
Marios KENFACK pose devant quelques-uns de ses tableaux
Marios Kenfack est jeune, pourtant il séduit déjà les amateurs de l’art plastique par son style et sa palette très élaborés d’une part, ses thématiques et leur beauté d’autre part. Ses thématiques lui imposent plutôt un rendu sous la forme de collections. L’amateur d’art doit bien se préparer pour approcher cet ancien de l’Institut des Beaux arts de Foumban.
Sinotables a rencontré le cousin de Sergeo Demefack, un peintre Camerounais résidant au Etats-Unis, dans sa galerie à NewTwon Foto, à Dschang.
Marios Kenfack, dites aux lecteurs de sinotables qui se cache derrière ce nom.
Je m’appelle Marios Kenfack. Je suis artiste plasticien camerounais diplômé de l’Institut des Beaux-arts de Foumban, en arts plastiques et histoire de l’art.
Quelle est votre dernière actualité ?
Ma dernière actualité c’est mon exposition à N’djamena, au Tchad, à l’occasion du Salon International de l’Art et de l’artisanat qui a eu lieu en octobre 2019. On y a été très bien accueilli et l’exposition s’est déroulée dans de très bonnes conditions. J’y ai présenté une collection de 10 œuvres réalisées à base du stylo et des pigments naturels.
Après N’djamena, à quoi renvoie votre actualité ?
L’événement que je prépare en ce moment c’est mon exposition de Paris. Je dois exposer dès le 14 février courant, à la Médiathèque de Fontenay aux Roses, une exposition. Cette exposition portera sur mes œuvres de débutant. Je les ai réalisées à base des pigments naturels.
Dans aucun de vos tableaux n’apparait la peinture à huile.
J’utilise les pigments naturels parce que dès le bas âge je me suis vu refuser l’utilisation des peintures chimiques. Elles me créaient d’énormes soucis respiratoires. Pour cela le médecin m’a formellement interdit d’en faire usage. Mais comme je ne pouvais pas me passer de la peinture, j’ai eu l’idée de me retourner vers la nature. C’est là que j’ai découvert les pigments naturels : la terre, la bouse de vache, les végétaux, etc.
Quels sont les thèmes que vous abordez régulièrement dans vos tableaux ?
Je travaille sur l’identité africaine. J’ai une définition de l’art et c’est cette définition qui oriente mon travail artistique. Pour moi, l’art est une pratique humaine qui place l’homme au centre de son identité culturelle et historique.

Votre travail transpire des racines. Il est basé essentiellement sur l’arbre. C’est quoi cette affaire ?
L’arbre est un élément essentiel dans les cosmogonies africaines. Le baobab plus particulièrement, parce qu’il est une plante identitaire. Le processus d’implantation des chefferies traditionnelles bamiléké a eu pour principe la plantation ou l’identification d’un baobab. Car il détermine la prospérité d’un site. C’est cette considération qui m’amène à adosser mon travail à l’arbre. Dans la mesure où mon travail est une quête identitaire. Pour moi, l’arbre est un véritable témoin de l’histoire. Son espérance de vie est plus longue que celle de l’homme. A l’identité d’un arbre peut s’attacher l’identité d’une personne. Les arbres racontent des histoires, les arbres nous parlent. D’ailleurs, il est fréquent dans nos villages de centrer des histoires sur des arbres. On parlait de l’arbre à palabre. Avec un tout autre regard, l’homme est aujourd’hui et plus que jamais conscient de l’apport de l’arbre dans la régulation de son cycle de vie. Un arbre abattu, c’est l’humanité qui est menacée.
Comment se fait votre rencontre avec la peinture ?
Mon contact avec les arts remonte à ma prime jeunesse. Mon père m’avait inscrit dans l’atelier dessin du Centre culturel des loisirs de Bandja, dans le Haut-Nkam. Comme je travaillais beaucoup, cela sans doute attiré l’attention de la promotrice, Madame Teyang. Elle m’a aussitôt suivi et conseillé de m’inscrire plus tard dans un institut des beaux arts. J’étais encore à l’école primaire. Par la suite, lorsque je suis arrivé au lycée classique de Dschang, j’ai rencontré un enseignant d’arts plastique en la personne de Maître Pompée. C’est ce dernier qui m’a donné l’envie de peindre. Il était comme on dit aujourd’hui un grand bosseur. Il m’a pris sous sa protection. Et chaque fois que je faisais un petit exercice il le corrigeait et m’encourageait à faire mieux. Cette façon de faire, cette attention soutenue m’ont encouragé à donner le meilleur de moi-même. Après l’obtention du baccalauréat, tout naturellement j’ai présenté avec succès le concours d’entrée à l’institut des beaux arts de Foumban. J’y ai passé trois année avec à la clé une licence en arts plastiques et histoire de l’art. Puis, depuis lors je suis inscrit à l’université de Dschang, en filière Civilisations et religions. Vous comprenez que je tire mon inspiration dans l’histoire africaine.
