Nous avons déjà énuméré dans nos précédents articles les différentes étapes du développement du médicament. Comme je l’ai déjà dit, notre point focal concernera la partie de ce développement qui est pratiquée avec l’homme comme sujet. Sachant que celle-ci se fait en quatre étapes dites phases (I, II, III, IV), nous allons expliquer dans cet article la méthodologie d’une phase I et essayer d’analyser les enjeux éthiques d’une telle pratique.
Dans une période où l’essai clinique est devenu un outil technique présenté comme nécessaire à une médecine objective, rationnelle, scientifique fondée sur des preuves, il n’est pas forcément inutile de revenir sur un passé encore assez proche où ce dernier suscitait encore tensions, frictions, réticences. Sa méthodologie, non figée, prend tout son sens lorsqu’elle se donne à voir dans ses prémisses et développements, pouvant justifier alors des inflexions propres, adaptées aux contextes sociaux, culturels et économiques, sans perdre de son « efficacité ».
Certains médecins-chercheurs ont été accusés de ne pas avoir respecté la conduite à tenir lors de toute expérimentation sur des sujets humains. En effet, les protocoles de recherche incriminés violaient en plusieurs points le code de conduite établi en 1947 lors du procès de Nuremberg, qui s’inspirait, entre autres, d’un code déontologique moins connu, arrêté par l’Association médicale américaine (ama) en 1946 : « Principles of Ethics Concerning Experimentation with Human Beings » (principes éthiques concernant l’expérimentation sur l’être humain).
Méthodologie :
Les essais de phase I incluent en général un petit nombre de malades (10 à 40) et durent habituellement entre un et deux ans. Leurs objectifs visent principalement à étudier la tolérance au médicament et à définir la dose et la fréquence d’administration qui seront recommandées pour les études suivantes. En plus des volontaires sains, certains services de cancérologie sont habilités à les mettre en place. En effet, une extrême prudence est ici appliquée pour assurer la sécurité des sujets (Patients). Le médicament à l’essai est administré par « Escalade de dose » et chaque palier de dose n’est administré que si la précédente est jugée sûre. L’administration est rapide si l’observation du sujet ne montre aucune toxicité (analyses physique, chimique, biologique… selon le profil de la substance à l’étude) et lente dans le cas contraire ; c’est-à-dire s’il y a apparition de toxicité. Fort est donc de constater qu’on doit attacher une extrême importance au respect de la dose au niveau de chaque palier car :
-Aucun bénéfice n’étant escompté, le patient ne doit en aucun cas être sous-traité.
– Afin d’éviter le risque d’intoxication, celui-ci ne devrait non plus être sur-traité.
Ainsi sous l’hypothèse que la dose optimale est la dose maximale tolérée (DMT), on recherche la Toxicité Limitant la Dose (DLT) en étudiant des sujets palier par palier. En fonction du pays dans lequel l’étude est mise en place des différences sont cependant à noter :
– USA : Dose la plus haute à laquelle on observe une fréquence de DLT acceptable.
– Europe Japon : Plus basse dose à laquelle on observe une fréquence inacceptable de DLT.
Ci-dessous la représentation schématique d’une Phase I pratiquée sur quatre paliers avec un résultat de :
* 0% Evènement indésirable grave (EIG) aux paliers 1 et 2 (dose X et dose X+1)
* 0,06% de EIG (1/6) au palier 3 (dose X+2) et
* 66,6 EIG (3/3) au palier 4 (dose X+3)
En considérant notre exemple, la MTL qui est la dose recommandée pour la phase II (RP2D) serait donc en Europe et au Japon X+3 et aux USA X+2.
Enjeux éthiques
L’idée première qui vient à beaucoup de personnes, notamment les patients, est d’assimiler la participation à un essai clinique à la notion d’être un cobaye. C’est une perception ancienne et qui reste encore très présente malheureusement. Elle conduit à l’idée que la personne participant à un essai n’en tirera aucun bénéfice, voire même que cela lui sera préjudiciable. De manière sous-jacente, cette image du cobaye peut conduire à une négation de la pertinence de la recherche surtout que les délais de réalisation sont souvent très longs avant d’aboutir à des résultats. De ce fait, la perception de l’intérêt de la recherche est quelque peu brouillée et il est compliqué de créer de l’appétence pour la participation aux essais cliniques. De surcroît, il y a la confrontation à une forme de tabou : ni les laboratoires ni les médecins ne s’autorisent à communiquer de façon large sur les essais. Ceci est davantage lié au Code de déontologie qui interdit à tout médecin de faire sa propre publicité.
L’honnêteté est de dire que le bénéfice est d’abord collectif puisque les résultats d’un essai, une fois obtenus, serviront la connaissance médicale et l’amélioration des pratiques de prise en charge pour les futurs patients. Néanmoins, la motivation des patients est individuelle dans le sens où, en participant à un essai clinique, ils peuvent accéder à un traitement innovant et espérer en bénéficier.
Guy Michel TEZANO