultats attendus, le conseil d’administration de l’AFCD réuni en date du 27 novembre 2021 en session extraordinaire a exclu toute hypothèse de reconduction du contrat de PM Consulting. Se fondant sur l’incapacité de ce cabinet à fournir les prestations pour lesquelles il a perçu de l’argent. Par la même occasion, le Conseil d’administration a demandé qu’un appel soit lancé en vue du recrutement d’un comptable. Le 23 décembre, le bureau du comptable a été scellé. Dans la perspective d’un audit indépendant avant la rentrée culturelle fixée au 5 janvier 2022. Or le 1er janvier, ledit bureau est cambriolé après que son mur a été éventré.
Entre temps, un cabinet d’avocats (ETHA-NAN & Co), au nom de l’ambassade de France, fait bloquer les comptes de l’AFCD. Justifiant cette action par : « Nous venons d’être informés par les tiers d’une décision unilatérale du Conseil d’Administration de l’AFCD portant licenciement de Monsieur EKOM EBONGO Jean Willy qui occupait le poste de directeur de cette association depuis juillet 2020. » Cette réaction répressive de l’Ambassade de France empêche à l’association de s’acquitter de ses obligations vis-à-vis du fisc, de ses employés, et même des partenaires dont le C CCI-Paris. Il y a également à la base de cette fermeture, la décision du conseil d’administration de ne pas reconduire le contrat de PM Consulting. Sans oublier l’exposition d’un cas qui devrait déranger : des évaluateurs du projet FSPI (Fonds de solidarité pour les projets innovants) sont arrivés à Dschang flanqués pour évaluer un projet dont l’Alliance n’a aucune connaissance. Le projet en question aurait-il été réalisé ailleurs qu’à Dschang. A l’ambassade de répondre.

Lors d’une assemblée générale, les membres ont été choqués d’apprendre que leur association a versé pour le compte de 2019-2021 plus de 200 000 000 FCFA à deux partenaires français, le FEI et le CCP, pour les examens de langue française. En retour, l’AFCD a reçu seulement 25 000 000 FCFA à tire de subventions.
Voici donc le dossier qui est sur la table du gouverneur de la région de l’Ouest. La Commission régionale ad hoc d’enquêtes administratives commise par AWA FONKA Augustine séjournera à Dschang vendredi le 11 mars pour faire la lumière sur ce dossier. Elle devra entendre chacune des parties impliquées, examiner les éléments de preuves de chacune d’entre elles et se prononcer dans un délai de 15 jours à compter de la date de la tenue de cette séance.
L’Alliance est une association de droit camerounais et seuls les membres ont le droit d’élire des hommes et des femmes pour les représenter au conseil d’administration. Une association que l’ambassade de France ne saurait reverser dans le panier la mairie comme l’a souhaité Yann LORVO. Une association structurée dont on ne saurait partir du quartier pour venir demander à ses représentants légaux de démissionner en bloc, sous peine de se faire jeter en prison.
Pour mémoire, la Charte de l’Alliance Française (décembre 2021), en son article 2 stipule que, « la communauté Alliance Française est composée : – des Alliance Française en activité dans le monde, entités de droit local bénéficiant du label Alliance Française octroyé par la Fondation des Alliances Française à Paris. » En son article 4, la même charte précise que : « chaque Alliance Française déploie son activité dans le cadre défini par ses statuts, le droit local et sous l’autorité de ses représentants légaux (…) ». Puis, la même charte, en son article 11, paragraphe 3 stipule que : « Les représentants légaux de chaque Alliance Française sont seuls responsables, légalement et moralement, de la gestion de l’association. Ils assurent, conformément aux dispositions prévues par les statuts de l’Alliance, le pilotage stratégique et la supervision de l’ensemble des activités de l’établissement. Des délégations de pouvoir peuvent être données au directeur. »
Augustin Roger MOMOKANA