Dr Armand Nghemkap est le délégué du Festival Komane pour la diaspora. Notre reporter s’est entretenu avec ce médecin urgentiste, résidant en France, qui nourrit une passion débordante de la culture. Il demeure optimiste quant à l’avenir du Festival du film éducatif et culturel de Dschang qui souffre d’un manque criard de financement.
Dr Armand Nghemkap, vous êtes à Dschang pour la troisième édition du Festival du film éducatif (Festival Komane) qui s’achève dans quelques minutes. Quelle impression générale partagez-vous avec nous ?
Nous sommes à la troisième édition. Une édition sous le thème de la contribution du cinéma camerounais pour lutter contre les AVC au Cameroun. Un thème éducatif. Le festival Komane est une manifestation qui a un volet éducatif et un volet culturel. Je garde de cette troisième édition une très bonne impression. C’est un festival qui depuis trois ans progresse. Le projet avance tout doucement et je crois que nous sommes sur la bonne voie. On a juste besoin que nous soyons accompagnés, soutenus massivement par le public pour que ce festival puisse grandir.
Qu’est-ce que le délégué de la diaspora que vous êtes fait pour contribuer au rayonnement de ce festival ?
Le délégué de la diaspora veille à ce que le message passe. Il passe le message qu’il y a dans ce festival un volet culturel qui intéresse la diaspora. Ce volet culturel qui consiste à découvrir et à faire la promotion du patrimoine culturel camerounais. Le message est entrain de diffuser au niveau de la diaspora. Il n’a pas encore pris toute son ampleur. Mais ceux qui ont reçu le message ont une réaction positive.
Combien de films nous viennent de la diaspora ?
Il y a deux films qui viennent de la diaspora. Il y a un film qui vient d’Afrique du sud et « L’Appel » de Patricia Nkwende qui réside à Paris. Donc la diaspora a effectivement participé avec deux films qui étaient en compétition.
Justement, pour quiconque a assisté aux projections, il est ressorti que les films de la diaspora présentent des qualités professionnelles indéniables, par rapport aux productions locales !
J’ai remarqué cette différence, notamment au niveau de « L’Appel » de Patricia Nkwende. On constate qu’on a une meilleure qualité d’image. On voit que le cadrage est différent. Il en est de même pour le son. Malheureusement, je me rends compte que les productions locales souffrent beaucoup d’un problème du son qui s’est quand même amélioré par rapport à la première édition, mais qui subsiste. Au niveau de la diaspora ils semblent travailler avec un matériel technique qui leur permet de surpasser ces difficultés-là.
Est-il envisageable que Komane production acquiert à cet effet un matériel de haute facture pour les mettre à la disposition des réalisateurs désireux ?
Komane est un bébé qui est entrain de grandir. Ce n’est pas possible dans l’immédiat de pouvoir acquérir un tel matériel. C’est quand même un matériel qui coûte très cher. La structure Komane est tout à fait naissante. Mais elle a dans ses ambitions d’acquérir du matériel pour améliorer ses productions.
Puisque vous parlez des ambitions, quel serait l’ambition de la diaspora pour le festival Komane ?
L’ambition de la diaspora pour le festival Komane c’est surtout cette mobilisation, et profiter du festival Komane pour faire la promotion du riche patrimoine culturel camerounais. Mais le Komane a aussi une ambition pour la diaspora, c’est-à-dire que le festival Komane souhaite servir de plateforme de partage, d’échange de compétences entre les frères et sœurs camerounais résidant dans la diaspora et les camerounais du pays, que ce soit au niveau des jeunes débutants qu’au niveau des professionnels. C’est cet échange qui nous permettra de progresser, de faire nettement évoluer le cinéma camerounais qui commence déjà à connaître un petit renouveau. La courbe descendante est déjà entrain d’amorcer son ascension grâce à cette belle vision du cinéma camerounais qu’apporte le cinéma Komane. Une vision éducative, et une vision également culturelle.
On l’a relevé, le festival souffre énormément de manque de financement, Armand Nghemkap !
Oui le festival souffre d’un manque de financement. Parce qu’il est financé par des fonds propres. Je rappelle que le festival Komane est un projet de l’AJAC (association des jeunes acteurs du cinéma camerounais). C’est ces jeunes acteurs camerounais qui, jusqu’à présent, mettent leurs sous pour pouvoir faire vivre ce festival avec beaucoup de difficultés. Moi je suis Dr Armand Nghemkap, je leur apporte un tout petit soutien pour qu’ils puissent avancer. Mais ce soutien que j’apporte n’est pas suffisant. Nous souhaitons un soutien institutionnel du ministère des arts et de la culture. Qu’il nous apporte un soutien financier pour qu’on puisse avancer dans nos objectifs. On souhaite aussi le soutien de la communauté, notamment de la mairie de Dschang pour qui le festival est devenu un patrimoine culturel. On voudrait faire de Dschang une ville cinématographique de référence dans les années à venir. Et bien évidemment on souhaite aussi un soutien des élites. Je comprends que lorsqu’un projet est naissant, il faut quelques années d’observation pour voir s’il y a un certain sérieux, si les ambitions qui sont fixées ne sont pas des ambitions aventureuses. Je comprends aussi qu’on peut être en retrait parce qu’on observe pour savoir comment agir. Je souhaite que pour la quatrième édition, que tous ceux qui nous observent puissent nous prêter main forte.
Envisagez-vous des partenariats avec d’autres festivals à l’étranger pour que non seulement vos meilleurs films soit diffusés là-bas, mais aussi pour des échanges de compétences ?
Ça fait partie des ambitions du Komane. C’est des choses qui se font déjà. Mais il faut que les choses aboutissent. Les choses ne se font pas comme ça du jour au lendemain. Mais il faut dire que ce ne sont pas les festivals étrangers qui viendront financer le festival Komane. Parce que les festivals eux-mêmes ont déjà des difficultés de financement. Beaucoup de films qui ont été découverts au Komane ont été présentés à des festivals étrangers.
La réflexion a relevé le penchant pour les cinéastes camerounais à préférer publier leurs films sur les réseaux sociaux au lieu de programmer des projections en avant-première et les sorties officielles comme cela se fait normalement dans le cinéma.
Les représentants du ministère des Arts et de la culture ont tenu une conférence sur comment rendre le cinéma rentable. On notait que certains cinéastes préfèrent mettre leurs œuvres sur youtube, sans aucune rentabilité et se plaignent par la suite qu’ils sont victimes d’une certaine piraterie, alors qu’ils pourraient, dans un premier temps, faire diffuser leurs œuvres soit à la télévision soit dans les salles de cinéma. Mais cette réflexion a trouvé ses limites parce qu’on sait très bien qu’il y’a très peu de salles de cinéma. On sait aussi que la piraterie est un fléau dans le cinéma camerounais, tout comme dans la musique d’ailleurs.
Qu’est-ce qui, d’après vous, ces artistes recherchent à travers les médias sociaux ?
Je ne pense pas que diffuser son film sur les réseaux sociaux est une source de rentabilisation. Il y a peut-être une faible rentabilité, mais elle ne pourrait en aucun cas couvrir les frais de production. Je pense qu’ils recherchent plus la visibilité, c’est-à-dire sortir de l’ombre et trouver une certaine visibilité. Parce que je pense que lorsqu’on produit une œuvre on a besoin qu’elle soit diffusée et appréciée. Cette façon de diffuser expose les œuvres à la piraterie.
Vous êtes médecin et vous avez tenu à ce que la sensibilisation aux AVC fasse partie du programme du Komane. Quelle importance vous accordez à ces campagnes ?
Oui je suis un médecin urgentiste. J’ai dans mes combats de médecin la lutte contre les AVC. Je suis dans le cinéma parce que je pense qu’il ne doit plus cantonner dans sa fonction de divertissement. Le cinéma devrait être un outil éducatif de la santé. Et dans les activités du festival Komane qui se déroule sur trois jours, j’ai tenu à ce que ce volet santé, sensibilisation, éducation pour la santé, information et messages de prévention dans les lycées et collèges de Dschang et de ses environs. Parce que si on veut faire passer un message de prévention pour sauver des vies il faut cibler la jeunesse. C’est cette jeunesse qui va diffuser, qui va transmettre ce message de prévention dans les cercles familiaux et qui pourra par la suite diffuser ces messages à leur progéniture et à leurs descendances. Et c’est comme cela que, rapidement, de génération en génération, on va adopter un autre mode de vie. A savoir un mode de vie qui épargne de la malbouffe, qui privilégie une alimentation saine et équilibrée et qui permet d lutter contre la sédentarité. Parce que ce sont ces deux modes de vie-là qu’il faut adopter si on veut éviter l’AVC. Aux élèves du lycée technique de Foréké-Dschang je leur ai aussi donné les notions sur les signes annonciateurs de l’AVC et sur les facteurs de risque de l’AVC notamment l’hypertension et surtout les dangers qu’elle regorge la consommation de sel.
Lorsque l’artiste musicien congolais Papa Wemba est mort, vous avez déclaré que les élèves du lycée de Fonakeukeu auraient pu lui sauver la vie. Avez bien été reçu cette année au lycée technique de Foréké-Dschang ?
Ça été un accueil triomphal. A la deuxième édition du Komane la sensibilisation a porté sur le lycée de Fonakeukeu et le lycée classique de Dschang. L’accueil au lycée technique de Foréké-Dschang a été chaleureux d’autant plus que ma notoriété m’a précédé. Le fait que j’avais déjà sensibilisé dans les établissements scolaires de la région, beaucoup en était informé et quand je suis arrivé ils étaient très ouverts à cette campagne de sensibilisation. Ils m’ont réservé un accueil convivial, un accueil fraternel et je remercie le proviseur pour cette chaleur humaine avec laquelle il a accueilli ma délégation et dans laquelle vous aviez Mami Ton qui est la marraine de la troisième édition du festival du film éducatif et culturel de Dschang.
Quelle est l’importance d’avoir une marraine ou un parrain pour un événement comme le Komane ?
La première importance c’est donner la visibilité à l’événement, la deuxième c’est de donner la crédibilité à l’événement, la troisième chose, une marraine comme Mami Ton donne la légitimité à l’événement. Le festival est à sa troisième édition et on a vu défiler à Dschang Essola, Oncle Otsama et aujourd’hui Mami Ton. On a voulu Mami Ton pour que ce soit une actrice actuelle qui passe sur les écrans, que la jeunesse actuelle reconnait, s’identifie.
Alors que l’édition se referme, avec quels souvenirs partez-vous de Dschang ?
Je pars de ce festival avec un très bon souvenir. Parce que cette édition, vu l’absence de financements que nous avions, était une édition qui s’annonçait très difficile sur le plan de l’organisation. Mais on a là une réussite parce que tout le groupe Komane est volontaire. En passant je dois leur remercier pour les énormes sacrifices pour que cette édition se tienne. Je pense que la quatrième édition sera encore plus belle.
Vous avez déclaré que Komane devient un patrimoine culturel de la ville de Dschang. Quel est le message que vous souhaitez adresser à la municipalité de Dschang ?
J’ai rencontré le maire de Dschang, Sa Majesté Donfack Beaudelaire lors des festivités couronnant les 20 ans de l’amitié Nantes-Dschang. Ça s’est déroulé à Nantes et je l’ai rencontré avec toute son équipe. Nous avons discuté de l’intérêt et des bienfaits d’avoir un festival comme Komane à Dschang. C’est vrai qu’il m’a dit qu’il était très satisfait de l’organisation annuelle de ce festival Komane dans la ville de Dschang et qu’il allait peser de tout son poids afin que ce festival puisse se poursuivre avec le moins de difficultés. Je l’ai rencontré il y a deux jours à la mairie. Il nous a fait comprendre que la mairie avait quelques difficultés de la trésorerie, et que c’est cela qui avait rendu sa démarche un tout petit peu difficile. J’ose espérer que pour la quatrième édition les difficultés de la commune de Dschang auront connu une amélioration pour qu’on puisse avoir ce soutien attendu de la mairie. Un festival dans une ville est un patrimoine parce qu’il fait connaître la ville dans le monde entier.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA