Les mesures prises par les pays africains pour juguler la pandémie et le ralentissement économique subséquent porteront un coup dur aux finances publiques déjà si fragiles de la plupart des pays africains. Or il y va de l’intérêt des pays du Nord de voir l’Afrique juguler la crise pandémique au risque de l’effet boomerang. Il va de soi qu’un simple allègement du service de la dette ne suffira pas à répondre aux attentes des pays africains. La solution la plus crédible reste l’annulation pure et simple de la dette.
Les observateurs s’attendaient (et certains s’attendent toujours) à ce que, à très court terme, le coronavirus frappe durement l’ensemble du continent africain. C’est d’ailleurs la projection que faisait la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies du propre aveu de sa directrice exécutive, la camerounaise Vera Songwe.
Même si l’Afrique semble mieux résister, contre toute attente, il n’en demeure pas moins que les mesures prises pour juguler la pandémie et le ralentissement économique subséquent porteront un coup dur aux finances publiques déjà si fragiles de la plupart des pays africains.
En effet, pour empêcher ce qui pourrait être une vraie hécatombe, les pays africains se sont cloîtrés les uns les autres derrière leurs frontières désormais «fermées ». On dirait qu’ils ont définitivement adopté la stratégie chinoise et européenne : tuer l’économie dans l’espoir de sauver des vies. Mais dans une région où la survie dépend souvent du travail informel, sporadique, le plus souvent effectué à l’extérieur, exiger des habitants de rester chez eux c’est demander l’impossible. Comment envisager sereinement la prise en charge sanitaire quand le nombre de lits de réanimation est en moyenne de 50 par pays ?
Comble du malheur, le traitement du coronavirus va s’ajouter à un fardeau sanitaire déjà bien lourd : l ‘Afrique, c’est presqu’un quart des cas de pathologies les plus lourdes comme la tuberculose, la malaria ou le VIH, mais seulement 1% des dépenses globales de santé.
Pour faire face à l’urgence plusieurs gouvernements ont pourtant réussi à débloquer des fonds destinés en priorité à la santé. Le Ghana, l’Égypte ont pris des mesures de soutien aux entreprises. Le Ghana envisage de verser des aides directes aux ménages les plus fragiles via des paiements mobiles. Et dans les pays les plus riches du continent, le Nigeria et l’Afrique du Sud, les grandes fortunes privées ont apporté une contribution financière au titre du soutien à l’État dans le cadre du combat contre la pandémie.
Mais pour le moment aucun État africain n’a les moyens de mettre sur la table des milliards comme l’ont fait les pays occidentaux pour soutenir massivement leurs salariés et leurs entreprises paralysées par le confinement. Pour dépenser plus d’argent public, il faut pouvoir recourir à l’emprunt, or les États africains sont déjà à la limite de leur capacité en la matière. En effet, pour stimuler leur croissance, beaucoup ont déjà emprunté tous azimuts. En sept ans le poids de la dette a triplé en Afrique subsaharienne, passant de 30 à 95% du PIB.
Or il y va de l’intérêt des pays du Nord de voir l’Afrique juguler la crise pandémique. Il est en effet indéniable que si aucun effort financier n’est fait par les États africains (avec ou sans aide externe) le virus reviendra au Nord et dans le monde entier par le Sud quand la situation sera calmée dans le Nord par l’effet boomerang.
Au moins une vingtaine de pays africains ont déjà fait appel au FMI ces derniers jours. Et pas seulement les plus pauvres. Le Ghana, qui aspire au statut de pays émergent, en a fait la demande. L’Afrique du Sud, pourtant locomotive du continent, s’est aussi tourné vers les institutions internationales.
Le FMI a ouvert une ligne de crédit de 50 milliards de dollars dédiés aux pays émergents, dont 10 milliards pour les plus pauvres. Mais c’est bien en deçà des besoins réels. Il faudrait quatre fois plus selon le ministre des Finances ghanéen.
Par ailleurs, le FMI a annoncé lundi 13 avril, le versement d’une aide d’urgence à 25 pays dont 19 africains pour leur permettre d’alléger leur dette et de mieux faire face à l’impact de la pandémie de Covid-19.
Il faut souligner que la mesure annoncée permet aux pays bénéficiaires de couvrir pour six mois les remboursements de leur dette envers le FMI afin qu’ils puissent consacrer une plus grande partie de leurs ressources à leurs efforts en matière d’urgence médicale et d’aide.
Il faut donc rappeler qu’il s’agit d’un allègement du service de la dette qui passe par le Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes (fonds fiduciaire ARC) qui permet au Fonds d’accorder un allégement de dette sous forme de dons aux pays les plus pauvres et les plus vulnérables frappés par une catastrophe naturelle ou de santé publique aux conséquences désastreuses.
Il y a lieu de noter également que le Cameroun (comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Mauritanie…) ne figurent pas sur la liste des pays bénéficiaires qui sont pour la plupart des pays très pauvres d’Afrique et d’ailleurs. Les pays africains suivants bénéficieront de cet allègement : Bénin, Burkina Faso, Comores, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mozambique, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Sierra Leone, Tchad, et Togo.
De son côté, lors de son allocution su 13 avril 2020, Le président Macron a déclaré que la France et l’Europe vont devoir aider l’Afrique à lutter contre le coronavirus en “annulant massivement sa dette”. Bien qu’on ne sache pas exactement quel sens donner à cette « annulation massive » de la dette, on peut dire qu’elle apporte de l’eau au moulin de ceux qui appelait à la mise en place d’une stratégie d’annulation de la dette des pays africains.
Il va de soi qu’un allègement du service de la dette ne suffira pas à répondre aux attentes des pays africains. L’alternative prônée par les gouvernements africains comme par certains experts au sein même du FMI est l’annulation pure et simple de la dette. Le directeur du département Afrique du FMI, Abebe Aemro Selassie, prône l’effacement immédiat de la dette bilatérale et la suspension des remboursements dus au FMI. Aller au-delà est sans doute nécessaire mais hyper complexe car le tiers de la dette africaine est détenue par des créanciers privés. C’est cette dette privée qui génère les intérêts les plus élevés. Sans doute négocier dans l’urgence avec cette nébuleuse d’acteurs, de banques, de fonds, de négociants en matières première relève-t-il d’un tour de force que personne ne veut ou n’est prêt à affronter pour l’instant ?
Lors de sa troisième session extraordinaire , le Comité de pilotage (Copil) du Programme des réformes économiques et financières de la Cemac (Pref-Cemac) qui s’est tenue le 28 mars 2020 à Brazzaville, au Congo pour évaluer les incidences économiques et financières du Covid-19 sur les économies de la CEMAC et esquisser des solutions, les ministres en charge de l’économie et des finances des pays membres de la sous-région (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad) ont recommandé aux États de négocier collectivement et d’obtenir pour tous les États, l’annulation de l’ensemble de leurs dettes extérieures. Selon eux, cette démarche collective vise à donner aux pays de la CEMAC des marges budgétaires leur permettant de faire face à la fois à la pandémie et à la relance future, sur des bases saines, de leurs économies. Selon la BAD, la dette extérieure de la CEMAC a représentait 27% du PIB de la zone en 2018.
Au regard de l’évolution de la question, on imagine facilement que cette démarche reste entièrement d’actualité.
Bertrand Roger JIOGUE