Quel est l’impact du covid-19 sur l’industrie du tourisme ? Dr Dongmo Temgoua Bertrand répond aux questions de Sinotables. Spécialiste des relations internationales du Cameroun (IRIC), titulaire d’un doctorat en science de gestion à l’Université de Nantes, spécialiste développement et management du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration et des loisirs, représentant Cameroun du Centre Mondial d’Excellence des destinations, Dongmo Temgoua Bertrand est enseignant-chercheur à l’Institut des Beaux-arts de l’Université de Douala.
Quel regard portez-vous sur la pandémie à coronavirus qui tourmente la filière touristique depuis décembre 2020 ?
Un regard perplexe ! Tant la surprise a été totale pour moi comme pour la majorité des personnes d’ailleurs. Pour les acteurs du tourisme comme pour ceux de tous les autres secteurs majeurs de l’économie, cette pandémie force à un minimum de modestie et d’humilité et exhorte à une remise en question de nombreux « acquis structurels et organisationnels » dans presque tous les domaines.
Annulation de voyages, mise en congé technique de personnels, fermeture temporaire de certaines entreprises. Le tourisme est-il une filière en faillite ?
Si on considère toute de la chaîne de production, c’est-à-dire l’ensemble des activités complémentaires qui concourent à la réalisation du produit ou du service touristique d’amont en aval, oui on peut parler de tourisme en tant que filière.
A la question de savoir si elle est en faillite, difficile d’apporter une réponse tranchée. Des avis pertinents ont été apportés ici et là, depuis le déclenchement de cette pandémie, notamment sur son impact économique en général et sur le tourisme en particulier. Cependant, on peut tous s’accorder sur le fait que le tourisme est effectivement un des « macro-secteurs » les plus gravement touchés. D’après un rapport de l’OMT datant du 28 avril, des restrictions liées à la COVID-19 sur les voyages sont maintenant en place dans 100 % des destinations mondiales. https://www.unwto.org/fr/news/covid-19-restrictions
Cela indique à suffisance la profondeur, si non l’ampleur des dégâts. Pour être modéré et garder espoir d’une relance rapide, on peut dire qu’il y a une faillite temporaire ou latente. Mais pour être plus réaliste, il y a une faillite que je qualifierais de faite. De nombreuses entreprises déjà en difficultés ou même en cessation de paiements ne pourront se remettre de cette situation. Au Canada par exemple qui est un pays développé l’on estime qu’un tiers (1/3) des PMEs pourraient disparaitre avec cette pandémie. Au niveau mondial, dans une de ses publications le 6 avril dernier, la Coface estime ces faillites d’entreprises à 25 % en 2020, alors imaginons ce que cela pourrait être dans les pays dits en développement. A ce sujet, le récent rapport du GICAM publié le 22 avril fait état de 92% d’entreprises camerounaises qui ont déclaré que la pandémie du Covid-19 a un impact très négatif sur leurs activités. Parmi ces entreprises nombreuses sont celles du secteur du tourisme. Par ailleurs, le Conseil mondial du voyage et du tourisme estime à 75 millions, le nombre d’emplois menacés à travers le monde.
Le manque à gagner dû à l’arrêt soudain des activités met les entreprises en manque de trésorerie pour faire face aux charges incompressibles dont les salaires. Cette illiquidité qui dure depuis 2 mois déjà a eu raison de nombreuses PMEs, et va finir par achever même les plus tenaces et, l’effet domino aidant, toute la filière et même d’autres secteurs comme la finance, l’énergie, l’agroalimentaire, l’agriculture… si les choses restent en l’état.
Quelles sont les clés nécessaires pour comprendre les effets de cette crise au plan touristique ?
• D’abord la transversalité de la filière tourisme
Le tourisme ou l’industrie du tourisme implique d’autres secteurs d’activité avec lesquels s’entretiennent des relations d’interdépendance. Cela dit, le moindre impact dans l’un des secteurs contributifs à des répercussions sur l’ensemble de la chaîne des valeurs touristiques et vis-versa. Raison pour laquelle cette pandémie suscite de l’inquiétude et laisse envisager des mois de disettes économiques dans le secteur. En réalité, de la santé recouvrée d’autres secteurs, dépendra celle du tourisme, et vice-versa.
• Ensuite, la culture de la mobilité, qui est un phénomène caractéristique de notre modernité.
L’un des fondamentaux sociétale de notre modernité s’exprime à travers la capacité d’aller et venir partout où on le souhaite. Cela pour la découverte, pour les raisons professionnelles, la recherche, les études, les visites à des proches immigrés partout dans le monde, les rencontres sportives, religieuse… La mondialisation est d’ailleurs venue rendre le monde en « village planétaire » où aller d’un bout à l’autre de la terre se fait plus rapidement et dans des meilleures conditions possibles, grâce au perfectionnement des moyens de transport et l’infrastructure d’accueil disponible dans différents lieux du monde.
• Enfin, l’importante contribution du tourisme dans la production totale d’un pays.
L’Organisation Mondiale du Tourisme aime à qualifier le tourisme de première industrie au monde et considère qu’en moyenne 11% des emplois dans le monde sont générés par le tourisme. De nombreux pays en Afrique par exemple comme la Tunisie, le Maroc, le Kenya et même l’Egypte qui en ce moment est en train de rouvrir ses hôtels pour sauver son tourisme et partant son économie https://www.financialafrik.com/2020/05/04/covid-19-legypte-rouvre-ses-hotels-pour-sauver-son-tourisme/, ne peuvent pas se permettre de voir le secteur faire faillite.
Dans les faits, la limitation de la mobilité domestique comme internationale (vacances, d’affaires, loisirs, pour évènementiel culturel, enterrement, funérailles, dot, mariage, sport (championnat, coupe, compétions internationales…) entrainent des manques ayant un impact négatif sur la production des produits et services touristiques et sur leur consommations (hébergement, restauration, bar, discothèque, musée et autres lieux de visites…). Ce qui a des répercussions sur le chiffre d’affaires, et donc sur les résultats, déficitaires dus aux charges incompressibles souvent lourdes dans la branche de l’hébergement par exemple…Les conséquences vont entrainer la faillite des entreprises (hébergement, restauration, transport…) et une dépréciation de toute la chaîne des valeurs. L’agrégation au niveau macroéconomique peut entrainer inflation, déficit de balance de paiement, chômage, baisse de croissance économique….d’où le recours par les États dont le nôtre au Fonds Monétaire International…
Comment les États doivent-ils procéder pour gérer avec efficience les pertes d’exploitation ou les manques à gagner accusés par les acteurs touristiques ?
Cette question peut être vue sous un prisme idéologique, notamment à travers le débat économique autour du rôle de l’Etat dans l’économie. L’économie doit-elle être totalement libérale et laisser seul le marché décider de tout ou être planifiée par l’état qui définirait alors les priorités et les orientations du marché ? Il semble qu’aujourd’hui, l’approche keynésienne qui prône l’implication de l’Etat comme régulateur là où le marché peine à proposer des solutions soit salutaire… Finalement, le bien-être des populations constituant le véritable enjeu, dans un contexte de développement durable où l’humain et l’environnement forme avec l’économie le triptyque majeur, il importe que l’Etat soit présent et même fortement impliqué pour juguler les effets dévastateurs de cette crise. C’est d’ailleurs suite aux mesures gouvernementales que la crise sanitaire s’est muée en crise économique. Difficile donc pour l’Etat de rester observateur.
L’Etat doit venir en aide par des mesures d’accompagnement de toute nature utile. Il doit pour cela puiser dans ses réserves, ou si non être contrainte à recourir à l’emprunt. Heureusement qu’un moratoire de service de la dette extérieure a été accordé au Cameroun et en ces temps difficiles, cela constitue des fonds disponibles pour appuyer les entreprises et les ménages. On remarque dans l’ensemble des pays, des initiatives, fiscales, financières (facilités d’emprunts), monétaires (injection de liquidités…)… en vue de corriger les effets de la crise sur l’économie réelle. Le secteur du tourisme du Cameroun vient de bénéficier de certaines mesures visant à atténuer les effets de la crise chez les professionnels du domaine. Je pense que la fameuse « taxe de séjour » qui a toujours été difficilement appréhendé par les hôteliers a fait l’objet de réaménagement, entre autres.
Quelles décisions PERTINENTES, à votre avis, un pays comme le Cameroun devrait-il prendre pour sauver l’industrie du tourisme?
Le Cameroun doit concrètement contribuer aux charges des structures formelles, cela tout le temps qu’il faudra pour qu’elles résistent en prévision d’une relance prochaine. N’oublions pas que le Cameroun est supposé accueillir des évènements sportifs d’envergure très prochainement et c’est toute la filière touristique qui est au premier rang. Il s’agit d’un engagement pris par l’Etat qui à mon avis n’a pas d’autre choix que de mobiliser des fonds pour le maintien de la filière.
Cependant, au-delà de la résilience qui est nécessaire et prônée lorsqu’on parle de sauvetage ici et là, il semble plus pertinent d’ouvrir le débat sur les opportunités de reconfiguration qu’offre cette situation. D’ailleurs mon collègue tunisien du Centre Mondial d’Excellence des Destinations (CED), l’ancien Ministre Jamel Gamra est persuadé qu’« il ne s’agit pas de mettre l’entreprise entre parenthèses tout au long de la période que durera la réclusion sanitaire, mais de la reconfigurer, totalement s’il le faut pour appréhender le Nouveau monde qui va naître ! »
Pour ma part il y a effectivement nécessité de revoir les modèles structurels et économiques du tourisme au Cameroun… Les nouveaux modèles devront intégrer le tourisme domestique comme axe important et le Gouvernement doit y jouer un rôle majeur à travers l’organisation de nombreux événements administratifs en dehors de Yaoundé siège des institutions, par exemple. Les universitaires et chercheurs camerounais du domaine, des professionnels et autres entrepreneurs du tourisme, les autorités locales administratives et traditionnelles, et toutes les autres composantes de la société civile devront être consultés pour une conceptualisation qui prenne en compte l’ensemble des tenants et des aboutissants pour une reconfiguration adaptée à nos réalités et à nos aspirations. Un chantier lourd certes, mais indispensable pour bâtir le tourisme camerounais et le rendre concurrentiel. Ce chantier a commencé dans la plupart des pays et chez nous, qu’en est-il ? C’est le lieu de signaler que pris individuellement, des choses sont faites ici et là. Je peux par exemple citer le gros travail que le RETAC (Réseau des Experts du Tourisme en Afrique Centrale) vient de réaliser en produisant un « livre blanc » intitulé : le covid-19 : impacts sur le tourisme en Afrique centrale et mesures de relance. Il S’agit d’une réflexion globale pour l’ensemble de la sous-région et cela est à encourager en ce sens qu’elle favorise une synergie d’action.
Certains économistes parlent globalement d’une chance pour les pays africains. Quels ressorts l’Afrique doit-elle actionner pour sortir relookée de cette pandémie ?
Les médias font effectivement échos des initiatives africaines que ce soit dans la proposition de médicaments curatifs ou préventifs comme c’est le cas de Madagascar avec son produit Covid-Organics qui fait l’objet de commande venant d’autres pays d’Afrique. La CEDEAO a montré un exemple fort en termes de priorisation des solutions africaines…
Que ce soit dans la proposition d’outils ou mécanisme permettant d’observer les mesures barrière, le génie africain se dévoile aux yeux du monde. La fermeture des barrières est entrain de favoriser l’artisanat et la petite industrie locale, car ne pouvant plus importer facilement, de nombreux produits sont confectionnés localement (masque, solutions hydroalcooliques, dispositifs de lavage des mains…) Dans les hôtels, restaurants et autres lieux publics à essence touristiques, des nouvelles habitudes naissent et vont sans doute se maintenir après la pandémie…
C’est une grande occasion d’échanges réels intra Afrique et tant mieux si de cette pandémie il en sortira des nouveaux circuits d’échanges intra-Afrique.
A signaler que le Maroc aujourd’hui se positionne comme le deuxième producteur mondial de masque après la Chine et exporte au-delà du continent et surtout aux Etats-unis…
Au-delà des gains économiques que peuvent réaliser ces pays qui saisissent cette opportunité pour se démarquer, l’image d’une Afrique qui apporte des solutions à l’échelle mondiale constitue un enjeu important dans la perspective de la prochaine reconfiguration géopolitique mondiale.
En somme, l’Afrique doit profiter pour concrétiser l’intégration économique à travers les échanges liés au Covid-19 dans un premier temps et aux autres produits et services par la suite. Cela permettra de maintenir sur le continent une grande partie de sa richesse financière et de rendre ses institutions plus fortes et aptes à se prendre en charge sans l’aide parfois avilissante de l’Occident.
L’industrie du tourisme c’est l’hôtellerie, la restauration, le transport, les agences de promotion, mais aussi l’événementiel tels que les compétitions sportives, les festivals et les congrès. Quelle analyse faites-vous de l’impact du Covid-19 sur chacun de ces groupes les plus touchés ?
Sur la base des éléments de réponses apportées plus haut et en reprécisant la transversalité du domaine, hôtellerie, restauration, transport, agence de promotion d’événementiels… ont un sort étroitement lié. Nombreuses d’entre ces structures vont disparaitre, celle que les sciences économiques qualifient d’entreprises marginales. Dans le transport aérien par exemple, South African Airways, la grande compagnie nationale Sud-Africaine qui était au bord de la faillite vient d’être sauvée par l’Etat qui a exclu toute tentative de liquidation. Qu’en sera-t-il pour les compagnies publiques ou privées qui n’auront pas cette chance ? Comme je l’ai mentionné précédemment, le Cameroun qui entend abriter prochainement des événements sportifs à grande échelle va devoir se mobiliser en conséquence pour maintenir toute l’infrastructure hôtelière et de restauration nécessaire. Cela suppose aussi de maintenir un niveau de ressource humaine de qualité…
A quoi ressemblera l’industrie du tourisme au sortir de la pandémie ?
Elle ressemblera à ce qui est en train de se concevoir en ce moment au sein des centres de recherche, des organisations touristiques et d’autres structures de réflexion. En Amérique et en Europe, des réflexions et des appels à publications scientifiques sont lancés en rapport avec le tourisme post-covid-19. Nul doute que de ces réflexions jailliront des modèles qui pourront être implémentés ou pas à grande ou à petite échelle. En ce moment, la commission de l’OMT pour l’Afrique y travaille aussi et a lancé des initiatives visant à proposer des projets pouvant permettre non seulement de limiter l’impact du Covid-19 mais de permettre une relance et une meilleure gestion du tourisme à l’avenir.
Le 6 mai 2020 à Genève, cinq organismes voués au transport aérien international et au tourisme ont lancé un appel aux institutions financières internationales, aux partenaires de développement des pays et aux donateurs internationaux afin qu’ils soutiennent le secteur des voyages et du tourisme en Afrique, qui emploie quelque 24,6 millions de personnes sur le continent africain.
Je dois aussi dire qu’au niveau de l’université je crois savoir que le Pr. Tsafack Nanfosso et l’Université de Dschang semble très préoccupé par le devenir du tourisme dans la région au sortir de la Pandémie. Sans oublier cette initiative du RETAC que j’ai mentionné plus haut…
Difficile et voire impossible de dire avec certitude et précision à quoi ressemblera l’industrie du tourisme après le covid-19, mais une chose est certaine, les choses ne seront plus pareilles qu’aujourd’hui. Autant sur un plan individuel que collectif, certains acquis d’antan vont disparaitre et laisser émerger de nouvelle façon de concevoir et d’opérationnaliser le tourisme. De nouveaux modes de gouvernance, de nouveaux leaderships portés par de nouvelles catégories d’acteurs autres que l’Etat, comme cela reste fortement le cas des pays en développement, vont sans doute émerger de cette situation.
Quel rôle la coopération pourra-t-elle avoir à jouer dans la construction des nouveaux paysages touristiques ?
La pandémie du covid-19 à quel que peu montré combien la coopération internationale était fragile et la solidarité dont on pouvait s’attendre à son égard semble avoir fait défaut. On peut bien comprendre que la soudaineté, la rapidité et la violence avec laquelle la pandémie a sévi a engendré une panique et poussé chaque pays à se refermer sur soi pour essayer de se trouver. Par ailleurs, des instances de cette coopération surtout multilatérale n’ont pas fait l’unanimité dans leurs différents discours, jetant le discrédit sur leur intention et suscitant dès lors une certaine méfiance. Difficile dans ce cas de jouer un rôle de mobilisateur à l’égard des différentes communautés pour la reconstruction. Heureusement que L’Organisation mondiale du tourisme a su dès le début montrer le bien-fondé d’un confinement qui visait à préserver des vies et la santé pour mieux voyager demain. Elle pourra donc continuer à mobiliser et à impacter significativement pour la relance de l’industrie à travers le monde, car à mon avis, sa notoriété va s’accroitre aux yeux des pays et des populations. L’OMT fait effectivement partie avec l’IATA des cinq institutions qui unissent leurs voix pour demander aux institutions financières internationales, aux partenaires de développement des pays et aux donateurs internationaux de soutenir le secteur des voyages et du tourisme d’Afrique en cette période difficile par les moyens non exhaustifs suivants :
– Aide financière de 10milliards$ pour soutenir l’industrie des voyages et du tourisme et protéger les moyens de subsistance de ceux qui en dépendent directement et indirectement.
– Accès à autant de subventions et d’aide au financement que possible, pour injecter des liquidités et assurer un soutien ciblé aux pays gravement touchés.
– Mesures financières susceptibles de réduire les perturbations en matière de crédit et de liquidités au sein des entreprises. Cela comprend le report d’obligations financières existantes ou de remboursements de prêts.
– Mesures faisant en sorte que tous les fonds soient dirigés immédiatement vers les entreprises qui en ont besoin d’urgence, en allégeant autant que possible le processus de demande et en éliminant les obstacles normalement rencontrés dans le processus normal de prêt, comme la solvabilité.
De la proximité et du lointain, quelles perspectives envisager pour sortir les touristes de leur confinement, à considérer que la crise économique va impacter le pouvoir d’achat des ménages ?
Bien-sûr que la crise impacte et va continuer d’impacter le pouvoir d’achat des ménages. Il ne faut pas être économiste pour se rendre à l’évidence de cette dure réalité. Elle est mondiale, mais dans des pays développés les ménages reçoivent de l’argent liquide pour affronter la situation avec un peu plus de sérénité. Mais c’est presque dramatique dans nos pays dits en développement où une partie importante des ménages survie au jour le jour en tirant de l’informel tout ce qui peut servir de pitance quotidienne. C’est d’ailleurs pourquoi il est presque impossible dans ces pays comme tel est le cas du Cameroun de faire observer efficacement des mesures barrières.
Le Cameroun aura-t-il une offre suffisamment compétitive pour se lancer dans la course afin d’attirer les arrivées internationales ? Si oui comment procéder pour toucher directement les marchés émetteurs ?
En termes d’atouts, il est indéniable que le Cameroun à tout pour séduire. Le slogan adopté par le Ministère du Tourisme et des loisirs en dit suffisamment à ce propos : « Toute l’Afrique dans un seul pays ». Mais faut avant tout raisonner et fonctionner en termes de « destinations ». Cette expression que tout le monde utilise très facilement est pourtant un concept très technique et veut dire quelque chose de précis dans le lexique du tourisme. Certains préalables en termes de sécurisation des biens et des personnes sur les lieux de visite, les mesures incitatrices en vue de rendre les destinations compétitives par rapport aux autres destinations similaires dans d’autres pays de même potentiel, semblent encore faire défaut au Cameroun. Une fois ces efforts mis en place, le système de gouvernance de la destination doit être efficient. Il sera possible dès lors, de proposer des offres intéressantes en mesure d’attirer les touristes internationaux. C’est d’ailleurs le cas de signaler qu’en ce moment d’importants projets de mise en œuvre de véritables destinations de niveau international sont en gestation. Le Programme Route des Chefferies par exemple, mobilise d’ores et déjà des éléments nécessaires pour faire de l’Ouest Cameroun une destination touristique importante. Sous la base de ce modèle la Route du Sahel pour le septentrion, la Route des Seigneurs de la Forêt pour la zone forestière du pays, la Route de l’Eau pour les zones littorales et balnéaires sont des offres potentielles qui peuvent structurer le développement touristique et économique du Cameroun. Il faut que nous commencions à faire les choses comme cela se doit si on veut s’offrir une chance. Nous nous plaisons souvent à faire de la mauvaise bricole là où il y a lieu de faire de la bonne bricole, à défaut conceptualisation, de planification et de mise en œuvre rigoureuse.
Au-delà des pertes faut-il se féliciter de ce que la crise a favorisé la filière touristique, notamment en permettant aux écosystèmes surfréquentés (overtourism) de pouvoir de se régénérer le temps du confinement ?
Oui pour de nombreux pays développés où de nouvelles espèces animales sont apparues à proximité des habitats, profitant du calme et de l’absence des humains et de leurs activités parfois nocives et destructrices, pour trouver un peu de tranquillité. Je pense que des villes comme Amsterdam, Venise, le Cap… voient bien en ce confinement une opportunité de se régénérer. Par contre ce n’est pas forcément le cas pour des pays comme le Cameroun qui ne connaissent pas de véritable tourisme de masse.
Voyons comment le Covid-19 pourra impacter les futurs produits touristiques et les stratégies de marketing ?
La principale leçon qu’on peut tirer de cette situation est que pris individuellement aucune politique marketing ne sera plus dorénavant efficace. La preuve, tout le monde s’est refermé sur soi-même, un peu comme pour dire « sauve qui peut », car les politiques de promotion n’étaientpas suffisamment élargies aux destinations voisines pour n’en faire qu’une. Sur un plan marketing il sera désormais d’actualité de concevoir des politiques globales intégrant des espaces allant au-delà des frontières administratives d’un territoire, de tisser des alliances afin d’agir de manière concertée. Un circuit touristique peut par exemple intégrer des attractions situées à la fois au Cameroun, au Gabon et au Tchad. La promotion sera ainsi faite sur la destination sous-régionale et les administrations seront solidaires dans les prises de décisions pour le développement et en cas de crise. Il s’agit d’aller progressivement vers un décloisonnement des politiques marketing des destinations voisines.
Va-t-on assister à un bouleversement de la carte touristique mondiale… serait-il possible que de nouvelles destinations émergent au profit des vieilles ?
Celle qui vont résister au Covid-19 comme Madagascar semble être en bonne voie vont sans doute susciter de la curiosité et les autorités de ces pays doivent capitaliser cela. Il parait que Madagascar est d’ailleurs un pays exotique renfermant une grande biodiversité et favorable à des formes de tourisme durable comme l’écotourisme…. Je parie que la crise actuelle va booster son industrie et qu’elle va émerger comme une destination de choix à l’avenir. Il me semble que le gouvernement soit dynamique et tourné vers un développement endogène et cela leur fera surement un grand bien pour le futur.
Sortons par les besoins du Cameroun pour relancer son industrie du tourisme.
– La culture de la gouvernance des destinations à mettre en place.
– Le soutien financier inconditionnel de l’Etat à l’égard des professionnels du secteur actuellement en crise.
– Le soutien véritable des projets de construction de destinations comme la Route des chefferies, la Route du sahel, la Route des seigneurs de la forêt, la Route de l’eau.
– La concertation avec les experts du RETAC.
– L’implication des universitaires et chercheurs du domaine, dans la conceptualisation des modèles de développement touristiques dans une vision sous-régionale voire régionale.
– La consultation des autorités locales (administratives et traditionnelles).
– Le développement du tourisme domestique national et sous-régional…
– La mise en œuvre de stratégies markéting global avec l’ensemble des pays de la sous-région.
– L’acceptation d’un leadership de gestion des destinations incarné par d’autres acteurs opérationnels que les démembrements administratifs de l’Etat, celui-ci devant garder sa prééminence institutionnelle et s’assurer du respect des lois de la république par tous les acteurs…
– Le renforcement des moyens au sein de structures d’enseignements et de recherches comme l’Institut des Beaux-Art de l’Université de Douala à Nkongsamba qui dispose de filière de choix dans la formation de professionnel du développement et du management du tourisme culturel.
– Et bien-sûr d’autres mesures que je ne saurais prétendre pouvoir tout citer ici.
Je vous remercie pour votre disponibilité à répondre aux questions de Sinotables sur l’impact du Covid-19 sur le tourisme.
C’est moi qui vous dis merci d’avoir pensé que je pouvais peut-être partager mes connaissances avec vos lecteurs.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA