
Epilogue sur la question anglophone
Par Pr Hubert Mono Ndjana, Philosophe
Nous parlons d’épilogue aujourd’hui, février 2017, car depuis la violente explosion de la question anglophone en novembre 2016, beaucoup de solutions ont été envisagées à travers grèves, incendies, mises à sac, débats et négociations qui avancent et qui piétinent jusqu’à la création par le président de la République, en janvier 2017, d’une commission spéciale pour le bilinguisme et le multiculturalisme. Toujours, rien !
I – Le rocher de Sisyphe
Il semble que nous nous trouvons dans la phase d’un dialogue des sourds. Plus le pouvoir lâche du lest plus les revendications anglophones reprennent de plus belle : le retour au fédéralisme, la spécificité du sous-système scolaire anglo-saxon, la sélectivité linguistique des enseignants et des fonctionnaires, la traduction en anglais des textes Ohada, etc.
Pour obtenir satisfaction sur toutes ces exigences dont certaines sont fondées et d’autres franchement farfelues, par exemple ne plus envoyer des fonctionnaires simplement francophones dans les zones anglophones, les activistes anglophones, jeunes irresponsables déversés dans la rue, opèrent par une violence inouïe : destruction des biens et des véhicules, incendies des drapeaux camerounais, emblèmes de l’Etat mises à sac des commissariats, violences sur les élèves, étudiants et leurs dirigeants pour faire école morte en visant l’année blanche, etc. Dans des négociations, l’Etat est obligé de céder sur l’essentiel pour éviter à la jeunesse de pénibles préjudices. En fait, les négociateurs et organisateurs (avocats et syndicalistes) ne font que jouer pour tuer le temps. Ils auraient reçu de fortes sommes d’argent et doivent tout simplement produire du résultat. C‘est l’Ambazonie ou rien. Le fédéralisme n’est plus qu’un jeu de façade, la sécession étant l’objectif fondamental Le reste, dont négociations et autres intermédiations : simple jeu d’intelligence et marché de dupes.
Quand toutes les garanties sont néanmoins données par les grands syndicats d’enseignants qui bloquent la situation, les prélats et les chefs traditionnels rentrent en jeu, en plein mois de février, pour demander la cessation des enquêtes et la mise en liberté de tous les fauteurs de troubles, quoi qu’ils aient fait. Quand on s’attend au juste retour de l’ordre, les violences rebondissent encore et encore.
Les organismes de la société civile et autres leaders charismatiques de l’opposition sortent de leur silence pour réclamer, à l’Etat, le respect des droits de l’homme par la libération inconditionnelle des suspects, présumés casseurs et pyromanes. Et l’on recommence tous â pousser le même rocher. Albert Cannes avait écrit à ce sujet : « C’est à la descente que Sisyphe m’intéresse, parce que la descente est le moment de la conscience ». En dévalant en effet la pente, derrière l’éternel rocher qu’il devra hisser de nouveau au sommet, le titan pense en effet à son destin, à sa liaison intime avec la grosse masse minérale. Il en souffre mais veut dominer la situation. Mais l’Etat ne doit pas se transformer en Sisyphe pour courir de façon absurde derrière ses rebelles.
Il- Le principe des droits de l’Homme
De par l’évolution interne et progressive de la pensée, la période des Lumière, en Europe ; a donné naissance à un merveilleux concept qui a connu une brillante carrière, celui des Droits de l’Homme. C’est en Angleterre, pays certainement le plus libéral, que tout avait commencé dans le Haut Moyen Age. Sous la pression de la caste des Nobles, le roi Jean-Sans-Terre signa la Carla Magna, ou Grande Charte, en juin 1215, qui reconnaissait qu’aucun homme libre d’Angleterre ne devait subir un emprisonnement arbitraire ou vexatoire. La longue compétition entre le parlement anglais et l’exécutif (le roi) va aboutir à la Loi sur l’habeas corpus votée le 27 mai 1679 sous Chartes II. Habeas corpus est une expression latine qui signifie littéralement « Que tu aies un corps », c’est-à-dire que tu dois comparaître libre devant les juridictions, dans toute la jouissance de ton corps. C’est en 1788 que les Anglais passent à la révolution qui va abolir la monarchie et instaurer la monarchie parlementaire avec une Déclaration des droits de l’homme appelée Bill of Rights, adoptée le 13 février 1689. L’article 1 énoncera le grand principe révolutionnaire que rex debet esse sub lege, à savoir que le Roi doit se soumettre à la loi. A sa manière, le parlement (ou le peuple) sort vainqueur du long bras de fer avec la couronne. C’est 100 ans plus tard que la France fera sa révolution, un thermidor super-sanglant qui accouchera aussi d’une Déclaration dite « des droits de l’homme et du citoyen ». Le Bill of rights américain datera, lui, de 1791. Sortant en effet de l’obscurantisme, du monarchisme et du despotisme propres as Moyen Age, l’homme de la Renaissance et de la période des lumières, les philosophes surtout et quelques juristes aussi, n’avait hâte que de proclamer la souveraineté du peuple contre le pouvoir, contre tout pouvoir en tant que suppôt d’autoritarisme et d’absolutisme. D’où la cascade des Déclarations des droits et autres Bill of rights qui ont essaimé dans toute l’Europe occidentale ainsi que dans le Nouveau Monde. Mais quoique limitées à la dimension des nations, ces déclarations avaient une portée universelle. Ce sont des activistes mal inspirés qui tentent de les réduire à un manichéisme paradoxal en faisant croire que seuls quelques hommes sont protégés par ces droits et non tous les hommes.
Cette conception limitative provient surtout de ce que les déclarations en question sont rédigées à la suite d’exaltations révolutionnaires et par des révolutionnaires victorieux. Ce fut le cas, par exemple, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en France, rédigé en 1789 par les Robespierre, les Danton, les Sieyès. A partir de l’interprétation et de la pratique d’aujourd’hui, on peut déduire que l’homme et le citoyen en question désignent seulement le révolutionnaire triomphant et lui essentiellement. Pas la soldatesque qui défendait le roi, ni ce dernier lui-même, ni les membres de sa famille, tous désormais exclus de l’humanité. Les activistes contemporains de la « société civile » et de certains partis politiques, surtout ici en Afrique, sont héritiers de cette conception limitative, exclusiviste, unilatéraliste et ostraciste des droits de l’homme. Les violentes émeutes de Bamenda et de Buéa, capitales des deux régions irrédentistes anglophones au Cameroun, le confirment en tout cas.
III- Des hommes et des « non hommes »
Les péripéties que nous venons de vivre dans ces deux régions, où quelques activistes usant de violence et de chantage ont réussi à paralyser l’action publique pendant quelque temps, ainsi que des commentaires subséquents des « observateurs » de la société civile, des autorités religieuses et traditionnelles, amènent à repenser le sens qu’on peut donner au concept « homme » quand ils dénoncent les manquements aux droits de l’homme de la part de l’Etal. On en est arrivé à se demander, pour épiloguer, ce que signifie l’homme dans ces conditions.
Tout se passe comme s’il y avait deux entités séparées, aussi bien matériellement que conceptuellement : le pouvoir d’une part et le peuple de l’autre, murés dans un antagonisme radical, et se regardant en chiens de faïence. On oublie que c’est dans le peuple que s’origine l’essence même du pouvoir, et que ce dernier est l’émanation du premier, comme les hommes sont l’émanation de Dieu, ou les enfants celles des parents. Les dissensions, momentanées, durables ou permanentes, ne peuvent pas oblitérer cette liaison fondamentale et consubstantielle, ni installer l’altérité que l’on croit. On pouvait y penser quand le pouvoir se disait de droit divin. Mais entretemps, et se faisant entériner par la pratique, Rousseau avait démontré que ce pouvoir venait en réalité du peuple, c’est-à-dire des hommes. Si des individus peuvent avoir des raisons de se fâcher contre ce pouvoir qu’ils ont installé et qui est aussi exercé par des hommes en chair et en os, qui viennent tout autant de leurs familles que de leurs diverses communautés, ces derniers ne présentent pas une extranéité telle qu’il faille les abattre ou les détruire en toute gratuité et sans coup férir. Leur appartenance à l’appareil du pouvoir n’en fait pas des mouches qu’on pourrait pulvériser sans conséquence.
Sans être formellement de l’Etal en revêtant ses attributs à l’instar du policier, du ministre ou du directeur général, tout homme est fondamentalement de l’Etat pour l’avoir créé dans un contrat social. C’est pour cela que tout homme peut dire : « L’Etat, c’est moi », non au sens absolutiste d’un Louis XIV, mais dans un sens totalement républicain. Dans cette conception fusionnelle, il ne se crée aucun face-à-face dichotomique ou antagoniste.
L’observation des textes de déclarations des droits nous montre que chacune d’entre-elles s’ouvre par un quantificateur universel : « Tout homme a droit à. ». Il n’y a donc pas d’exception. Considérons maintenant l’action sur le terrain, et faisons arrêt sur l’image. Ayant sans doute ses raisons, une foule de mécontents s’avance, en fracassant au passage les voitures rencontrées ; elle reconnaît un commissariat, lieu de travail de la police d’Etat ; elle y met le feu. Elle s’empare maintenant du drapeau, emblème de la souveraineté du peuple et de la nation, et le réduit en cendres, devant des badauds apeurés et médusés. Les agents de la police d’Etat doivent rétablir l’ordre perturbé et protéger les hommes et leurs biens. Ils s’interposent et reçoivent au visage des coups de pierre et des barres de fer. Qui pourra faire croire que ces agents, ces travailleurs dont le rôle est de protéger les citoyens et les biens, ne sont pas des hommes eux-mêmes, qui ressentent la douleur sur leur corps, qui se blessent, qui se fracturent et qui coulent aussi du sang de leurs veines ? Qui est homme et qui ne l’est pas ? Là, à cet endroit qui n’a pas respecté les droits de qui ?
Quand la police met enfin la main sur des loubards, elle s’aperçoit que ces derniers ne savent même pas pourquoi ils font de la casse, ils ne connaissent pas la cause qui est en jeu. Quelques auteurs intellectuels, les commanditaires des troubles sont eux aussi mis aux arrêts, et la société civile ; à côté des partis politiques, commence à crier aux droits de l’homme.
Qui est donc l’homme ici et qui ne l’est pas ? D’après nos crypto-humanitaires, l’homme serait uniquement celui qui bloque les écoles et les tribunaux, qui se dirige pacifiquement vers les commissariats en endommageant les véhicules au passage, celui qui porte dans ses poches des projectiles, des flacons d’essence et des briquets inoffensifs, celui qui tabasse en pleine rue, sur ordre des syndicats, les enfants et les enseignants voulant aller à l’école. Celui-là agit donc au nom de quelle loi civile ? Max Weber n’avait-il pas déjà disposé que la seule violence acceptable n’est que celle exercée par l’Etat au nom de la loi, et que nul autre ne peut s’octroyer cette prérogative ?
Quand nos ONG des droits de l’homme et nos prestigieux partis politiques prennent position en faveur des fauteurs de violences et de troubles, ils veulent dire que les victimes de ces violences ne sont pas des hommes, mais plutôt, des « NON HOMMES > dépourvus de tout droit. Ceux-ci n’auraient droit qu’à un « non-droit » sans protection. Il est à peine acceptable pour les activistes, les coupeurs de route antiscolaires et les autres forces qui les soutiennent que ces gens qui travaillent au service de l’Etat ont une maison dans la ville, une famille, un père, une mère, une femme ou un mari, et encore moins des enfants. Ce ne sont pas des êtres humains ordinaires comme les autres. Ils n’ont même pas droit au droit naturel ; Ce sont des « non êtres », inclassables au registre des sujets de droit. Ils n’ont aucune raison existentielle, aucune sociologie, aucune ontologie, aucune métaphysique. Parce qu’ils travaillent pour l’Etat et pour le pouvoir, les Déclarations des droits de l’homme ne les concernent pas. NON HABEAS CORPUS. Ils ne sont ni des hommes, ni des citoyens, mais des « êtres-là », passibles seulement d’injures, de crachats, de gifles et de barres de fer. Il ne leur est reconnu un peu d’humanité que lorsqu’il faut rattraper un voleur en fuite. Mais, ô sacrilège, ils ont osé mettre aux arrêts les vrais hommes et citoyens, ceux qui protestent dans la rue, ceux qui causent et commanditent les désordres urbains. Décidément nos ONG qui font sommation à l’Etat de libérer les matamores et autres flibustiers des rues ne sont que des officines de dédouanement de la criminalité. Certes faudra-t-il pardonner un jour, mais alors en disant toute la vérité, dans l’éthique de « VERITE ET RECONCILIATION ». Le peuple doit savoir qui a fait quoi, qui a financé quoi et pourquoi, qui a cassé quoi, qui a brûlé quoi, et aussi, dans quelle mesure la police a-t-elle commis des abus, car elle non plus n’est pas au-dessus de la loi. Nous vous savons tous dans la République et équivalents devant la loi
IV- L’étau de deux fronts conjugués
Comme épilogue de ces péripéties, on ne peut pas ne pas déplorer l’extrême complaisance de ceux des leaders d’opinion qui tiennent en direction de l’Etat un discours unilatéral sur les droits de l’homme, surtout quand des preuves sont établis que des flots d’argent viennent de la diaspora étrangère et peut-être même des grandes puissances. Des fonds au-delà de ce qui convient pour entretenir des piquets de grève. Donc, des fonds suffisamment consistants pour l’ouverture d’un foyer de tension, ou même d’un front de guerre. Les arguments de figuration comme le fédéralisme, avaient déjà été résorbés par l’harmonisation des pères fondateurs de la nation, en 1961; Ils avaient vu juste, et la Constitution proclame fièrement à partir de ce jour, que LE CAMEROUN EST UN ET INDIVISIBLE «Ceux qui en parlent aujourd’hui, cherchant à détruire le principe de l’unicité de l’Etat consacré par ces patriarches, n’étaient alors que des adolescents, qui n’arrivent pas à fournir la preuve jusqu’à présent qu’ils soient devenus plus sages que les architectes de notre nation. D’ailleurs, un homme sage ne cherche pas à détruire un patrimoine légué par ses parents, mais plutôt à le renforcer et à le fructifier.
D’un autre côté, on peut déplorer pareillement, dans la situation actuelle, l’inopportunité de créer une sévère rébellion dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest du pays, quand ce dernier se trouve en guerre ouverte dans ses régions septentrionales contre la secte islamiste BOKO HARAM. Cette tentative manifeste de déstabilisation ne rentre-t-elle pas dans une stratégie d’affaiblissement du potentiel militaire de notre pays ? Occasion de se rappeler qu’au moment où nos forces armées avaient commencé de réagir sérieusement contre les éléments de ce BOKO HARAM, nos associations et experts profès de la société civile avaient pareillement condamné les violations des droits de l’homme par notre appareil juridico-sécuritaire. Ils étaient montés au créneau en faveur de ceux qui venaient s’exploser dans nos marchés et dans nos lieux de prière en tuant des centaines de personnes innocentes, tous hommes et citoyens. N’étaient-ce pas là des actes délibérés de démoralisation des forces armées ? Décidément nos humanitaires font de l’art pour l’art, ou alors ne sont-ils que des voix de leurs maîtres. Et là, tout s’explique, comme peut également s’expliquer la concomitance de deux manœuvres de déstabilisation cherchant à faire étau. La strangulation est l’effet recherché, les autres péripéties n’étant que des épiphénomènes de divertissement. CQFD