La semaine (13-20 mars 2019) de la Francophonie à l’Alliance franco-camerounaise de Dschang a été ponctuée par une série d’activités dont une conférence (le 20 mars) sous le thème « Francophone naturellement ».
Dr Achille Carlos Zango (Ecrivain/enseignant), Dr Jean Claude Tchouankap (Ecrivain/Historien), et Dr Rodrigue Ateufack (Enseignant-chercheur) ont, sous la modération de Hector Flandrin Fomba (artiste) permis à la cible en majorité les élèves des collèges et lycées de la ville de Dschang d’avoir une vue plus large de l’organisation internationale de la Francophonie.
Au sortir de cette conférence, Dr Jean Claude Tchouankap s’est prêté aux questions de notre reporter. Comment comprendre la crise anglophone à l’aune de la Francophonie ? Que gagne le Cameroun en adhérant à la Francophonie ? Pour quoi fallait-il [absolument] un Rwandais au secrétariat général de l’OIF ? Découvrez plutôt un regard d’historien sur la question.
« Francophone naturellement », voilà le thème qui vous a interpelé cet après-midi à l’occasion de la conférence marquant la semaine internationale de la Francophonie. Pour quoi et comment comprendre cette maxime, Dr Jean Claude Tchouankap ?
Nous avons dit que ce n’est pas au hasard qu’on a choisi ce thème purement affectif. Comme pour dire que c’est en évidence qu’on est de la Francophonie. Cette formulation affective est l’autre tentative de la France de nous naturaliser déjà francophones. On nous embarque dans un mouvement, sans nécessairement obtenir notre opinion.
Pour quelle raison le fait-elle ?
Je vois deux raisons essentielles. La France voit la Francophonie lui échapper. Parce que le socle qui est africain est entrain de lui échapper. On a pris l’exemple du Rwanda qui sort-revient-sort-revient sans être puni. Pour quoi ?
Je vous renvoie la question ?
Le Rwanda, géographiquement, est en Afrique de l’Est. Une partie du monde où les plénipotentiaires du monde actuel (Etats-Unis, Chine, et autres) sont entrain de chercher à conquérir. Nous avons vu Macron au Kenya qui n’est pas très loin du Rwanda. Nous avons vu Macron recevoir le ministre rwandais qui, par la suite, est devenu le secrétaire général de l’OIF. Ceci pour dire qu’aujourd’hui, plus que jamais, il y a tout un impératif pour la France de renforcer les liens de sa francophonie. Parce que créée comme instrument de rayonnement et de conquête du monde ça va également suivre la trajectoire de la France au cas où la France perd ce monopole ou ces stratégies-là.
Jules Ferry disait que si la France regarde dans le lointain la politique coloniale, la France perdra sa parole dans le monde.
Qui menace la France sur son « pré carré africain » ?
Ce sont d’autres puissances et je vous en ai citées quelques unes. J’ai eu l’opportunité de dire sur le plateau d’Afrique Média lorsqu’on discutait de ce qui se passait en RDC, que la RDC (Zaïre à l’époque) fût le principal sujet de la Conférence de Berlin en 1884. Je parle de ce qu’on appelle aujourd’hui RDC. Et on avait autour de la table 14 puissances. Plus de 14 autres puissances n’étaient pas à Berlin. La Chine n’y était pas. Les USA avaient presque le statut d’observateur. Cela veut dire que l’émergence de nouvelles puissances sur la même planète monde se bouscule. Ces nouvelles puissances contraignent la France à lutter pour consolider les liens avec son pré carré.
Nous avons longuement cité le Rwanda. Quel intérêt la France a-t-elle à confier le secrétariat général de la Francophonie à ce pays-là, quand bien même il y avait des bourdes dans le cercle ? Le Cameroun pouvait aussi rêver de ce poste-là, n’est-ce pas ?
C’est des préoccupations du futur. Avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, la France réussit à ce que Biya renforce la position francophone du Cameroun. Pour quoi est-ce que Ahidjo n’était ni dans la Francophonie ni dans le Commonwealth ? Parce que Ahidjo ventant les mérites du biculturalisme de son pays n’avait pas voulu qu’il y ait un monopole de l’un ou de l’autre. C’était sa politique. Tout comme en religion il a dit république laïque. Mais lorsque Biya arrive, il entre au Commonwealth. Il y a même eu un jour férié pour marquer cela dans l’esprit des Camerounais. Mitterrand l’a reçu en France, l’a mis à sa droite lors d’un sommet de la Francophonie où il a affirmé, à haute voix, la position du Cameroun.
Après tout ce que nous venons de dire concernant le Cameroun, vous pouvez comprendre que le Rwanda qui se détache de la France avec la crise de 1994, qui est la plus grande entre les deux, pour embrasser le Commonwealth avec tous les données. La France poussée dehors perdait un point stratégique d’ancrage dans cet espace qui va vers l’Asie. On peut dire Sénégal, Cameroun, ce sont déjà des acquis pour la France. Mais ce qu’on perd avec retentissement parce que la Grande Bretagne est arrivée et est confortablement installée, parce que la Chine arrive. Donc, aussitôt le Rwanda renoue avec la Francophonie, et Kagame n’est plus indexé comme… et la France n’est plus indexée comme dans le cadre de la crise de 1994. Il fallait tisser des liens plus élevés et dans la Francophonie il y a le poste de secrétaire général.
Que gagne le Cameroun à célébrer la Francophonie ?
Si je devais contextualiser cette célébration de la Francophonie, il faut une reformulation. Nous avons, à N’gaoundéré, donner l’opportunité de discuter de « notre part dedans c’est quoi ? » si bien qu’on n’était pas très affilié à leur thème qui vient de la France. Nous devons domestiquer l’instrument pour en tirer le peu de profit que l’on peut en tirer. On saisit cette opportunité pour faire la promotion des langues locales, du théâtre local. Nous lancions, par exemple, des concours de théâtre sur des thématiques africaines, et la France offrait des moyens pour les ateliers, l’Alliance offre ses salles pour créer des troupes théâtrales qui joueront les pièces qui ont remporté le concours. On fait la promotion du Cameroun et de l’Afrique, même si on parle en français. Je souhaite que cet esprit-là arrive ici, sinon en prenant ce qu’on vient de faire-là on est resté Français. Le concours de la dictée est en langue française. Or nous avons vu quelqu’un passer ici faire un concours en langues locales. On devait bénéficier de ces structures pour faire la promotion de nous. On ne peut pas nous dominer en tout, au point que nous ne restions qu’avec la seule couleur de notre peau. Parce qu’ils ne pouvaient pas changer cette couleur-là.
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Le Français, S.E. Jean-François Valette alors ambassadeur de France au Cameroun, qui a inaugurer la Salle Manu Dibango (2004) avait dit ce jour-là qu’on parlera davantage de l’Alliance euro-camerounaise. C’est-à-dire l’ensemble de l’Europe. Les allemands peuvent venir faire leur promotion. C’est d’ailleurs à partir de là que l’on a accueilli des livres allemands ici à l’Alliance. Il faudrait que nous essayions de recadrer nos philosophies. Parce que la France de tout temps a toujours chercher en les Africains la rallonge d’eux-mêmes.
Lorsque vous faites une relecture, aujourd’hui, de cette déclaration de l’ambassadeur Jean Pierre Valette, vous vous dites sûrement que l’on gagnerait à ce que l’Alliance devienne effectivement euro-camerounaise, n’est-ce pas ?
Cela devrait être aujourd’hui une préoccupation pour nous. Parce que si je prends l’apport de la mairie de Dschang par rapport à la promotion de l’Alliance, on est content. Si cela devait être régulier…parce que, en fait, le cordon qui nous tient c’est ce petit argent que nous recevons de la France. Lorsque la France assumait la direction de l’Alliance, son directeur un français gagnait 5 millions de FCFA mensuel. Vous multipliez cela par 12 mois pour avoir 60 millions de FCFA. Pour un budget, de l’époque, où l’apport de la France est de 30 millions FCFA. On paie quelqu’un 60 millions pour protéger 30 millions. Il y a illogisme sous tous les angles. Et nous allons rembourser cela par des sacs de cacao et de café, par du pétrole. Parce que cela fait partie du package de l’assistance française au Cameroun. La mairie qui donne aussi devait avoir un contrôle pour la promotion de ce qui est africain, camerounais là-dedans. Pour que lors des événements comme celui-ci on assiste à des spectacles qui posent des problématiques qui nous concernent directement dans notre environnement. Nous avons discuté, à N’gaoundéré, du problème du FCFA à l’Alliance.
Quel regard prospectif sur la francophonie ? L’avenir est-il enchanteur ?
Il y a des inquiétudes qui planent et la France en a déjà pris la mesure. Le drame de ce qui se passe dans le monde c’est que l’Afrique est le grand enjeu. Paul Fokam Kammogne parle de l’Afrique comme le terrain du jeu mondial. Il ne s’agit pas d’une découverte, mais d’une réalité qui date. La Conférence de Berlin n’a pas fini de poser des questions. Sur le plateau d’Afrique Média on m’a dit que la crise anglophone a deux ans d’âge. Je leur ai répondu qu’elle est vieille de 134 ans. Notre génération peut ne pas voir cela mais, sachez que tôt ou tard il faudra faire la lecture de l’histoire pour comprendre ce qui se passe dans la zone anglophone du Cameroun.
Esquissez quelques éléments pour permettre de comprendre votre position.
En quelques mots cela veut dire que le problème se pose parce que le Cameroun allemand a été divisé. Et de la manière dont les gens ont partagé leur gâteau on retrouve ces enjeux-là aujourd’hui. La Grande Bretagne a eu sa manière de faire son éducation là-bas. La France a eu sa manière de faire ici. Et la France de De Gaule a demandé à Ahidjo de tout faire pour franciser les Camerounais de la zone anglophone. La Francophonie est en bataille chez nous, et on peut comprendre tout cela. Chez nous il y a deux sous-systèmes. En éducation vous avez le système francophone et le système anglophone. Le jour où j’ai appris que le lycée bilingue où je croyais que tout le monde parlait anglais et français a anglophone à part, et francophone à part, je me suis tout simplement renversé. Qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas compréhensible. Nous avons une nation, mais on n’a pas formé la nation dans les hommes.
Vous devez bien vous moquer du Directeur général de la SONARA (Société nationale de Raffinage S.A) qui se félicite d’avoir instruit l’ouverture d’une section anglophone au sein du Collège/Ecole SONARA dans la cadre la politique du vivre ensemble et du multiculturalisme, Dr Tchouankap ?
Voilà une autre grossièreté. On fait de la répétition. Tant que nous serons dans deux couloirs distincts, les choses ne nous faciliteront pas la vie dans ce pays. On dit que le Cameroun est bilingue, mais on fait tout et tout pour que les Camerounais ne le soient pas. Nous avons encore superposition de langues : ça ne donne pas. Lorsque vous écoutez ce qu’ils appellent à la télévision journal bilingue, vous avez envie de crier sur votre toit. Comment peut-on faire deux journaux différents et les qualifier de bilingues ? Toutes monstruosités devaient changer. Il y a ceux qui sont extrémistes jusqu’à dire que le bilinguisme n’a pas fonctionné. Si chez nous on n’avait pas trop mis de la politique partout et en tout, si à l’heure de parler du bilinguisme on avait fait une fusion des langues…Moi j’ai un livre dans lequel les propos de De Gaule sont rappelés à Ahidjo : tout faire pour éteindre la partie anglophone. C’est la magie d’aujourd’hui. Yaoundé n’a qu’un seul comportement : ou ça vient de Yaoundé ou il n’y a rien. Et c’est pour ça que le président de la République est en contradiction avec ses premiers discours dans cette zone-là. On ne doit plus prendre le maquis pour exprimer ses opinions, mais le lendemain on frappe Fru Ndi parce qu’il veut exprimer ses opinions. Il dit qu’il faut débattre et non combattre. Aujourd’hui c’est le combat et non le débat. On dit main tendue, et en face on dit qu’on ne prend pas cette main-là. Où est donc le débat ?
C’est suicidaire ça !
On dit réconciliation parce qu’il y a problème, parce qu’il y a divorce. Parce qu’il quelque chose qui était concilié s’est détaché. Parce que quelque chose nous a séparés. En étudiant bien la francophonie notre problème est à l’intérieur. L’Algérie que les gens voient dans les rues aujourd’hui- les gens diront qu’ils ont protesté et on ne les a pas arrêtés- est le résultat d’une culture profonde. La France met pied en Algérie en 1830. Déjà à ce moment les algériens comment à dire « oui, mais ». En 1871 avec l’unification de l’Allemagne, l’enlèvement de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne, un million de Français vont arriver en Algérie. Mitterrand qui a quitté le pouvoir l’autre jour parlait de « Algérie française » jusqu’en 1954. Les Algériens ont pris l’arme pour dire que nous revendiquons trois choses : l’Algérie est ma patrie, l’arabe ma langue, et l’islam ma religion. Ce sont les trois choses que la France ne voulait pas entendre. Ces Algériens-là qui sont dans les rues aujourd’hui. Ce sont des gars qui ont fait une culture de eux-mêmes, avant de voir s’ils peuvent laisser entrer la langue française. C’est cette même bataille que Um Nyobe et les autres ont voulu mener ici, c’est-à-dire notre indépendance d’abord, et nous choisirons avec qui faire nos relations internationales. On les a envoyés dans la tombe. Vous comprenez que la bataille est encore là.
Nos problèmes, même ce qui se passe dans les régions anglophones, ont leurs relents de francophonie. On doit domestiquer le concept, le transformer et injecteur nos propres valeurs dedans.
Dr Tchouankap, Daniel Abwa dit qu’il n’y a que de camerounais, c’est-à-dire pas d’anglophone, pas de francophones.
Abwa Daniel est mon directeur de thèse. Je le respecte beaucoup. Mais Abwa Daniel a publié un ouvrage « Ni anglophones, ni francophones au Cameroun: tous des Camerounais!!: essai d’analyse historique en hommage au regretté Pr. M.Z. Njeuma». Ça a déclenché dans ma tête l’idée d’écrire un livre pour détruire ça. Un seul élément pour détruire : francophone et anglophone viennent d’où ? Qu’elle race chez nous s’appelait anglophone ou francophone ? Il s’agit du produit de notre histoire. Et s’il y a permanence de ce débat aujourd’hui, c’est que nous sommes mal décolonisés. Il faut donc revenir aux sources de notre histoire.
Merci, Dr Jean Tchouankap.
Je crois avoir satisfait à vos attentes.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA