André Takou Saa était l’artiste invité d’honneur de la 6e édition du festival des causes nobles du 22 au 26 octobre 2019. Il est monté sur la scène trois fois et à animé un atelier d’initiation à la performance qui a reçu des jeunes artistes de Dschang.
Les participants lui ont décerné le titre du Noblissime, tandis que le comité d’organisation lui a réservé le trophée du leadership dans la catégorie de la culture.
André Takou Saa a partagé avec notre reporter son idée de la performance, ses combats et son amour du travail.
Qu’est-ce qui vous donne envie de vous lever très tôt le matin ?
C’est celui de détruire les murs que les hommes érigent devant eux, devant leurs semblables. Les murs pour barrer les autres, les murs comme égoïsme, les murs comme frein au développement de l’autre. Briser ces murs pour voir ce qui cache derrière, briser ces murs pour montrer aux gens qu’à travers ces murs il y a autre chose.
Que faites-vous lorsque vous n’êtes par sur la scène ou dans les amphithéâtres ?
Beh ! J’essaie de cogiter sur le monde. J’essaie de voir quelle peut-être ma contribution à l’évolution de l’humanité. Et cette humanité passe d’abord par la petite cellule familiale. Tout commence là. Parce qu’il faut assumer le lendemain des autres. Et quand vous êtes un élément de référence sur qui tout le monde s’appuie pour pouvoir vivre, du coup vous voyez cette responsabilité et ce n’est pas évident. Du coup il vous faut cogiter aussi pour voir comment trouver les moyens de subsistance, non seulement pour vous-même mais pour votre progéniture, votre famille, les gens qui sont à votre charge, les gens à qui tu dois apporter de l’aide, apporter de l’appui ; parce que en tant qu’acteur social tu es aussi au devant de la scène. Et ça il faut l’assumer car, que tu le veuilles ou non les gens viendront à toi.
Bref il s’agit de cogiter pour voir comment défier les vicissitudes de la vie.
Je cogite pour réagir sur le monde. Parce qu’il faut le dire mon travail est une réaction à l’actualité. Mais encore pour pouvoir prendre en charge la société.
C’est quoi, pour vous, un spectacle ou un festival réussi ?
Pour moi un spectacle ou un festival réussi c’est l’événement qui a créé de l’émotion en des gens, où les gens sont repartis transformés, où on a parlé aux gens, où à travers les actions qui ont été menées on a pu éclairer ces personnes, on leur a apportés quelque chose dans leur vie. Ce n’est pas parce que vous avez sauté à 10 mètres, ce n’est pas parce que vous vous êtes enroulés au sol que vous avez réussi. Non ! C’est là où on a pris l’humain en tant que tel dans son être, dans son développement. Parce que l’art a pour finalité l’homme. C’est pour transformer l’homme. L’art doit parler à l’homme. Il doit lui permettre de se découvrir. A partir de l’art des questionnements doivent jaillir de lui. On se remet en question. Un spectacle ou un festival réussi est celui-là qui a contribué à construire l’homme, contribué à éclairer un pan de sa vie, ou à l’éveiller sur d’autres choses qu’il ignorait. Les autres apports, matériels, financiers, et autres sont juste des habillages pour que l’action se fasse. Globalement il doit contribuer à transformer non seulement notre perception, notre univers, mais aussi l’Homme en tant que être.
A quel moment précis décidez-vous de faire carrière dans l’art ?
En tant que professionnel engagé, c’est en 1985. Mais déjà en 1980 j’ai commencé ma formation. J’ai fait cinq ans de formation ; et je côtoyais beaucoup plus le théâtre, la danse, la musique. Parce que étant encore dans les mouvements de jeunesse, étant à l’école tu ne pouvais pas dire que c’est réellement ce que tu fais, mais j’étais déjà engagé. Mais en 1985 je me suis totalement engagé et j’ai commencé à vivre de l’art. J’ai tourné la page. C’était un engagement tout à fait résolu.
Comment avez-vous vécu votre première scène d’acteur ?
J’ai tout juste restitué ce que j’avais à faire par rapport aux indications du metteur en scène ou de la création. Et c’est au bout de plusieurs représentations que je commence à comprendre le pourquoi du spectacle. En tant qu’acteur on vous donne beaucoup d’indications et vous restez sur les lignes. Je n’avais pas encore cette enveloppe de sortir de la boite. Tout vient avec l’expérience, et au fur et à mesure vous prenez la responsabilité d’assumer ce que vous êtes entrain de faire en tant qu’acteur.
Dites-moi, pour quoi avez-vous décidé d’axer votre atelier de création sur la patrie ?
Le pays est en pleine mutation. Politiquement parlant. Si bien que tout ce dernier temps on assiste à beaucoup de remous sociaux dans le sens des révoltes, des revendications. Tout cela a pour cause la malgouvernance de notre patrie. Et lorsque j’ai été contacté par les organisateurs du festival des causes nobles- compte tenu du thème : la participation de la société civile au développement local- j’ai commencé à réfléchir. Je me suis dit pourquoi ne pas penser à notre pays. Qu’est-ce que en tant qu’artiste je peux apporter. Parce que s’il y a des remous c’est parce qu’il y a le mal être. Au bout de toutes les propositions faites par le promoteur à travers des mots récoltés au travers des associations qui devaient prendre part au festival… sa préoccupation était comment est-ce qu’on peut parler de notre pays à travers le vivre ensemble ? J’en suis parvenu à une synthèse et c’est le mot « patrie » qui a surgi. En fait je voulais parler de patrie en tant qu’appartenance à une entité globale qui est le Cameroun. Que l’on se sente appartenir à ce Cameroun ; et que « les manipulations politiques » qui emmènent ce peuple à se diviser, ou alors qui instrumentalisent ce qu’on appelle aujourd’hui le tribalisme puissent battre de l’aile. Mon rêve était de dire exaltons notre multi ethnicité, notre multi culturalité pour avoir ce juste sentiment d’appartenir à une même patrie.
Quel regard avez-vous du comportement de ces jeunes dont la majorité n’était jamais montée sur une scène ?
Je pense que c’est le plus intéressant car il faut démystifier l’art. Il faut démystifier la pratique artistique. Ça m’a plu. Parce que j’aime me frotter à la difficulté, j’aime me frotter à l’inconnu. J’aime me frotter à l’univers qui n’est pas forcément le mien. Ces jeunes font parties des associations présentes au festival, et, ils ont fait montre de leur disponibilité et ensemble on a communié. Le message est vite passé. Ils ont vite compris où on voulait aller. Sans trop d’à priori. Ils sont été volontaires. C’était sincère, naturelle et juste ce que nous avons fait ensemble. Il y a eu des jeunes qui ont cherché à savoir ce que c’est que ce travail. Est-ce qu’ils peuvent s’y intéresser et réussir. Ils n’avaient vu cela. A défaut de pouvoir le pratiquer ils peuvent au moins en parler. Ils peuvent devenir des acteurs majeurs qui accompagneront l’art parce qu’ils sont éveillés.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA