Louise NGUINDANI est experte en gestion de politique économique et chercheuse dans le développement durable à l’Université de Kinshasa, en république démocratique du Congo (RDC). Elle vient de séjourner à Dschang, à l’Ouest du Cameroun pour solder, entre autres, son appétit et sa curiosité de la gestion des déchets. Une découverte faite il y a quelques mois au travers d’une visioconférence animée depuis Bordeaux en France.
Louise NGUINDANI a entendu parler de la valorisation des déchets de Dschang et à l’instar Timothée dans la Bible, elle a décidé de venir voir cela de ses propres yeux. Elle est venue et elle a donc vue. Et elle rentre à Kinshasa convaincue de faire venir à son tour le Gouverneur de cette grande capitale africaine car, dit-elle, «Quand les yeux voient c’est facile à décider et d’appliquer ».
Notre reporter a rencontré Louise NGUINDANI qui, en sa qualité de présidente de la « Maison pour tous », prêche la préservation rigoureuse et sans concession de l’environnement par l’assainissement maitrisée et une hygiène absolue qui concerne aussi bien notre corps que notre espace de vie. Nous vous proposons de découvrir l’entretien qu’elle nous a accordé.
Cette interview a été réalisée par Augustin Roger MOMOKANA pour le compte du journal en ligne Sinotables. Date de la mise en ligne 25 juin 2021.
Bonsoir Louise NGUINDANI.
Bonsoir, Monsieur.
Commençons par la « Maison pour tous ». De quoi s’agit-il ?
Asbl “Maison pour Tous” dont je suis la présidente est une association qui a pour objectifs la formation de la jeunesse sur tous les plans y compris le plan religieux, l’assistance aux personnes vulnérables dont les malades du Vih/Sida et de la covid-19, et aux personnes victimes des catastrophes naturelles.
Dites-nous, qu’est-ce qui vous amène au Cameroun ?
Je suis venue au Cameroun, plus précisément à Dschang, pour voir de mes propres yeux comment la ville de Dschang arrive à valoriser les déchets. Comme vous le savez, on dit que le monde est devenu un village planétaire. Et cela ne se discute pas. J’ai suivi une vidéoconférence organisé depuis Bordeaux par l’Association internationale des maires francophones (AIMF) sous le thème de la « ville en économie circulaire ».
“Ville en économie circulaire” !
On veut rendre nos villes propres. Et le principe de l’économie circulaire voudrait que « rien ne se perd, tout se recycle ». Une économie circulaire permet l’économie d’échelle. Lors de cette visioconférence le modèle de Dschang m’a le plus intéressé et conquis. Il m’a véritablement séduit. Parce qu’à Kinshasa nous avons un programme mis sur pied par le gouverneur Gentiny NGOBILA MBAKA. Il s’appelle « Kin Bopeto » (« Kin propre »). Avec « Kin Bopeto » on arrive à ramasser les déchets pour aller jeter à un endroit. J’habite dans la commune où ces déchets sont jetés. Parfois ils dégagent des odeurs indescriptibles. Lorsque j’ai suivi la conférence je me suis dit que Dschang est un modèle que l’on doit dupliquer ici. S’il est dupliqué à Kinshasa, il va certainement générer des ressources, ça peut retirer 10 ou 20 jeunes dans le chômage et forcément cela va réduire le « Kuluna » qu’on appelle chez nous le banditisme à main armée.
Comment appliquez-vous ce principe de l’économie circulaire au regard de ce que vu avez vu à Dschang ?
Dschang est dans la pratique de l’économie circulaire. La commune récupère les déchets ou ordures ménagères pour les transformer en matière première qui est le compost. Cela afin de permettre une agriculture biologique rentable et durable. Sur le plan de l’enseignement ça va nous servir de cas pratique pour les cours d’environnement que nous dispensons dans les universités de Kinshasa et aussi proposer ce modèle à l’autorité de la ville de Kinshasa pour accompagner le projet « Kin Bopeto ». À mon avis ce modèle viendra prendre en compte la partie aval c’est-à-dire la récupération des déchets puisque déjà le projet a déjà réussi en amont.
Parlez-nous de ce que vous avez concrètement vu à Dschang. Est-ce que vous êtes contente de cette réalité ?
J’étais sur les sites et j’ai vu l’organisation du travail. Elle est tout simplement impressionnante. Lorsque vous y êtes-vous voyez des gens trier des déchets, des gens porter les déchets d’un coin pour un autre ; des gens retourner les déchets. Ce qui m’avait surtout impressionné le plus c’est le management, le leadership de l’AMGED. Ils ont su fidéliser leurs travailleurs. Ils leur ont laissé gérer à leur propre compte les bouteilles et les canettes. Cela ne rentre pas dans le modèle économique de Dschang. Il s’agit d’une motivation extrêmement importante, après la rémunération.
Pour quoi cet aspect vous parait-il si important ?
C’est un modèle à encourager. Parce qu’au-delà du profit qui est l’objectif principal d’une entreprise, le bien-être fait partie des éléments que l’on doit prendre en compte, parce que l’approche durable, la durabilité, prône l’équité. Leur donner cela est spécial et très fort.
Vous étiez à la plateforme de Siteu où a été inaugurée l’usine de tri modulaire des déchets hier.
On l’a inauguré hier, mais c’est aujourd’hui que nous y sommes allés. On nous a montré et expliqué le process de valorisation des déchets. Il y a également quelque chose de touchant. L’étape de brouettes est terminée. Les agents seront sur la table pour trier les déchets. Cela va leur permettre d’atteindre une grande d’échelle. Et du coup, ils vont produire les déchets en grande quantité. J’ai aimé la manière de faire. On a tout chronométré. Nous avons vécu toutes les étapes. A la pose j’ai vu les dames et les hommes, chacun s’occuper de ses affaires. Et au moment où on devait partir le camion est venu et nous avons assisté à cette autre opération. C’était vraiment… le travail.
Comment est-ce que la question de la gestion des déchets est-elle adressée à Kinshasa ?
La gestion des déchets à Kinshasa est un concept nouvellement venu. On ne le maitrise pas très bien. Du coup il faudrait d’abord enseigner aux gens les éco-gestes car, comme disait le Vice-premier ministre de l’Environnement, Madame Eve BAZAIBA : « protéger l’environnement c’est se protéger soi-même ». Nous sommes donc un environnement humain. Si notre environnement est pollué, notre environnement humain ne pourra pas mieux se porter. Parce que comme nous le savons, l’homme est au centre des facteurs de production.
Vous êtes venue et vous avez vue. Quelles peuvent être les perspectives qui se dessinent après que vous soyez rentrée à Kinshasa?
J’ai vu. Et puis je vais rentrer faire le plaidoyer auprès de mes dirigeants. Et je vais même souhaiter qu’à la longue mon gouverneur puisse venir ici pour voir exactement ce qui se passe et qui doit être implémenté à Kinshasa. « Kin Bopeto » c’est bien en amont. En aval ce serait faire ce que Dschang a fait. On peut valoriser les déchets. On peut engager les jeunes, et on peut pratiquer l’agriculture bio comme j’ai vu que ça se fait très bien ici.
Qu’est-ce que vous vous êtes dites avec les responsables de l’Agence municipale de gestion des déchets ?
J’ai beaucoup parlé avec le directeur de l’AMGED. Pendant notre visite c’est lui-même qui nous expliquait la politique, la stratégie et le processus de gestion des déchets. Il nous a même conduits à un site – parcelle témoin – où de jeunes gens utilisent le compost comme fumier pour produire des légumes et beaucoup d’autres plantes. Du coup cela a renforcé et resserré la conviction que j’ai en visitant le site de traitement des déchets. Pour encourager ces jeunes j’ai acheté de l’artemisia. J’ai également acheté des bougies qui tuent les moustiques ; ce qui est fait là-bas est bio. Si on pouvait rentrer à l’authenticité…
Est-ce que l’expérience de ces jeunes-là pourrait également être inscrite dans le plaidoyer que vous voulez porter à l’attention des autorités de votre ville ?
Je pense que le projet Dschang est une réflexion globale. Cela voudrait dire qu’ils ont commencé en amont et en aval. Du coup il ne suffit pas de monter un projet, ce qui est important c’est de pérenniser le projet et je pense que Dschang sur ce coup a réussi. Le modèle de Dschang, du début jusqu’à la fin, c’est un modèle de réussite. Si les politiques pouvaient mettre la main à la pâte on ne parlerait plus de projet Dschang, mais de projet Cameroun.
Vous êtes plutôt très favorable à la coopération Sud-Sud, contrairement à certains qui voudront laisser cette expérience maison pour aller la chercher au Nord.
Mon initiative n’est pas de voir les choses au niveau des Etats. Je suis venue ici en tant qu’individu. Parce que j’ai vu et suis tombée amoureuse du modèle de Dschang lors d’une visioconférence. Je suis chrétienne et il y a une chanson que j’écoute beaucoup qui dit qu’il faut être « disponible ». On dit : « les héros sont ceux-là qui, pendant que les autres dorment ils se réveillent, observent et pour faire mieux. » ça veut dire que je suis fille de mon pays la RDC. Je suis chercheuse, je suis une femme politique aussi. J’ai beaucoup de qualités en moi. Je me suis dit que je ne peux pas regarder sans faire quelque chose. Du coup je me suis dit que le modèle de Dschang c’est quand même une réponse à notre problème. Pourquoi ne pas adopter cela au lieu de chercher des solutions ailleurs. Je vais plaider pour que le Gouverneur de Kinshasa vienne voir lui-même.
Pourquoi pensez-vous que le Gouverneur de Kinshasa devrait absolument venir voir ce que Dschang fait de ses déchets ?
Quand les yeux voient c’est facile à décider et d’appliquer. Moi, comme Thomas, j’ai vu de mes propres yeux, j’ai admiré. Moi, je n’ai pas la décision. J’aurais voulu qu’il vienne voir. Vous savez, Kinshasa c’est 24 Communes. Avant on disait « Kin la belle », aujourd’hui on dit « Kin la poubelle ». Si « KIN » pouvait venir voir ce qui est fait à Dschang, sûrement qu’elle réussirait à redonner à « KIN » son éclat d’antan. Et du coup le Gouverneur aurait gagné sur son bilan. Si aujourd’hui on réussit à investir dans les déchets, si le Gouverneur réussi à gagner, c’est la RDC qui gagne.
De « Kin la belle » à « Kin la poubelle » : comment en est-on arrivé-là ?
C’est le manque d’assainissement. Et le projet « Kin Bopeto » est une solution pour inverser la tendance. Lors de sa campagne monsieur le gouverneur a mis l’accent sur ce point-là pour redonner à Kinshasa sa plus belle robe d’avant. Ce n’est pas seulement pour Kinshasa mais beaucoup de ville du monde. D’où l’éthique est une variable très importante pour tous les citoyens.
Outre les déchets quoi d’autre vous a touché ici au Cameroun?
Je suis au Cameroun depuis le 12 juin, invitée par Monsieur KALIEU Christian dans le cadre de « Banka Life » qui est son service d’ambulance dans la ville de Bafang. J’étais stagiaire dans son école. J’ai pu faire de l’adressage, j’ai eu également à faire de la cartographie car, comme on dit, il faut « adresser pour sauver des vies ». L’idée c’est redessiner la carte de l’Afrique. Parce que nos villes ont été dessinées de manière où on n’a aucune précision. Elles ont été dessinées telle que les Colons voulaient les voir. Pourquoi part-il du service d’ambulance à l’adressage ? Parce que lorsqu’il appelait les gens pour les interventions ils se retrouvaient très difficilement. Les gens renseignent par un « manguier » alors qu’il y a beaucoup de manguiers et du coup c’est très difficile de se retrouver. En outre, je suis allée dans les chefferies Banka, Batié, Banfelouk. J’y ai rencontré des rois et ils m’ont parlée de l’histoire de ces villages-là. C’est très intéressant. Quand on voyage, on apprend beaucoup de choses.
Quelle est votre domaine en tant que Chercheuse ?
Moi je suis experte en politique économique et chercheuse dans le développement durable. Je ne fais pas l’économie comme Adam Smith. Moi je suis dans l’approche du développement durable. Je suis par ailleurs experte de l’Union africaine dans le Programme d’infrastructures de l’Afrique (PIDA), Experte de l’Union internationale des télécommunications (UIT) dans la question 5 : environnement, économie circulaire et changement climatique, développement durable.
Et comme vous partez d’ici, qu’est-ce qu’on devrait retenir ?
Vous devez retenir qu’il y a une fille du Congo qui est passée ici. Elle a eu à avoir ce que vous faites à Dschang et elle est très heureuse de votre expérience. Et à son arrivée au pays elle va faire le plaidoyer auprès des politiques. Elle pense revenir avec ses parents pour leur présenter les réalités qu’elle aime chez vous et qui doivent être transposées à Kinshasa.
Madame Louise NGUINDANI je vous remercie de nous avoir sacrifiés de votre temps.
Je vous en prie Monsieur Momokana.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA