Il est des matins heureux. Où vous vous dîtes que finalement le monde dans sa course folle vers son autodestruction proclamée prend un moment pour s’arrêter, ne serait-ce que pour reprendre son souffle avant d’amorcer ce qui peut s’avérer être son tournant fatal. Hier soir à Paris, il s’est passé quelque chose de formidable. Et pas seulement pour les footeux ou les amateurs de sport. Pour ceux qui aiment l’art et la manière, ce fut un moment comme il s’en trouve rare dans des sphères souvent imbibées au strass et autres paillettes.
Hier soir donc, la dernière édition du Ballon d’or a consacré un orfèvre du beau jeu, l’un de ces derniers grands artistes que ne sait plus produire que rarement le foot. Le Croate Luka Modric, du haut de sa finale de Coupe du monde perdue et de ses quelques buts en compétition l’année durant a été sacré. Et de loin, car il devance son suivant et non moins prédécesseur de plus de 300 points. Parti me coucher sans avoir regardé la cérémonie, j’ai été surpris après ce vote et son ampleur au lever, un peu comme avec l’élection du dernier président américain Donald Trump en son temps.
Le Ballon d’or de France Football, je m’étais fâché avec voici huit ans. C’était au sortir d’une autre coupe du monde. Où mon favori, autre artiste de génie, avait brillé de mille feux et aussi perdu la finale après avoir remporté la fameuse Ligue des champions de l’UEFA. J’avais eu mal en imaginant les larmes du Néerlandais Wesley Sjneider. Une déception qui a pourri la suite de sa carrière et empêché au monde d’admirer davantage ce qui lui en restait encore sous la semelle et qui aurait aidé sans doute à faire de ce sport une plus grande aventure humaine et un plaisir pour les yeux. Avait alors commencé la saga marketing de cette récompense dont l’histoire aura laissé au bord du chemin d’illustres artistes et créateurs (Xavi, Iniesta, Gerrard et autres Maldini) tous passés à la trappe de jurys successifs obnubilés visiblement par d’autres desseins.
La récompense d’hier à Paris m’a donc réconcilié avec cette distinction. À tous mes amis français qui s’y voyaient, ce fut également une belle leçon car ceux des Bleus qui figuraient sur cette liste ne me semblaient pas à la hauteur de cette distinction. J’étais d’autant plus content ce matin que j’ai achevé il n’y a pas longtemps la lecture de l’auto-biographie d’un autre joueur de légende et concepteur du football total comme on n’en voit plus beaucoup (Johan Cruijjf) et sobrement intitulé « Mémoires » (Paris,Solar Poche, avril 2018, 338 pages).
De Modric, je me souviendrais toujours de son Euro en 2008. Même si je n’avais pas suivi la compétition de bout en bout à l’époque, il m’avait frappé. Tout comme la sélection « Oranje » des Pays-Bas alors entraînés par le génial Marco Van Basten. Modric était encore à Tottenham et je m’étais dit qu’il viendra un jour où son art du maniement du ballon sera reconnu. Cela ne tarda pas avec son transfert au Real Madrid. Où il a depuis assis cet art et démontré que le foot était avant tout une aventure collective plus qu’individuelle. Lui qui met un point d’honneur à faire briller les autres. Lui qui déteste les gestes de trop, joue juste et peut aussi bien défendre, relancer qu’attaquer. Lui dont les yeux et la tête tout entière sont des outils les plus précieux de sa panoplie composée entre autres du beau geste, du dribble et du placement. Si d’aucuns en parlent comme d’un meneur de jeu, moi je vois plus tôt un 8 à l’ancienne. Du genre Iniesta son contemporain. Mais il me rappelle surtout un de ses devanciers à cette récompense : le Tchèque Pavel Nedved. Pas forcément celui de l’Euro 96 (dont l’association dans l’entrejeu avec un certain Radek Bejbl qui n’a pas eu la carrière que son talent méritait, et Karel Poborky fit merveille) mais cet infatigable travailleur qui ne perdait jamais sa lucidité technique malgré les courses au milieu de terrain de la Lazio Rome d’abord (en compagnie des Giuseppe Pancaro, Claudio Lopez ou Marcello Salas), puis à Juventus après le départ du merveilleux Zidane qui, je dois dire, méritait plus d’un Ballon d’or (notamment en 2000 et en 2006).
En décidant de le récompenser, c’est le foot créatif croate qui a également été honoré. Chacun a pu s’apercevoir durant le mondial russe ce qu’il en était. Des nostalgiques comme moi se sont même souvenus de l’équipe de Miroslav Blazevic qui avait fait sensation à France 98 avec le grand créateur Zvonimir Boban dit Zvone, accompagné qu’il était alors au cœur du jeu d’Aliosha Asanovic et de Robert Prosinecki. Avec à la clé de beaux matchs comme celui contre la RFA en 8è de finale où ils avaient vu leur travail récompensé. Une belle revanche car deux ans plutôt lors de l’Euro anglais, l’arbitre italien Pierluigi Collina les avait injustement privés de la demi-finale avec un arbitrage alambiqué et pour le moins complaisant en faveur de Mathias Sammer, futur meilleur joueur de la compétition et vainqueur du célèbre Ballon en fin d’année et ses coéquipiers.
Cette distinction d’hier a-t-elle pour autant signé la fin du Ballon d’or Marketing qui s’est échiné ces dix dernières années à récompenser des joueurs talentueux certes mais plus des robots obnubilés par les filets adverses que des constructeurs véritables, c’est-à-dire ceux-là qui percent les défenses via des passes au laser aussi déroutantes qu’inattendues, ou qui savent donner du rythme au jeu ou temporiser en cas de nécessité pour permettre justement à ces robots de se repositionner et permettre ainsi au jeu d’être plus fluide et moins dépendant de leur vitesse et rapidité d’exécution ? Je pense qu’il faut attendre encore d’autres éditions pour y répondre. Pour ma part, je ne cache pas mon bonheur, même si je dois vivre jusqu’à la prochaine édition en me demandant si les jurés sauront confirmer cette embellie qui se dessine au-dessus de cette récompense dont la durée est le signe même à la fois de son importance et de sa pertinence. Chapeau bas monsieur Modric.