A l’institut des Beaux arts vous semblez n’avoir pas eu d’influences ?
J’en ai eu de nombreuses influences. Mais celle qui m’a le plus fasciné et influencé s’appelle Maître Pascal Kenfack. Il est un artiste à la réputation mondialement établie. Je suis son homonyme. Il travaille avec des pigments naturels. Les thématiques qu’il traite m’intéressent. Il suit mon travail. Il est optimiste en ce qui me concerne. Je travaille comme il aime. Il ne cesse de m’encourager à aller de l’avant.
Vous êtes annoncé dans les tous prochains jours à Paris, en France, à travers une exposition. De quoi s’agit-il exactement ?
L’exposition de Paris est composée essentiellement de mes toiles de début. Celles réalisées entre 2015 et 2016. Il s’agit de 14 pièces réalisées à base des pigments naturels. J’y ai abordé des thématiques chères à l’Afrique, à l’instar du vivre ensemble, et du commerce honteux des esclaves ou encore la traite négrière.
Je dois vous dire que j’ai été à Bimbia en 2014 et une fois rentré dans mon atelier cet environnement m’a envahi, il s’est imposé à moi comme une source d’inspiration. Parce que Bimbia regorge encore des vestiges de ce commerce honteux que les uns ont baptisé « commerce des esclaves ». Bimbia fait partie de l’histoire de l’Afrique. Chaque fois que j’ai rencontré des Afro-américains, ils m’ont paru profondément bouleversés par cette histoire qui est leur histoire aussi, notre histoire commune. Ils ont été très tôt sevrés de leur identité. Voilà la raison pour laquelle j’ai réalisé cette collection qui a vocation à consoler ces frères. Mais je dois également vous dire que Lisa Aubray, une Afro descendante qui a exposé Bimbia aux yeux du monde entier, m’encourage à me focaliser sur cette thématique. Elle avait effectué, lors de mon exposition « Racines et Baobab » à l’Alliance Franco-Camerounaise de Dschang, le déplacement à la tête de touristes américains.
Dites-nous, Pour quoi Marios Kenfack accorde-t-il une attention particulière à l’identité africaine ?
Le problème épineux que l’Afrique traverse au XXIe siècle est d’ordre identitaire. Dans la mesure où elle a connu plusieurs crises d’aliénation qui, naturellement ont influencé négativement l’identité de l’Africain. Au point où l’on en est à se demander si elle a une culture. L’Afrique a-t-elle une véritable identité ? Ce sont ces questions que je me pose au quotidien. Et c’est ce qui motive ma démarche.
Vous vous posez ces questions et quelles en sont les réponses auxquelles vous avez déjà abouties?
La réponse ce sont mes œuvres. Dans la mesure où je fais toujours des rétrospections. Des rétrospections surtout dans l’Afrique pharaonique et précoloniale. Il est fréquent d’entendre les parents dire que ce que nous faisons aujourd’hui s’écarte complètement de ce qui se faisait jadis. Nous devons chercher le pourquoi et le comment.
Vos travaux sont en collections. Pour quoi ?
Je les préfère en collections. Parce que les thématiques qui m’intéressent méritent d’être explorées profondément. C’est cette densité-là qui me permet de mieux m’exprimer. C’est sous ce regard que le visiteur doit comprendre ma démarche artistique. Lorsque je réalise mes œuvres, je pense beaucoup plus aux musées, aux espaces publics, aux collectionneurs professionnels.
Quel est le message que vous souhaitez partager avec ceux qui visitent votre exposition ?
J’espère que mon discours artistique est compris. Si tel est le cas je souhaite que les visiteurs m’accompagnent dans ma démarche. Cet accompagnement est essentiel pour mon épanouissement professionnel. Le discours artistique pour moi c’est de considérer l’art comme une pratique humaine qui place l’Homme au centre de son identité culturelle et historique. J’aimerais que ceux qui découvrent mes œuvres s’inscrivent dans cette logique-là.
Qu’attendez-vous de votre exposition de Paris ?
Ce que j’attends de l’exposition de Paris c’est que mon message puisse passer. Qu’il puisse toucher des cœurs. Il est ici question de partager ma vision avec les visiteurs, d’échanger les valeurs africaines avec d’autres peuples. D’après la déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, il est dit que « toutes les cultures font partie du patrimoine commun de l’humanité. L’identité culturelle d’un peuple se renouvelle et s’enrichit au contact des traditions et des valeurs des autres peuples. La culture est dialogue, échange d’idées et d’expériences, appréciation d’autres et valeurs et traditions ; dans l’isolement, elle s’épuise et meurt ». Voilà pour quoi j’éprouve un énorme plaisir de partager mon savoir faire avec la France.
Situez nous l’exposition de Paris.
L’exposition se tiendra du 14 février au 06 mars 2020 à la Médiathèque de la Mairie de Fontenay-aux-Roses, dans l’arrondissement d’Antony, au sud-ouest de Paris.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA