
cet notable répand une poudre dans la nature
« Dans la Bible, il est dit que tu paieras jusqu’à ta septième génération. Parfois nous payons les désastres qui ont été causés par nos ancêtres puisque à leur époque c’était la loi du talion. Seuls les plus forts avaient le pouvoir. Une personne pouvait décimer toute une famille afin de s’accaparer de ses biens. Et quand il l’a fait, parfois en enterrant des gens vivants. Il ne s’agit pas d’une bonne mort. Mais ceux qu’il enterre partent en faisant leurs prières et, avec le temps, comme la Bible a pu le démontrer, cela se répercute sur ses descendants » : Sa Majesté DJOUMESSI III WAMBA Mathias est le chef supérieur du groupement Foréké-Dschang.

Le rite d’expiation entamé sur la Falaise de Dschang deux semaines plus tôt a été bouclé mardi 03 août 2021 au petit matin lorsque les notables mobilisés pour la cause ont rangé leurs objets de travail et regagné leurs villages.
Ces notables appartiennent à la confrérie des sept, c’est-à-dire « dans la confrérie du Kou’ngang. Ceux qui sont habiletés à manipuler les écorces, ceux qui sont en contact avec le monde métaphysique. »
Cet article a été rédigé par Augustin Roger MOMOKANA pour le compte du journal en ligne Sinotables. Date de la mise en ligne 05 août 2021.
A l’initiative de Sa Majesté DJOUMESSI III WAMBA Mathias, chef supérieur du groupement Foréké-Dschang, des nuages et des éclairs ont plu sur la Falaise de Dschang, une grande araignée a tissé et défait sa toile sur ce massif. C’était à l’occasion de l’exécution du rite d’expiation du mal.

Ces hommes venus de Foréké-Dschang et du groupement frère et ami Fondonera ont été mobilisés pour « chasser le mal » qui a dressé son nid dans la falaise, causant de nombreux accidents dont le plus cruel est survenu le 27 janvier dernier. Il a fait 58 morts brûlés et calcinés.
« Le chef supérieur Fondonera est un collègue et en même temps il est un fils. Pour cela il doit être imprégné d’un certain nombre de choses. Et, en plus, Fondonera et Foréké-Dschang forment aujourd’hui une même famille. Vous êtes sans ignorer que dans le sinistre du 27 janvier ont péri de nombreux filles et fils fondonera ».
Le notable Fodong DOMBOU Nestor, chef du village Ngui, conduisait ces opérations qui, à certaines étapes cruciales, ont nécessité la présence physique de Sa Majesté DJOUMESSI III WAMBA accompagné de son homologue de Fondonera, Sa Majesté NTEUBOU Etienne DJEUDO Junior.

« Parmi les notables que vous avez vus à cette occasion, il y’en avaient venus de Fondonera. Et ils appartiennent aussi de la confrérie des sept comme je l’ai dit plus haut. Vous ne le saviez pas peut-être, pour des rituels comme ceux-là, on ne choisit pas les forces qui peuvent s’opposer ou des gens qui viendront pour impressionner les autres. »
Comprendre le rite d’expiation
Le rite d’expiation est une cérémonie connue dans la Menoua sous le nom de Akèrè (langue Yemba). Il s’agit de conjurer la malchance, de rompre le mauvais sort. Généralement, il intervient après des morts mystérieuses (accidents, pendaisons, assassinats, etc.) Ces morts qui s’expliquent par la présence du ndoh (malédiction) dans la famille de la victime.
« Déjà après l’événement qui s’est produit il fallait laisser un laps de temps pour que les cendres des morts puissent rentrer dans le sol afin que nous puissions venir faire ce que notre coutumes nous recommandent. Dans certaines familles les gens ne meurent que par accident. Cela jusqu’à ce que l’on fasse ce type de cérémonie pour rompre avec le cycle. Ce qui nous dérange ce n’est pas la mort- nous savons que nous sommes tous mortels. Mais les circonstances de la mort nous interpellent.»
Ceci signifie que, normalement et selon les us et coutumes bamiléké, chaque famille qui perd un membre dans un accident, par pendaison, ou par assassinat doit recourir au rituel d’expiation afin que ce type de mort s’éloigne de la famille. Ce sera une cérémonie moins lourde et moins coûteuse que celle de la Falaise de Dschang car, pouvant être conduite par un seul prêtre traditionnel.

A la Falaise, ce sont une dizaine de grands prêtres traditionnels qui ont été mobilisés. Chacun possédant un pouvoir spécifique. Et c’est l’ensemble de ces pouvoirs qui, coordonnés par un prêtre supérieur, ont permis de venir à bout des esprits démoniaques qui avaient élu domicile en un lieu (un carrefour, une maison, un arbre, un être humain, un cours d’eau, etc.)
« Pour parler de ces bagarres il fallait que vous-même fussiez mystique. Parce que le commun des mortels ne voit pas ce qui est entrain de se passer. »
La bataille qui a eu lieu à la Falaise de Dschang « était de taille ». Un quart d’heure de hautes vibrations et au cours duquel le reporter que vous êtes devient comme une bête dans un enclos d’où il cherche à sortir. Il est impossible de suivre et de capter les actions simultanées de ces maitres. Vous aviez l’impression que l’un va s’envoler dans les airs, que l’autre transperce le bitume pour se dissoudre dans la route, qu’un autre là-bas s’est fait avoir et attend d’être secouru. C’est ici que je cru me retrouver à Bangos, pour qui se souvient des Aventures mystérieuses de Patrick NGUEMA NDONG sur la radio panafricaine Africa N°1.

Sur le site des 57 morts du 27 janvier 2021, un petit feu a été allumé sans briquet ni allumettes. Je ne sais pas comment expliquer cela. Juste désigner un endroit, s’accorder, conjurer et voir les brindilles déposés se transformer en une petite braise qui rapidement devient aussi un petit feu. Sur ce petit feu chaque prêtre se rapproche a aspergé sa part de potion. Tandis que le maitre, à l’aide d’un balaie répand la fine flamme de ce petit feu dans les quatre coins du ciel. Avant de finir par l’usage de son vielle sacoche qu’il balance à gauche, à droite, cogne sur le rocher, sur la chaussée. A chaque mouvement se dégage de ce sac magique un nuage étouffant qui s’évapore dans l’obscurité de la nuit.
Ils ont bien voulu que nous assistions à ces deux étapes du rituel. Afin que nous ayons la possibilité d’informer nos lecteurs sur un rite dont nous avons une mince connaissance de comme ça se passe. D’ailleurs, quelques heures plus tôt, le maitre de cérémonie nous avait averti : « Vous ne pourrez venir avec nous que lorsque nous serons certains que tout est réuni pour que nous ne preniez aucune flèche. Nous allons quand même vous permettre d’assister à une phase importante de ce que nous sommes entrain de faire », nous avait-il informé avant averti avant de foncer dans une tendre dressée à l’entrée de nto’o lepang.
Sinotables n’a donc pas assisté à toutes les étapes du rite. Il n’était ni à la phase de la préparation et de la gestion du ntèhè, ni à la phase des contacts avec les divinités, ni à celle de la pose des pièges dans la falaise. Des phases qui se déroulaient à des heures indues de la nuit et non pas dans le périmètre de la route que vous connaissez, mais dans la végétation qui recouvre le paysage de la falaise.
Aux conducteurs
Le rite d’expiation ne voudrait pas dire que le chef supérieur Foréké-Dschang a tué les accidents de la circulation sur la Falaise. Il signifie qu’il a éloigné les mauvais esprits et l’esprit du mal qui pouvaient planer sur cette route et dans la surface de la falaise, facilitant ainsi la survenue des accidents. Il faudrait donc que les chauffeurs sachent que conduire c’est être prudent, maitriser la conduite. Si un chauffeur pose le pied sur l’accélérateur, on viendra forcément ramasser ses restes dans la plaine, s’il a la chance d’atterrir dans un endroit accessible.

