Il y a lieu de sauver l’éducation publique au Cameroun. Elle est entrain de mourir à une vitesse vertigineuse, au détriment de l’éducation privée. « La campagne Go Public Fund Education visa à encourager les Etats à financer de manière adéquate l’éducation publique qui est un droit fondamental. Et qui dit droit fondamental dit devoir régalien de l’Etat. C’est un domaine de souveraineté qui ne devait pas souffrir des difficultés qu’il connait aujourd’hui » : KAPTCHE Désirée.
Au Cameroun, la marchandisation et la privatisation ont un impact négatif considérable sur l’éducation publique. Sous la pression des institutions de Breton Woods (Banque mondiale et Fonds monétaires internationale), le gouvernement s’est désengagé de sa mission régalienne qu’est l’éducation.
« Il n’est pas surtout question du pourcentage du budget de l’Etat ou du produit intérieur brut, mais il est surtout question de l’adéquation des financements avec les difficultés que connait le système éducatif camerounais », a souligné KAPTCHE Désirée à Sinotables.
Le 10 avril 2024, dans la cadre de la campagne pour le financement adéquat de l’éducation au Cameroun, une coalition des syndicats d’enseignants (FECASE, FESER et SYNTESPRIC) et des responsables d’Associations des parents d’élèves et d’enseignants (APEE), appuyé par l’International de l’Education, ont disséqué la problématique de la performance de l’éducation publique au Cameroun.
Dans son exposé sur l’étendue de la privatisation et de la marchandisation de l’éducation au Cameroun, MBALLA EBOGO a démontré les ravages du néolibéralisme sur notre système éducatif. L’intervention de l’Etat sur l’éducation devenant dérisoire et a pour corollaire la baisse significatives du financement public de l’éducation.
Entre 2019/2020 et 2020/2021, on note une tendance à la hausse de 12% de la proportion des établissements secondaires privés, soit de 1354 à 1519 établissements créés, soit 165 établissements créées ; contre 1% seulement pour l’enseignement secondaire public passant ainsi de 2756 à 2790 établissements.
« L’école publique est devenue le pis-aller des parents qui préfèrent l’éducation privée et cela pas parce qu’ils le veulent, mais parce que tout est fait pour qu’ils n’aient pas d’autre choix que d’envoyer leurs enfants dans les écoles privées. Du coup cette campagne vise à sensibiliser les parents, la communauté éducative et toutes les parties prenantes de la société, mais surtout l’Etat de revoir sa politique quant au financement de l’éducation publique au Cameroun parce que ça devient un problème lorsque l’enfant court le risque de ne pas aller à l’école parce que son parent n’a pas le moyens de l’envoyer à l’école privée et que au public on lui demande un minimum qui finalement n’est pas le minimum », a indiqué KAPTCHE Désirée .
Dans le secteur de l’éducation primaire, l’effectif des élèves dans les écoles primaires privées a augmenté de 70%, soit 20044 élèves ; tandis que le secteur public a connu une hausse de 7% soit seulement 2366 élèves ; et celui du préscolaire a connu hausse de 34,2%, ce qui représente 11444 élèves enregistrés.
Cette privatisation de l’éducation a pour conséquence est la marchandisation du savoir. Cette dernière est, à son tour, révélatrice de deux grandes curiosités : la première curiosité jaillie sur les résultats des examens officiels 2022 où les établissements privés confessionnels tiennent le peloton de tête. Ce sont dans l’ordre le Collège Jean Tabi, le Collège François-Xavier Vogt, le Collège Libermann, le Lycée technique et agricole de Yabassi, le Collège catholique Saint Benoît, le Collège Sonara, le Lycée technique et agricole de Lagdo, le Collège bilingue Duvaal, le Collège de la Retraite, le Collège bilingue Adonaï.
« Nous pouvons solliciter l’aide du privé, mais il ne faudrait pas que les privés deviennent ceux-là qui conduisent l’éducation de la nation. Si nous prenons la ville de Yaoundé qui compte actuellement 522 établissements, nous constatations 43 établissements du secteur public contre 479 établissements privés. Ce qui fait un ratio de 7% contre 93%. Ce n’est pas normal quand on sait que c’est l’Etat qui est le garant de l’éducation. »
La seconde curiosité est que les établissements qui dominent la tête du palmarès sont situés dans les deux principales métropoles du Cameroun : Yaoundé et Douala. Ces villes sont celles où le pouvoir d’achat est élevé. Et donc on y recrute des parents capables de débourser de fortes sommes d’argent pour la scolarité de leurs enfants.
En termes de coût de la scolarité, en scrutant le cas du Collège François-Xavier Vogt situé dans la ville de Yaoundé, l’on se rend compte que le parent qui y inscrit son enfant a le succès garanti. Pour cela il doit payer une contrepartie financière à la hauteur de ses attentes, soit 240 000 FCF (premier cycle en externat) ou 690 000 FCFA (premier cycle en internat); et 250 000 FCFA (second cycle en externat) et 700 000 FCFA (second cycle en internant).
« Cette abandon de l’éducation n’est pas en faveur du développement du Cameroun. L’abandon pousse les établissements publics à donner le minimum de ce qu’ils peuvent, du coup les résultats ne peuvent pas suivre. Et si les résultats ne suivent pas, le classement ses établissements publics à l’issue des examens de l’Office du Baccalauréat du Cameroun ne serait pas bon. Ce classement que nous dénonçons parce que ce n’est pas un bon outil de management. On ne peut pas classer les établissements qui n’évoluent pas sur les mêmes bases. Il y a des établissements qui se trouvent dans les zones rurales, dans des zones de crises, on ne peut pas les comparer avec les établissements qui se trouvent dans les zones urbaines dont Douala et Yaoundé qui ont tout pour produire de bons résultats », explique MBALLA EBOGO.
Conscient de cette dérive de l’Etat, un groupe de travail de haut niveau mis sur pied par le secrétariat général des Nations Unies dans le but de « transformer la profession enseignante » a adoptés les 14 et 15 septembre 2023 un certain nombre de recommandations dont la synthèse a fait l’objet de la présentation de KAPTCHE Désirée. Non seulement le groupe de haut niveau est préoccupé par la pénurie d’enseignants dans le monde, mais aussi elle a à cœur de proposer des solutions pour l’amélioration des conditions de travail, le paiement des salaires adéquats aux enseignants.
Les recommandations faites par le groupe de travail des Nations Unies visent à rendre la profession enseignante attrayante, afin de stopper la signée et surtout de susciter l’intérêt chez les jeunes d’embrasser la profession ; et de garantir la liberté syndicale.
La campagne organisée à Dschang a permis aux présidents des associations des parents, aux enseignants syndicalistes de prendre l’ampleur de la crise de l’éducation publique en ce qui concerne son volet financement. Le déclin de l’éducation publique est le révélateur de la mauvaise santé du pays. Les acteurs formés ont désormais la lourde mission de se mobiliser pour faire pression sur l’Etat afin qu’il reprenne en main le financement de l’éducation publique.
« Si l’Etat accentue la lutte contre la corruption, cela peut apporter une bouffée qui pourrait mitiger la pression que lui imposent les institutions financières internationales, en améliorant la gestion des ressources internes cela pourrait donner des coudées franches à l’Etat pour pouvoir améliorer la qualité de l’éducation. C’est la raison pour laquelle nous appelons la société civile, les APEE, les syndicats à mener une lutte sans merci contre la corruption » soutient TOGNIA Landry.
En termes de la lutte contre la corruption dans l’éducation, l’on a souligné la promotion aux responsabilités qui ne respecte plus aucune règle si ce n’est de l’argent versé pour obtenir le poste. Les fonds d’APEE qui ne devraient être qu’un appui sont devenus les vrais financements de l’école publique. Parce que les ressources envoyées par l’Etat sont détournées par des agents publics véreux.
« En améliorant la qualité des ressources allouées à l’éducation, l’Etat est aussi interpellé pour accorder à l’enseignant la place qu’il mérite. »
Augustin Roger MOMOKANA