Le Colonel Didier Ndongmo Sipa a récemment présenté et défendu, à l’Université de Dschang, une thèse de Doctorat en Droit sur la responsabilité pénale des soldats dans les milieux des opérations du maintien de la paix, avec comme champ de recherche la République Démocratique du Congo (RDC).
Sinotables.com s’est entretenu avec le Colonel Docteur. Appréciez les contours de cette thèse qui met dos au mur la justice militaire et l’incapacité des Nations Unies à sanctionner les soldats reconnus coupables de délits d’agressions et de violences sexuelles sur les femmes pendant les opérations de maintien de la paix.
« Military Justice Within the context of a United Nation’s peacekeepeng in Africa: Focus on the prosecution of sexual violence offences in the Democratic Republic of Congo, 1998-2016. » est le theme de cette thèse de Doctorat soutenue par le Colonel Didier Dongmo SIPA.
Mon Colonel, pour quoi avoir choisi la République Démocratique du Congo comme focal de votre étude?
La RDC est stratégique dans la région des Grands Lacs. La paix dans ce pays signifie la paix dans toute la sous-région. Et l’instabilité du Congo veut également dire l’instabilité de toute la sous-région. Nous savons que dans ce pays il y a une opération du maintien de la paix depuis bientôt deux décennies. Et nous ne sommes pas certains que cette opération prendra fin demain.
Bien plus, et vous le savez sans doute, l’Est de la RDC a été surnommée « capitale du viol » dans le monde. Il s’agit d’une curiosité qui a aiguisé notre attention sur le pour quoi cela.
En quoi consiste précisément votre étude sur la RDC ?
Il était question de faire une étude nous permettant d’évaluer le système des poursuites du Congo contre les militaires qui commettent des infractions de violences sexuelles en milieu opérationnel, et également examiner les mécanismes développés par les Nations Unies pour lutter contre les mêmes fléaux au sein de son système. J’ai parlé de ce que l’on peut appeler le « paradoxe Onusien ».
De quoi s’agit-il ?
Pour moi le paradoxe Onusien c’est que les Nations Unies appuyées par d’autres agences ont déployé d’énormes moyens humains, matériels et financiers pour aider la justice militaire congolaise à lutter contre les crimes internationaux y compris les violences sexuelles, mais curieusement elles n’arrivent toujours pas à trouver une solution idoine pour lutter contre les mêmes fléaux au sein même du système des Nations Unies, c’est-à-dire au sein de ses éléments qui sont déployés en RDC.
L’étude que vous venez de présenter court de 1998 à 2016.
Justement. La période choisie pour notre étude va de 1998 à 2016. Pourquoi ? Allez-vous me demander. Vous savez que lorsqu’il y a eu génocide au Rwanda en 1994 les Hutu ont traversé la frontière pour s’installer à l’Est du Congo où ils ont commencé à exploité des minerais. Le président du Zaïre à l’époque, Mobutu les a laissés faire. Ce qui n’a pas plu au gouvernement rwandais. Ce qui fait que lorsque la rébellion s’est développée à l’Est sous la houlette de Laurent Désiré Kabila, avec le soutien des Rwandais et des Ugandais, a rapidement marché sur Kinshasa. Et lorsqu’ils sont arrivés à Kinshasa ils ont réussi à faire partir Mobutu. Justement commence une autre période de la vie politique de ce pays. Laurent Désiré Kabila qui s’installe au pouvoir à Kinshasa avait signé des accords avec ses alliés. Ne pouvant pas respecter ces accords parce qu’il avait commencé à développer l’esprit nationaliste, « un Congo plus fort », n’a pas respecté ses engagements. Ses alliés se sont retournés contre lui. C’est la raison pour laquelle la guerre déclenche entre 1997-1998 au Congo, et c’est à ce moment qu’il y a les Accords d’Arusha dont l’un des points phares est l’installation d’une Mission des Nations Unies. Voilà pour quoi j’ai choisi 1998 comme début de cette recherche-là.
Après le constat, que propose votre travail ?
D’abord nous avons constaté que les violences sexuelles à l’Est du Congo sont une triste réalité perpétrée par des soldats congolais. Soldats congolais s’entend les forces régulières et les forces rebelles. Mais également par les soldats de la paix. Nous avons également constaté que, pour plusieurs raisons, la justice militaire congolaise ne lutte pas efficacement contre ces crimes-là, notamment les violences sexuelles. Nous avons également constaté que le mécanisme mis en place par les Nations Unies pour lutter contre ce fléau est inefficace. Pour cela nous avons pensé qu’il était nécessaire de mener des reformes, d’abord au niveau du Congo, et ensuite au niveau du Département du Maintien de la paix des Nations Unies.
Quelle serait la ligne maitresse de ces propositions ou réformes ?
S’agissant du Congo nous avons fait quinze propositions. Globalement nous avons pensé que pour ce pays il faut commencer par renforcer les capacités des acteurs de la justice militaire. Je ne vous apprends rien, il n’y a pas de corps de magistrature au Congo. Mobutu a disparu avec l’école de magistrature qui existait là-bas. Nous pensons qu’à l’école de magistrature on pourra insister sur l’éthique, mais également la manière de conduire les procédures. Il faut également développer les infrastructures. Parce que la justice militaire congolaise est très male lotie. Elle n’a pas de tribunaux. A un certain moment vous voyez les procès qui sont tenus dans la cours ou sous les arbres. Il faudrait que la volonté politique soit améliorée pour pouvoir laisser la justice militaire faire son travail efficacement. Il y a quelques refontes nécessaires de la loi de 2002.
Pour soulignez la volonté politique comme une entrave à l’expression de la justice militaire.
Volonté politique ça veut dire quoi ? Je voudrais tout simplement dire que l’Etat est divisé en trois pouvoirs : le pouvoir exécutif qui est également politique, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif. Il ne faudrait pas que le pouvoir exécutif s’interfère au pouvoir judiciaire. Je veux dire qu’il ne faudrait pas que le pouvoir politique intervienne dans les cas des procédures qui sont pendantes devant la justice. C’est pour cela que je dis qu’on doit laisser les tribunaux fonctionner normalement. Je le dis parce que nous avons des cas où le pouvoir central a intervenu et la justice n’a pas suivi son cours normal. Donc il faut aussi cela pour que la justice militaire travail de manière efficace.
Et s’agissant des réformes au niveau du Département du Maintien de la Paix des Nations Unies ?
Nous avons pensé qu’au niveau des Nations Unies on peut créer un tribunal spécial hybride modulable au sein de chaque mission. Parc que le fait de demander à chaque Etat de poursuivre son élément pose des problèmes pratiques : problème de procédure. Et plus les victimes et les témoins sont très loin de là où le tribunal se tient. Prenons l’exemple d’un Camerounais qui commet une infraction en RDC ou bien Centrafrique. On est obligé de le ramener au Cameroun pour être jugé par le tribunal militaire de Yaoundé qui est compétent en la matière, suivant la loi 2017. Quel sort sera réservé aux victimes qui sont restées sur le théâtre des opérations ?
La question fondamentale est de savoir s’il est jugé quand il est remis au tribunal militaire de Yaoundé ?
Ils sont effectivement jugés au Cameroun. Mais il y en a d’autres pays qui ne le font pas. Comprenez que certains Etats sont tellement jaloux de leur souveraineté au point où ils ne sont pas prêts à le faire. Si nous prenons le cas des soldats français en Centrafrique, lorsque ces mis en cause sont arrivés en France le juge d’instruction a clôturé le dossier par un non-lieu, alors que les faits recoupés sur le terrain étaient suffisamment avérés. Pour dire qu’il n’y a aucun Etat qui va se mettre sur la place publique pour dire « voilà ce que nous avons fait, voilà les fautes que nous avons commises ». Il y a des pays qui peuvent le faire, mais à quel pourcentage ? Si nous proposons qu’on créé un tribunal au sein de la mission, c’est parce que nous voulons que le terrain soit plat pour tout le monde. Lorsqu’un Etat envoie ses troupes dans un pays il doit au préalable connaître les règles applicables. Lorsque je parle d’un tribunal modulable, c’est tout simplement parce que les systèmes de fonctionnement pénal ne sont pas les mêmes partout. Donc ça peut être un tribunal que l’on peut moduler de temps en temps, en fonction des personnes qui doivent comparaître.
Nous avons également proposé, concernant toujours les Nations Unies, que l’on augmente le nombre de femmes qui doivent participer aux opérations de maintien de la paix. Parce que, voyez-vous, la femme comprend mieux les problèmes de la femme que l’homme. La femme peut se livrer plus facilement à une autre femme qu’à l’homme. Et ceci en conformité avec la Résolution 13-25. Une résolution adoptée en 2000. Dans cette résolution on demande que les femmes soient impliquées dans toutes les décisions à prendre en zone de conflit ; et que toutes les violences subies par la femme dans une zone de conflits doivent être considérées comme des crimes. C’est suivant cette résolution que nous avons fait cette proposition. A l’heure où nous parlons les statistiques indiquent que les femmes prennent part à hauteur de 5 à 10% dans les opérations de maintien de la paix. Cela n’est pas suffisant. Il faut monter pour atteindre 30, voire 40%.
On pourrait vous vous poser la question sur la disponibilité de la femme soldat à répondre à cette sollicitation.
C’est une question qui n’est pas justifiée. Tout le monde peut être disponible, il suffit seulement que la volonté il y ait. Je comprends que nous avons des pesanteurs culturelles qui laissent l’impression que la femme n’est pas disponible. Des pesanteurs culturelles comme dans certains pays où les femmes ne peuvent pas aller à l’école ou pratiquer les métiers de leur choix. On peut prendre des dispositions pour que beaucoup de femmes soient recrutées et bien formées pour pouvoir participer aux opérations de maintien de la paix pour pouvoir régler ce genre de problèmes.
Je voudrais vous demander de partager avec nous l’intérêt que vous, soldat, aviez à choisir ce sujet.
Oui justement comme je l’ai dit au début de notre entretien, ça fait mal au cœur de voir que les protecteurs deviennent les bourreaux. Si c’est la personne qui est chargée de protéger les gens meurtris par le conflit qui devient le bourreau, il y a quelque chose qui ne va pas et qui mérite d’être réglé d’urgence. En réalité un homme en tenue devait plutôt inspirer confiance. Mais nous sommes devant un cas de figure où l’homme en tenue devient un problème pour la personne à protéger. Ça c’est un problème, et vous comprenez que ça pouvait constituer l’élément essentiel nous amenant à travailler dans ce domaine.
Comment est-ce ce projet a-t-il été accueilli dans le corps militaire auquel vous appartenez, notamment par la hiérarchie ?
Il est très tôt de parler de l’accueil réservé au travail. Parce qu’il s’agit d’un enfant qui vient de naître.
Votre hiérarchie n’a pas préalablement été informée de votre recherche ? Est-ce qu’elle vous a encouragé dans ce thème qui est d’une préoccupation grave pour la communauté ?
Déjà pour postuler à faire des travaux de recherche, il faut l’autorisation de la haute hiérarchie. Nous l’avons obtenue. Et lorsqu’on se met au travail, c’est un travail universitaire. De temps en temps on peut informer les camarades de ce qui se passe, mais expliquer en détail se qui se passe n’est pas souvent facile. C’est bien à la fin comme ça que nous allons rendre compte à la hiérarchie militaire. Il fallait soumettre le travail à la censure des hauts savants universitaires. Ce que nous avons fait. Maintenant nous pouvons le rendre public. Parce que ces sommités de la recherche universitaire ont donné leur onction à notre travail et nous pouvons désormais en parler en public, et partout.
Vous avez fait votre job, et vous ce travail a été sanctionné par une mention que vous pouvez à votre tour apprécier.
Vous me posez là une question fort embarrassante. Parce que c’est moi qu’on évaluait. La question peut être mieux appréhendée par quelqu’un de neutre qui a vécu la soutenance. Mais puisque je dois vous répondre, je dois dire qu’ils ont apprécié le travail sur d’abord la méthodologie utilisée était originale. On a utilisé une méthodologie mixte. Un travail empirique sur le terrain, ce qui veut dire qu’il est axé sur la pratique. Et également il y a eu beaucoup d’innovations dans la présentation du travail. On l’a dit, c’est la première fois en Faculté de Droit, que l’ont voit un travail présenté sur PowerPoint. Ce que nous avons fait a donné une allure vivante au sujet. Si je dois juger de la note que l’on a attribué à ce travail, « Mention Très honorable avec félicitations des membres du jury », je dirais qu’il a été favorablement bien accueilli et très apprécié. Comme vous le savez il s’agit bel et bien de la plus haute note que l’on puisse attribuer en Doctorat.
Dites-moi, mon Docteur Colonel, quelles peuvent être les perspectives après cette boucle ?
Justement, vous savez que la protection de l’homme en général, est une quête permanente. E le respect des droits de l’homme c’est quelque chose dont on ne parlera jamais assez. Pour quoi violer une femme ? Nous estimons que le travail que nous avons fait va davantage attirer l’attention des personnes concernées, et puis aller dans le sens de diminuer ce comportement qui trahi la nature humaine qui voudrait que l’homme soit « un loup pour l’homme ». Nous pensons que c’est un travail qui permettra aux uns et aux autres de comprendre qu’on doit respecter son voisin. Le corps de l’homme est sacré, le corps d’une femme est sacré. On ne saurait violenter une femme, on ne saurait aller jusqu’à violer une femme. Notre travail est une contribution de plus, pour attirer l’attention des personnes concernées par ces histoires-là, c’est-à-dire ceux qui violent et ceux qui sont appelés à réprimer le viol. Nous avons l’espoir que dans un avenir proche le phénomène va aller decrescendo.
Oui mais ce que la société reproche à la recherche c’est que ses résultats dorment dans les tiroirs. Avez-vous, en ce qui vous concerne, envisagé de publier un livre à partir de la votre recherche?
Justement il est question pour nous de continuer à vulgariser le travail que nous avons fait. Nous allons voir dans quelle mesure nous allons le peaufiner, et éventuellement le publier en vu d’atteindre le plus grand nombre. Nous allons aussi faire des efforts pour le mettre en ligne pour que les gens puissent prendre connaissance et en tirer les leçons qu’ils peuvent, émettre des critiques afin que la science évolue. Emettre des critiques parce que, comme vous le savez, l’œuvre humaine n’est jamais parfaite.
Il vous a pris combien d’années ?
Le programme normal de doctorat c’est trois ans. Mai ce travail m’a pris cinq ans.
Je vous remercie pour votre disponibilité, Mon Docteur Colonel.
Je vous en prie.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA