
Otomo de manuel au festival Modaperf
La performance est un art qui monte. Lors de la 3e édition du festival Modaperf dont Dschang a servi d’escale, Sinotables a pu se rendre compte de l’efficacité et de la capacité de cet art qui se joue aussi bien en salle qu’en plein air.
Otomo de Manuel a eu une entrevue avec notre reporter. Elle porte sur l’art performance, le rapport entre l’artiste et son public, la finalité de la performance.
Quelle est la symbolique de ce combat de boxe que vous livrez avec vous-même ?
Effectivement c’est un combat de boxe que je livre avec moi-même. Mais quand on voit les quatre performances, donc il y a quatre figure derrière, la synthèse c’est ce combat contre moi-même lequel je perds. De toutes les façons parce que ce combat est le plus difficile à mener le combat contre nous-même. Il est plus facile de prendre le pouvoir au plus faible que soi. Mais en fait quand on commence à travailler sur nos propres blessures, nos propres sensibilités on se rend compte, en fait, que c’est peut-être là que le travail commence et que c’est un combat très difficile à mener, à cause de la fragilité de retrouver une sensibilité, d’empathie, de bienveillance vis-à-vis de l’autre.
Le texte, la première partie je suis assez frontal. Comme je dis, notre rencontre est un sport de combat entre moi et le spectateur. Je viens là pour poser un acte fort. Je suis seul. Pas de projecteur. A nue. Ma voix : ça démarre « mon amour ! ». Mon amour c’est tous les spectateurs. Peu importe. D’où cette idée-là de dire ce texte et, in fine, de faire ce combat contre moi-même. Pour essayer de trouver un espace poétique, une sensibilité qui me permet de rencontrer l’autre.
Vous êtes artistes performeurs. Ici vous avez découvert la performance telle qu’elle est perçue par l’artiste camerounais. Quelle définition donnez-vous à cet art performance ?
C’est intéressant comme question. Je travaille sur un spectre artistique assez large. Je suis musicien, je suis metteur en scène de théâtre. Je fais de gros spectacles chorégraphiques de rue. Sachant que mon champ privilégié c’est la performance, c’est-à-dire un rapport dramaturgique qui est particulier… il n’y a pas de falsification du point de vue dramaturgique. On est là ensemble le moment qu’on vit. Je suis là, j’ai une parole, je la confronte dans une poétique. Mais à la différence d’un spectacle je vais raconter une histoire ça peut être de Molière, mais une histoire autre dans laquelle je veux me projeter. Là je me mets à nu devant le spectateur sur le moment où l’on est ensemble. Pour moi la performance c’est ce rapport, cet instant présent, l’art d’être ici ensemble. Pas de falsification en termes d’espace, d’unité de temps et de lieu.
Quel regard jetez-vous sur les spectacles camerounais ? Pour ma part nous sommes ici à un carrefour des écoles.
Je suis fondamentalement surpris. Déjà la première chose par Zora Snake que j’ai rencontré en France. Et ce qui est incroyable c’est que la première fois que j’ai vu performer Snake je me suis dit « Mince ! Il y a une vraie culture de la performance en Afrique. » Je dois avouer que je ne pensais pas. Et je me suis reconnu dans le travail de Snake. Il m’a proposé de venir parce qu’il m’a aussi reconnu au travers de son travail. Je suis venu et j’ai découvert aussi des tas de performeurs incroyables, notamment Agathe Djokam, aussi Tchina qui fait un travail incroyable avec un collectif. Ils ont déjà saisis les codes de cette mise à nu intime de sa propre problématique, créer une écriture qui soit une poétique de l’instant.
Vous changez de vêtements en public, les témoins découvre votre nudité, dans un environnement qui jaloux de certaines valeurs. C’était quoi cette histoire de se montrer à poils ?
C’est assez intéressant. Pour moi la nudité c’est la base fondamentale de ce que l’on est. La mise à nu du corps permet la mise à nu de l’âme. Il s’agit d’un rapport de fragilité. C’est une nudité qui est… je passe d’un habit à un autre. C’est très simple. Nous sommes nés tous nus. Après il y a cette question qui se pose derrière. C’est la moralisation qu’on a pu faire de la nudité. J’ai fait un stage où on a beaucoup parlé de ça l’année dernière. On a fait un spectacle où il fallait être torse nu, et les filles avaient ce problème. Si vous le voulez, pour moi cette pudeur d’importation, je ne suis pas convaincu qu’un pygmée ou qu’un Massaï ait une problématique avec cette nudité. Parce qu’il ne va pas placer le désir ou l’obscénité. Il n’y a pas de moralisation. Moi je suis à cet endroit vraiment simple de l’homme traditionnel, simple, où on n’a pas cette perversion immédiate de poser la nudité comme un objet du désir. Avec tout c’est la fragilité de l’homme. On est là avec des uniformes, on a des fois des uniformes sociaux parce que nos fonctions nous les impose des uniformes, avec des masques sociaux. Et la nudité c’est la façon de retrouver cette simplicité, notre fragilité-et là c’est universel. Nos corps sont les mêmes et nous avons tous la même fragilité, la même problématique. Pour moi c’est très important.
Parlez-nous du comportement de la performance sur le marché international. Pourrait-on dire que la performance soit entrain de tuer le théâtre ?
Je ne pourrai pas parler pour le Cameroun. Mais en même temps je vois qu’il y a un vrai engouement pour la performance en ce moment. Et je suis d’ailleurs ravi que ça vienne du milieu hip Pop. Ça c’est très intéressant, parce qu’en France ce n’est pas le cas. Il est vrai qu’en France la performance est entrain, de nouveau, d’exploser. Mais pourquoi ? Encore une fois c’est une question de falsification. C’est quel message dans le monde où on est aujourd’hui, qui est d’une extrême violence ? Partout dans le monde il y a de grandes difficultés. La performance c’est comme un combat. C’est un combat sans arme. C’est le combat de la parole, de la poésie. Et je pense qu’à travers les films, les distractions, entertainment, de toutes ces choses qu’on voit partout. Mais là je pense qu’à un moment donné on a tous envie de se retrouver dans un endroit où on sent qu’il se passe quelque chose de fort, où il y a une parole qui est encrée dans le réel, qui est encrée dans l’individu qui parle. Il n’a pas pris les mots d’un autre. C’est ça parole et d’un seul coup les autres qui sont les témoins, comme vous l’avez dit, témoignent de cette parole. Et après on rentre, on prend quelque chose où pas. Mais je crois que la performance est entrain d’exploser pour ces raisons là. Parce qu’on est sur l’intime. Rebecca fait le travail. Le travail que vous avez pu voir hier. On ne ment pas. Par rapport à nos propres fragilités, nos propres failles, nos propres blessures.
Il y a des personnes qui ont découvert la performance à travers cette édition du festival Modaperf. Un message pour ceux-là ?
Je n’ai pas un message supplémentaire par rapport à celui que j’ai fait en performant.
Je ce que je ressens, et je l’ai fortement ressenti l’année dernière à Yaoundé, plus précisément à Titi garage où j’ai carrément arrêté l circulation, les gens étaient inquiets que je passe par la nudité dans un espace public. Il y a la folie. Ce qui est intéressant c’est de savoir que quand les gens se rendent compte qu’il y a quelque chose de sincère qui se passe, ils sont au rendez-vous ; quelle que soit leur culture, quel que soit leur baground culturel. Même les gens qui ne sont pas allés à l’université prennent la sensibilité du cœur. La performance permet cette fusion-là. Il se passe quelque chose et tout le monde sent ce qui se passe. Cela implique que le performeur soit lui-même dans cette sincérité. Si on en fait un phénomène de mode, c’est tendance et là on risque de tomber sur quelque chose qui peut être provoquant et où le spectateur va le ressentir inconsciemment. Là ça ne fonctionnera plus. La performance ne peut rassembler qu’à partir du moment où on est dans une démarche sincère.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA