
« L’A(e)ncre mémoires : territoire, corps et développement local » est le thème de la 6e édition de la Biennale internationale MODAPERF ouverte à Dschang, au Cameroun, jeudi 16 novembre 2023.
On a joué avec le temps. Le remonter jusqu’à l’époque de la lutte pour l’indépendance. Une page douloureuse que l’on n’a pas fini d’écrire avec l’encre du terroir.
« Je sais que dans les années soixante, il y a eu environ 1 million de morts dans cette guerre contre les réalités de l’indépendance. Mémoriser dans la rue de cette façon, avec une performance aussi forte, le silence observé dans une ville camerounaise en plein jour, cette façon de tout stopper, de faire un tour dans le passé pour mémoriser ceux qui ont été tués à une certaine époque, de comprendre que ces choses se sont déroulées sous les regards des gens (…) j’ai reçu Félix Roland MOUMIE en photo, ça m’a touché. »
Ce corps exposé est une exhumation imaginaire du drame de la lutte pour l’indépendance du Cameroun. Le corps, imaginaire, représente toutes ces têtes qui étaient tranchées en brousse et exposées ici dans le but de mettre en garde les résistants.
« C’est un spectacle que j’ai créé, mais dont la matière substantielle ne m’appartient pas. Elle appartient à la communauté grassfields. Elle appartient aux peuples du Cameroun. Je suis obligé que mon corps soit la plume, que ma sueur soit l’encre, que la mémoire et le souvenir de chaque personne de ces communautés soient les pages (…) et que le lecteur soit ces enfants, ces lycéens qui ont été là pour vivre ce spectacle et qui vont raconter différemment l’histoire de la ville dans laquelle ils sont entrain de grandir ».
Toutou le conteur a, dans le cadre de la 6e édition de la Biennale Internationale MODAPERF, décidé de créer une performance qui remet la cruauté humaine et l’horreur qui en découle au goût du jour, dans le but d’honorer les mémoires qui dorment sous le poteau électrique planté au cœur du rond-point de l’Entrée du Marché A de Dschang.
Il a fallu à l’artiste conteur près d’une heure de temps, pour réaliser le rituel d’offrande et d’installation des crânes des défunts qui reposent en ce lieu depuis la fin des années 50.
L’écriture n’est pas uniquement occidentale, elle est mémorielle et corporelle et vocale. Ainsi, mieux que tout livre, le publics sortis du marché, les usagers de cette rue, les commerçants alentours se sont obligés à verrouiller les comptoirs le temps du spectacle.
La performance a touché aussi bien les élèves, les commerçants, les artistes que les promoteurs artistiques et culturels présents. Il s’est agi d’une alliance corps, mouvements et parole. Devant un public crispé par cette tranche de l’histoire méconnue de sa ville.
A l’issue de ces deux premiers haltes de la journée, Kertin ORTEMEIER ne s’est pas du tout emballée : « ce que j’ai vu aujourd’hui, en ouverture et dans la performance, est vraiment encré dans l’espace, dans le territoire et c’est tellement important pour les gens d’ici mais aussi pour nous en tant que professionnels internationaux qui viennent ici de pouvoir vivre l’histoire sur place et de pouvoir mémoriser, se rappeler, mais aussi comprendre qu’est-ce que cela fait entre nous aujourd’hui, entre les rapports entre l’Afrique et l’Europe ? Comment est-ce qu’on peut dialoguer ? Comment est-ce qu’on peut travailler ensemble ? Comment on peut repenser le futur dans le présent», a expliqué la directrice d’Africologne à Sinotables.
De nombreuses activités, spectacles, ateliers, masterclass, détentes, sont prévues jusqu’au 19 novembre, date à laquelle la caravane de la biennale se transportera à Yaoundé pour le bouquet finale. Il consistera en la phase finale du battle MODAPERF.
« N’urinez plus jamais ! Plus jamais sur ce poteau. Plus jamais ! Si vous ne les avez pas tués de leur vivant, vous avez tué leurs mémoires. En venant pisser sur ce poteau, en venant uriner vous salissez la mémoire d’un peuple. Vous déposez votre honte au-dessus de leurs têtes ! »
Augustin Roger MOMOKANA