Lorsqu’un écolier rend ses cours avec exactitude on dit qu’il est intelligent. Ce type d’intelligence l’accompagne d’ailleurs jusqu’à l’université. Mais quand il s’agit d’utiliser cette « intelligence » pour répondre aux retournements de situation de la rivière imprévisible de la vie quotidienne, ces êtres dits intelligents perdent, dans la plupart des cas leur assurance et leur patience ; surtout que, habitués aux décorations, ils se sont si gonflés de fierté qu’ils n’imaginaient pas une vie plus complexe que les appréciations sur leurs feuilles de devoirs surveillés.
Lorsqu’un gamin pose de façon effrénée des questions, quel bonheur pour ses parents qui s’imaginent que c’est un signe d’intelligence ! En réalité c’est la préparation qui annonce l’adulte de demain qui ne pense pas par lui-même et qui assurément deviendra un bon employé de bureau parfois plein de ruses même si ses diplômes font de lui un haut cadre.
L’africain authentique ne posait des questions qu’après avoir longuement considéré tous les symboles contenus dans l’enseignement reçu. C’est pour cela que ses questions découlaient des réponses trouvées et non des doutes et des blocages nés de l’empressement.
L’intelligence chez les peuples Medumba sort du cadre du mimétisme, de la répétition et de la robotisation. Elle se développe hors du système scolaire, au contact de la vie dans toute sa plénitude. Elle est don d’observation. Ça se dit « nezenu » (ne-zenu). Elle s’aiguise en développant sa faculté d’observation et est constamment liée au cœur c’est-à-dire au désir de vivre sa vie propre.
Ce genre d’intelligence permet de développer la faculté d’écoute au détriment de l’extériorisation intempestive, elle permet de développer le sens des associations et conduit plus tard lorsqu’elle est pratiquée avec constance et régularité à l’intuition qui permet d’entrer dans le monde de ceux qui savent : nelènnu (ne-lènnu), ou les sages.
L’intuition, il faut le rappeler, ne nait jamais dans l’agitation des élucubrations. Car la sagesse est connaissance et non savoir puisque la connaissance c’est le savoir enrichi par la pratique, par l’expérience et par la mesure.
On peut savoir que la cigarette est dangereuse pour la santé et l’enseigner ; et cependant continuer à fumer. On peut savoir ce que c’est qu’un logarithme et cependant être incapable de voir en soi-même ses correspondances.
Le savoir du nga-lènnu (celui qui sait), est un savoir qui surgit de l’intérieur ; c’est le savoir du joueur de flûte qui fait un avec son instrument et non pas celui qui a maitrisé la technique mais qui vit séparé de son instrument comme un enfant de son jouet bientôt vite délaissé.
L’intelligence dans le peuple medumba est donc pratique et active, constamment liée à son environnement. Ce n’est pas un hasard si les Africains ne trouvaient pas nécessaire de s’industrialiser sauvagement. Ce n’était pas de la paresse. C’était parce qu’ils se sentaient un avec l’univers et ne trouvaient pas nécessaire de le transformer uniquement pour le profit.
Le monde aujourd’hui est en train de le comprendre et tourne de plus en plus son intelligence vers l’intérieur et donc cherche à faire la paix avec son environnement. Pour cela il a besoin de la mesure du ne-lènnu qui seule lui permettra de s’industrialiser tout en se préservant.
KEMADJOU NJANKE Marcel