« Nous avons fait ce rites dans le but de protéger les personnes qui circulent dans notre territoire. Parce que ces véhicules qui viennent s’écraser à la falaise auraient pu s’écraser ailleurs. Pourquoi à la Falaise de Dschang ? Pourquoi toujours à la Falaise de Dschang ? Voilà la raison qui nous a poussés à barrer la voie à ce genre de chose. »
De nombreux chauffeurs ne descendent pas la falaise avec les freins moteurs. De nombreux chauffeurs effectuent les déplacements incontrôlés à la Falaise de Dschang. De nombreux chauffeurs mettent le climatiseur en marche lorsqu’ils grimpent la falaise. Si ceci ne crée pas des accidents, ça détruit la voiture.
« Nous demandons aux conducteurs de respecter le code de la route. De savoir ce qu’est la falaise. La falaise n’est pas une plateforme où on peut rouler à vive allure. On leur a beau expliquer qu’ils doivent faire usage des freins moteurs, cela ne les a pas empêché de se comporter comme des irresponsables. Les chauffeurs doivent aller prudemment. »
Sur la Falaise de Dschang il existe un seul endroit où même la semi-remorque, peut effectuer le tournant pour rentrer d’où il est parti. Malheureusement cet endroit est dans la broussaille. Alors qu’il devait être aménagé pour servir d’escale aux chauffeurs qui auraient besoin de s’arrêter pour souffler un peu en admirant le panorama.
Au gouvernement
Il faut remettre la tradition là où elle était avant. « Laissons à l’ayant droit sa chose. Ce rite appartient au chef du Groupement Foréké-Dschang. Je demanderai pourquoi les ministres veulent être chefs de groupement. Pourquoi les gouverneurs veulent être chef de groupement. Je dis bien que je ne saurai aller à Bangangté intervenir sur un fait qui concerne les traditions. Je ne peux non plus aller à Bafoussam intervenir. » L’on se souvient qu’après l’hécatombe survenue à la falaise de Dschang le 27 janvier dernier, Madame Célestine KEUTCHA COURTES, Ministre de l’Habitat et du développement urbain, sans avoir alerté le chef supérieur Foréké-Dschang avait effectué une descente à la falaise avec la danse Kou’ngang venue de Bangangté.

Cette interpellation de Fodong DONBOU Nestor, chef du village Ngui et maître de cérémonies permet de comprendre deux choses : d’un, vous ne pouvez pas aller pratiquer un rite expiatoire ou autre dans un village étranger sans avoir au préalable consulté et obtenu l’aval du propriétaire des lieux. De deux, pour organiser une intervention comme celle qui vient d’être faite à la Falaise il est nécessaire, au cas où un village voudrait se faire assister par un autre, de trouver celui des villages dont les pratiques et les esprits peuvent s’accepter et travailler en harmonie, sans qu’il y ait de la surchauffe ou des velléités de suprématie avec ceux du village demandeur. Si les forces spirituelles ne peuvent cohabiter, s’accorder rien de positif ne peut être fait.
« Je n’ai pas très bien saisi le sens du message de Fodong lorsqu’il dit que les ministres veulent devenir les chefs de groupement…Mais je pense qu’il est à noter que lorsqu’il y a une tragédie comme celle-là on doit réunir toutes les forces vives pour s’asseoir, réfléchir et voir ce qu’il y a lieu de faire. Et lorsqu’on fait sans tenir compte des réalités sociologiques de la localité cela pose problème. »
Sinotables adresse sa profonde gratitude à Sa Majesté le Chef supérieur du groupement Foréké-Dschang, ainsi qu’aux notables qui lui ont accordé de couvrir partie de cette cérémonie afin d’édifier nos lecteurs de cette pratique ancestrale.
Augustin Roger MOMOKANA