
Le Professeur Marc DUFUMIER à l'Université de Dschang
M. Marc Dufumier est ingénieur agronome et enseignant-chercheur à la Chaire d’agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech qu’il a dirigé de 2002 à 2011.
Sinotables s’est entretenue avec ce militant et promoteur de l’agroécologie, en marche du séminaire international sur le compostage à la Mairie de Dschang et de la Grande conférence qu’il a animée, mercredi 28 mars 2018, à l’Université de Dschang.
Professeur ! Vous êtes Marc Dufumier et curieusement vous militez pour l’usage du fumier !
J’ai des collègues qui très ironiquement me demandent « mais pourquoi toi tu défends le fumier ? » Et ils me disent que je suis tombé dans la naissance. C’est une plaisanterie. Mais écoutez ! J’ai choisi le métier d’agronome et c’est vrai qu’aujourd’hui je défends le fumier comme un bon mélange carbone-azote, une bonne façon de fabriquer de l’humus dans le sol et y compris que ça peut être composté. Mais ça n’a rien à voir avec mon nom. Mes arrières grands-parents étaient originaires d’une région où on produisait beaucoup du fumier, et même les gens qui avaient beaucoup de tas de fumier devant la ferme étaient considérés comme des gens riches. Je pense que les gens devaient dire c’est l’homme du fumier là-bas, et du coup ça est devenu un nom propre.
Vous militez également en faveur d’un renouvellement de l’offre de formation en agronomie, parce que selon vous l’agroécologie serait plus performante ?
Il y a une vraie réforme de l’enseignement de l’agronomie en France au niveau de l’Enseignement universitaire et des lycées agricoles. Le précédent ministre de l’agriculture avait dit que la France doit devenir le leader en agroécologie. La France est faite d’une multitude de microrégions. Aucune compétitivité sur l’agriculture prise à grande échelle. Produire des poulets avec du soja en compétition avec le poulet brésilien n’a aucun avenir.
Qu’est-ce qu’on peut retenir au sortir de cet échange avec les étudiants autour du thème « L’agroécologie pour un développement durable » ?
On peut retenir que l’agro écologie, pour les étudiants, se présente comme une discipline scientifique qui essaie de rendre intelligible la complexité et le fonctionnement des environnements aménagés par les agriculteurs. C’est une façon de revoir, de revisiter l’agronomie en s’interrogeant. C’est très différent de notre agriculture industrielle qui a sans doute exagéré dans la motorisation, la robotisation, la chimisation surtout des agriculteurs industriels. L’objet du travail des agriculteurs ce n’est pas de séparer le sol, la plante, le climat, les animaux.
Quel est l’apport de l’agroécologie pour garantir un développement durable, à l’échelle camerounais et à l’échelle mondiale ?
Il est possible dans les pays du sud, le Cameroun compris, de faire un usage intensif des rayons de soleil pour fabriquer de l’énergie alimentaire, un usage intensif du carbone du gaz carbonique pléthorique-vous savez que c’est un gaz à effet de serre- pour fabriquer le sucre, l’amidon, les lipides le nitrate de carbone, et aussi pour fabrique de l’humus pour séquestrer du carbone dans les sols ; une agriculture qui va faire l’usage intensif de l’azote de l’air avec des légumineuses pour fabriquer nos protéines, une agriculture qui va utiliser les éléments minéraux qui sont enterrés en sous-sol et qui, grâce aux arbres, aux cultures associées des éléments en profondeur et fait remonter par la sève dans les feuilles et fertiliser la couche arable du sol. Je peux vous assurer que pour un pays comme le Cameroun, je viens d’entendre les grands progrès en agroécologie, en agriculture inspirée de l’agroécologie. Mais il y a beaucoup à apprendre pour les pays du sud. Nous aussi, en France, on remet en cause notre agriculture industrielle qui utilise trop les engrais de synthèse : les produits pesticides, fongicides, herbicides, acaricides qui tuent le sol et qui font des dommages à la santé humaine. Puisque dans les pays qui ont abusé de cela la jeune génération a une espérance de vie d’une dizaine d’année inférieure à cause des cancers de la prostate, du sein, les maladies neurorégénératives : Alzheimer, Parkinson.
Que vise la réforme de l’agronomie qui vous tient tant à cœur ?
Pour l’essentiel, introduire les cours d’agriculture biologique est plus intéressant que d’enseigner les cours d’agriculture. C’est de faire une relation entre toutes les disciplines constitutives de l’agroécologie. Faire en sorte que quand un enseignant de protection des cultures veut enseigner les fongicides, qu’il n’oublie pas les champignons mycorhiziens, quand l’enseignant en science du sol enseigne le champignon mycorhizien qu’il n’oublie pas d’être prudent avec les fongicides. Ça veut dire que c’est la relation qu’il y a entre les différentes disciplines constitutives de l’agroécologie. Faire en sorte que chaque enseignant ne reste pas dans sa discipline trop pointue et sache, en tout cas, restituer les apports de sa discipline dans la compréhension des agro écosystèmes.
Vous insistez également sur la polyculture alors qu’ici au Cameroun, par exemple la politique agricole vise la monoculture à outrance.
Oui ça été longtemps dit que pour produire à bas prix il fallait se spécialiser. Faire à un endroit le palmier, faire à un autre le cacao, faire ailleurs les cultures vivrières, etc. à plus grande échelle avec les batteuses, avec des moissonneuses, des tracteurs. Aujourd’hui, dans certains pays, la traite des vaches se fait avec un robot. C’est la vache qui décide de se faire traite et non l’homme. Évidemment ça nous fait des produits pas chers. Dans les pays industriels ont découvre que ça nous coûte très cher. Parce qu’on a remplacé les gens par les machines et les gens sont au chômage, et puis, comme pour favoriser la monoculture et éviter les ravageurs-un champignon pathogène arrive à un endroit, s’il trouve une seule culture, il va se propager à une vitesse foudroyante- du coup on a épandu des quantités de fongicides, pesticides et autres et aujourd’hui dans un nombre de pays on a poussé trop loin cette agriculture industrielle , et on découvre qu’il faut revenir la polyculture ou culture associée et régénérer le circuit qu’on appelle le circuit carbone, la photosynthèse, le circuit de l’azote, les légumineuses, le cycle champignons mycorhiziens. De les gérer en circuits courts et ça va être beaucoup plus savant parce que finalement cette agriculture dite moderne qui a été productive mais aussi très destructive-aujourd’hui on va faire production moins destruction la valeur ajoutée.
La filière du commerce équitable est-elle compétitive?
J’ai été président de Commerce Équitable de France. C’est un mouvement qui tend à promouvoir effectivement les produits labellisés équitables en France. Et la principale caractéristique c’est que vous avez des gens en France qui acceptent d’acheter la tablette de chocolat un peu plus chère. Et quand c’est labellisé commerce équitable celui qui achète sa tablette de chocolat un peu plus chère a relativement confiance dans le fait que ce prix est totalement répercuté au producteur dans le pays d’origine. Comme dans une tablette de chocolat la fève de cacao ne représente que 10% du prix, si le Français achète cette tablette de chocolat 10% plus chère, en fait il double la rémunération du producteur de fèves. Donc ça a quand même une certaine incidence. Ces gens n’achèteront pas pendant longtemps si la tablette de chocolat n’est pas bonne. Et donc, le plus intéressant dans le commerce équitable c’est que les gens qui bénéficient, dans les pays du sud, de l’accès à ce marché-là comprennent très vite qu’il faut aller vers le bio et vers le gourmet, sinon un militant ne payera pas longtemps plus chère cette tablette de chocolat si ce n’est pas bon. Aujourd’hui le commerce équitable est ouvert, en France, à des produits d’origine France. Et donc vous avez des gens qui changent aujourd’hui leur système de culture et d’élevage parce qu’ils ont un marché labellisé équitable, et qui savent que les gens ne vont pas acheter. A équitable, il faut coller bio.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA