Nous avons un problème sérieux. Si on n’est pas capable d’influencer le pouvoir, le pouvoir va nous contrôler. Et aucun pays n’est arrivé à l’émergence avec une université comme celle que nous avons.
Les enseignants membres du Syndicat national des enseignants du supérieur (SYNES) étaient réunis à Dschang les 3 et 4 septembre 2020, à l’occasion du 3e Conseil national de leur organisation. Il ressort de cette assise que le SYNES dénonce le fait que les élèves issus de l’enseignement technique industriel n’ont pas à l’enseignement supérieur, en dehors de l’Ecole nationale supérieure de l’enseignant technique. D’où la nécessité d’avoir au sein des universités des facultés spécifiques qui permettraient à ceux qui font l’industrie de l’habillement, le bâtiment, etc. de pouvoir poursuivre leurs études après le bac.
Pour cette cause et bien d’autres, le SYNES revendique un plan d’émergence de l’université camerounaise, à travers la bataille pour la mise en place du gouvernement nouveau pour l’université qui est l’opposé de ce qu’on appelle gouvernance université. Cette dernière n’est, à la vérité, qu’une forêt qui masque la volonté politique de museler la recherche afin de contrôler la pensée.
Fridolin NKE est docteur en philosophie. Il enseigne au département de philosophie de l’Université de Yaoundé. Voici ce qu’il a dit à Sinotables au sortir du Congrès du SYNES :
« Le syndicat des universitaires, des chercheurs, c’est pour concevoir l’avenir. Parce que nous avons la responsabilité d’éduquer le pouvoir. Quelle est notre capacité d’indépendance ? Qu’on quitte la revendication de l’intestin pour arriver à la revendication du cerveau, de l’intelligence qui forge notre identité. Partir du basique pour voir. Si nous ne rêvons pas, nos étudiants sont aplatis. La deuxième démarche, élire nos responsables : chefs de départements, doyens, voir les recteurs on ne peut pas impulser une dynamique. Parce que nous sommes ravalés à la recherche des postes, nous sommes ravalés à la recherche des avantages. Nous sommes ravalés à la peur, et la peur amène toute cette médiocrité. Or si on a la capacité, si on a un potentiel critique qui nous rend indépendants, autonomes, alors le pouvoir pourra en bénéficier. Parce qu’on pourra apporter des propositions. Ce sera une université de propositions. Alors si tout cela est fait, on va même concevoir une autre démarche pédagogique, une autre démarche dans la recherche. Et puisque les universités vont s’organiser de manière autonome, elles doivent voir loin. Nous ne sommes pas seulement des universitaires. Nous sommes des citoyens. Et des citoyens dont on dit qu’ils sont une élite.
Nous avons un problème sérieux. Si on n’est pas capable d’influencer le pouvoir, le pouvoir va nous contrôler. Et aucun pays n’est arrivé à l’émergence avec une université comme celle que nous avons. Nous devons prendre le pouvoir par la révolution, mais la révolution de la pensée. Si on n’arrive pas à assurer cette veille critique, on va voir ce qui se passe là. C’est-à-dire des gens qui s’amusent à entretenir une industrie de cadavres, à entretenir la guerre, sans s’en rendre même compte. Or si les universitaires sont assez visibles sur la scène nationale on n’arrive pas à ce genre d’excès. Vu le fonctionnement de notre société il y a rien à faire. On va arriver à un moment au point culminant. On ne pourra plus reculer. Ils ne pourront même plus assumer ce qu’ils sont entrain de faire. Alors c’est à l’université d’anticiper sur les évolutions. Et c’est pourquoi si nous ne le faisons pas, la société civile va le faire et à la fin nous seront mis de côté. Nous qui étions supposés être la lanterne nous allons être ravalés au rang de simple observateurs. Nous ne sommes pas dans une démarche où on a décidé de tuer la pensée. Nous voulons au contraire la révolutionner pour éclairer le pouvoir sur les fondamentaux de la vie, c’est-à-dire le vrai, le bien, le bon.
Retranscrit par Augustin Roger MOMOKANA