La communauté internationale a célébré le 21 Février 2019, la langue maternelle. Au Cameroun, les établissements scolaires ont été mobilisés à l’occasion. Ce qui a donné lieu à des manifestations diverses : chants, danses, écriture, etc. Quel impact cela peut-il créer dans la société ? Quelle place occupent les langues maternelles aux cotés des langues officielles ? Comment Valoriser nos langues maternelles ? René Poundé, fonctionnaire retraité, répond à ces questions et à bien d’autres.
Quelle idée vous faites-vous de la Journée Internationale de la langue maternelle ?
Cette journée devrait être une bonne chose si elle est conçue dans le sens de conscientiser et les parents, les jeunes, les moins jeunes encore sur l’importance qu’a la langue maternelle dans notre espace culturel. Je me rends compte que les parents ne sont même pas au courant, ou très peu le sont. C’est devenu une affaire scolaire. L’ensemble du corps social n’étant pas conscientisé, effectivement il manque à ceux-ci qui sont les premiers éducateurs de parler à leurs enfants de l’importance de l’appropriation de la langue maternelle. Il s’agit ici de l’une des raisons pour lesquelles nous nous plaignons aujourd’hui de cette fameuse crise identitaire. Comment voulez-vous parlez à votre enfant dans une langue qui n’est pas la vôtre et vous lui parlez des choses qui sont les vôtres.
Ce questionnement soulève une autre question : que représente notre langue maternelle aux côtés des langues officielles ?
La réponse est simple. Les langues officielles sont venues d’ailleurs et ne remplissent pas les fonctions que les langues maternelles. Je vais prendre un exemple : lorsque vous dites le Ssi en langue Yemba, traduisez-moi cela en français.
Le sol.
Est-ce que cela a une connotation avec ce que vous entendez dans votre langue maternelle ? On dit la journée du Ssi. Cela n’a rien à voir avec le sol ou la terre, sauf si vous voulez nous dire que la terre fait allusion à la fécondité. Si vous dites à votre enfant qu’on va à la cérémonie du Ssi, il verra la cérémonie de la terre. Non pas la cérémonie des jumeaux.
A qui revient la faute ?
La faute revient à ceux qui nous ont imposé leurs langues. A nous-mêmes parce que nous nous sommes laissés aller. Et surtout à nous d’aujourd’hui, parce qu’on ne peut pas dire que nous ne voyons pas le danger. Nous l’avons déjà vu. Comment faire pour retourner à l’essentiel, tel est me semble-t-il la véritable question.
Que proposez-vous ?
Que les manifestations à l’instar de la journée de la langue maternelle se passent autrement. Il faut sensibiliser les parents. On ne saurait confiner un sujet aussi sensible à l’école seule. Les enfants qui sont en déperdition scolaire n’ont-ils pas besoin de leurs langues maternelles ? Il s’agit de conscientiser tout le corps social adulte qui comprendre qu’il a la charge de conscientiser sa propre progéniture. Et que l’école ne serve que comme socle d’accompagnement. Non pas le lieu exclusif où l’on parle de la question de la langue maternelle. Je ne sais pas si 5% des jeunes qui ont participé à cette journée savent de quoi il s’agit et connaissent les objectifs visés. Pourtant j’ai l’impression que si leurs parents les avaient conscientisés avant qu’ils n’aillent à l’école ils auraient bien compris de quoi il est question ou ils s’y seraient intéressés. Il me semble qu’il y a le ministère des affaires sociales, le ministère des arts et de la culture. Comment peut-on faire une pareille affaire sans que ces ministères en soient associés ?
D’ailleurs, il me semble que dans le cadre de la décentralisation les mairies seront beaucoup plus en charge de la question d’éducation. Ce qui est une bonne chose. Pour autant que les mairies prennent langue avec les mouvements associatifs. Parce que la mairie en tant que telle ne peut pas faire ce boulot tout seule.
Puisque nous sommes à Dschang, connaissez-vous quelques associations capables de soutenir une telle initiative ?
Il y a des associations culturelles à Dschang. J’entends parler de l’Alliance franco-camerounaise, de l’Arvatra. Il y a des groupes de danses qui se forment en associations. Et dans le groupe de danse on chante. Et ces chants sont en langue maternelle. Est-ce que ce n’est pas là la recréation du fameux medzon qui était un lieu d’éducation transversale et intégratif? Utilisons les armes que nous avons, c’est-à-dire les institutions séculaires qui sont les nôtres pour faire la promotion de la langue maternelle.
Et où mettez-vous la famille ?
Elle est au centre de tout. Si un parent comprend qu’il est important que son enfant puisse parler sa langue à lui sinon au bout d’un certain temps il y aura rupture de communication entre lui et cet enfant je pense qu’il fera l’effort. Mais comment conscientiser les parents ? C’est là la question, et il faut passer par la vie associative. Lorsque vous convoquez la réunion des parents d’élèves, au lycée classique de Dschang pour prendre un exemple précis, vous avez combien de personnes ? Leur problème c’est de venir payer la scolarité de leur enfant et de s’en aller. Précisément parce qu’ils ne sont pas conscientisés. Et les associations des parents d’élèves, voilà les lieux où on devait débattre de ces questions-là.
Merci pour votre disponibilité à répondre à nos questions.
Je vous en prie.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA