
« Les gens sont entrain de tous travestir, et il n’y a personne pour les rappeler à la raison. Cette igname blanche, si vous la plantez elle ne germera même pas. Ce n’est pas que l’on manque l’igname dans ce village. Il y en a à revendre. »
Samedi 24 avril 2021. Quelque part à Baleveng nous assistions aux obsèques d’une matriarche. Après l’inhumation et le grand tour du deuil, c’est le moment de procéder à la distribution des ignames et maïs aux orphelins et à certains proches de la défunte.
Généralement, sous la conduite d’une doyenne, quelques coépouses de la défunte distribuent des plans d’ignames sorties dans un champ de la défunte. Elle donne à chacun un seul plan et pas plus. A certains, les femmes, elles remettent un épi de maïs à chacune. Apparemment la tubercule d’igname prend une ascendance sur l’épi de maïs.
« Ce plan d’igname que l’on vous donne c’est pour que à votre tour vous le plantiez dans votre champ. Afin que toujours vous ayez quelque chose à manger en souvenir aux repas que vous servait la défunte. En réalité ce que vous recevez est votre dernier repas offert par la défunte ».
Ainsi les femmes responsables ont toujours un champ où l’on ira trouver des plans d’ignames jaunes, au cas où elles venaient à mourir, pour faire leur deuil. Chez les hommes, on tue plutôt le porc de l’homme décédé que l’on prépare pour partager à tous les participants au deuil. S’il n’en a pas, ses enfants l’achètent.
A Baleveng samedi dernier, on a distribué les ignames blanches au lieu des ignames jaunes. Et des épis de maïs bien sûr. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Mais le phénomène très récent, constatons-nous, prend de l’ampleur. Dans certaines familles, cela fait partie des signes d’exubérance. On démontre par cela que l’on ne pratique pas l’agriculture, mais que l’on achète au marché ce dont on se nourrit.
Nous avons demandé à une personne qui a reçu son igname. Il n’avait aucune signification du geste et nous l’avons encouragé à retourner voir celle qui la lui a remise pour en savoir. Après qu’il ait demandé l’explication à deux personnes, il est venu nous répondre : « Cette igname, on me l’a offerte pour qu’une fois arrivé chez moi je le prépare pour manger. Oui ; et c’est le dernier repas que m’offre ma grand-mère »
Derrière nous se trouve un homme dans la soixantaine avancée. Il suit notre échange depuis un temps. Il s’invite à la causerie. Selon lui, cette igname au départ est donnée afin qu’à la maison vous la plantiez pour en récolter chaque fois que vous en aurez besoin.
« Elle a raison. Mais ce n’est pas exactement cela. Au départ, il c’est l’igname jaune et pas cette igname blanche. Lorsqu’on vous donnait une igname, c’était pour que vous la plantiez afin qu’elle grandisse et se multiplie. Ainsi vous auriez toujours des ignames à manger, en souvenir de votre mère, grand-mère ou tante. Un seul plant d’igname peut, si vous prenez bien soin de lui, vous donner suffisamment des plants pour que vous ayez un champ d’ignames. Les gens sont entrain de tous travestir, et il n’y a personne pour les rappeler à la raison. Cette igname blanche qu’on vous a donnée, si vous la plantez, elle ne poussera pas. Du moins, j’ai déjà essayé plus de cinq fois, sans succès. »
L’igname blanche est cultivée dans la partie septentrionale du Cameroun et au Nigeria. Il faudra faire une étude du sol pour l’essayer ici.
Notre invité conclue : « Ce que nous déplorons aujourd’hui a commencé par le remplacement du vin de raphia produit par nos vignerons par la bière brassée par des brasseries occidentales. Nous-mêmes avons honte de nos propres produits. Après le vin de raphia voilà l’igname jaune de chez nous qui disparait, remplacée par l’igname blanche du Nigéria. De nombreuses menus choses comme ça ont disparu sans que les gens s’en rendent compte. »
Augustin Roger MOMOKANA