Le professeur Alain Cyr Pangop Kameni, qui vient d’être admis comme professeur titulaire des universités s’est entretenu avec Sinotables.com. Nous souhaitions informer nos lecteurs du processus qui conduit à ce grade, et de connaître la structuration de la carrière d’un universitaire.
Professeur Alain Cyr Pangop Kameni, dites aux lecteurs de Sinotables.com qui vous êtes ?
Je suis à la base journaliste de formation. Non seulement sur le tas dans des journaux privés du Cameroun, mais aussi diplômé de l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (ESSTIC), Division 3 Art-culture et communication. Promotion 1996-1998. Et ensuite je suis diplômé de l’Université de Cergy Pontoise, en tant que Docteur. Actuellement je suis enseignant-chercheur à l’Université de Dschang.
Il y a aussi un côté administratif. A cet effet j’ai occupé un certain nombre de responsabilités, notamment la coordination des filières littérature et linguistique (2000-2002), j’ai été aussi chef de Service d’information et des Conférences à l’université de Dschang (2005-2010). J’ai coordonné les filières master et doctorat (2014-2017). Et bien évidemment plusieurs fois intérimaire au Chef de Département quand le cas était nécessaire. Et tant que metteur en scène, j’ai mis sur pied le théâtre universitaire de Dschang. Qui a monté plusieurs pièces et qui a participé à plusieurs festivals et qui a été plusieurs fois sélectionné pour les festivals internationaux, même si les déplacements n’ont jamais eu lieu. Qui a aussi ramené beaucoup de prix. De temps à autres nous faisons des consultations au niveau des structures et organismes. Nous donnons des séminaires en entreprise, en milieux socioprofessionnels notamment. Dans le domaine du leadership et du management. Par ailleurs, pour l’année qui vient de s’achever, j’étais consultant en communication pour le Programme national de développement participatif (PNDP).
Que signifie Enseignant-chercheur ?
Enseignant-chercheur, c’est-à-dire que je forme les étudiants dans le domaine académique, et puis je mène des recherches scientifiques qui contribuent à l’évolution de la science. Et qui contribuent aussi à l’appui au développement.
Expliquez-nous, comment se fait le passage de journaliste à enseignant ?
Je suis parti du ministère de la Communication où j’étais nouvellement affecté au Service des sondages et analyse de l’image, à la Direction des actions médiatiques. Et à la faveur d’un recrutement lancé j’ai compétis et j’ai été retenu. Le ministre de la communication de l’époque m’a détaché, pour me mettre à la disposition de l’Université de Dschang. C’est comme ça que je viens m’installer à Dschang, non pas pour cesser d’être journaliste. Je n’ai jamais cessé de l’être. Je l’exerce d’une manière ou d’une autre.
Vous ne vous considérez pas comme un « journaliste en retrait », pour reprendre l’expression de l’un de vos collègues, en l’occurrence Dr Alexandre T. Djimeli ?
Je ne suis pas un journaliste en retrait. Je suis même très actif en tant que journaliste. Mais en tant que professionnel du journalisme je consulte beaucoup plus et je forme dans la pratique du métier, dans les séminaires de renforcement des capacités, dans les séminaires d’initiation à l’écriture journalistique. Donc pour moi le fait de quitter le milieu de la communication ne m’a pas éloigné de la communication. Je n’ai fait qu’enseigner les cours de communication durant le temps que j’ai passé à l’université de Dschang. C’est 19 ans maintenant et ça ira bientôt à 20 ans.
J’ai des interventions dans des structures quand je suis sollicité. Pour faire des écrits journalistiques. Je suis en même temps promoteur d’un webzine, www.focacom.com, qui est aujourd’hui en berne à cause de l’hébergement qui a posé problème. Et actuellement, avec Villes & Communes qui est une structure numérique en matière de communication liée aux collectivités territoriales décentralisées j’anime une émission de Web TV sur l’explication des termes de la décentralisation. Ça s’appelle le « Bon Sens ». Donc je n’ai jamais quitté la pratique médiatique, même étant Chef Service de l’information et des Conférences qui est la Cellule de communication de l’Université de Dschang.
Il me semble que vous auriez voulu être professeur de lycée et cela n’a pas marché. Ce fût votre rêve à une certaine époque ?
Rêve d’enfant peut-être. Parce que quand j’étais en Terminale, je pensais que je pouvais challenger le talent et le don de mes professeurs de français que j’admirais beaucoup. Pour cela, je me suis essayé au concours d’entrée à l’École normale supérieure de Yaoundé. J’ai eu ce concours. J’étais le premier nom dans la liste d’attente. Je suis donc allé à Yaoundé pour la première fois étant au lycée classique de Bafoussam. J’ai passé l’interview, et à la fin j’étais le premier nom sur la liste d’attente. On m’a rassuré qu’on m’appellerait. Par mesure de sécurité j’ai pris une inscription à l’Université de Yaoundé, en attendant qu’on m’appelle à l’École normale supérieure où je suivais les cours en attendant. Le directeur des Études m’avait demandé d’aller suivre les cours puisqu’on va m’appeler. On ne m’a jamais appelé. La seule consolation que j’ai eue de mes camarades c’était que « tu as des professeurs d’université ici qui n’ont jamais eu l’Ecole normale ; qui avaient échoué et qui sont professeurs d’université. » Et à ce moment-là j’ai décidé d’être plutôt professeur d’université et non plus professeur des lycées. Je me suis donc préparé à l’être, en m’abonnant à toutes les bibliothèques de la ville, en prenant part à tous les colloques et soutenances, en devenant plus laborieux et studieux.
Vous êtes journaliste.
Oui toujours en tant que journaliste j’ai aidé à mettre sur pied Radio Yemba où j’ai, bénévolement, d’ailleurs animé deux émissions. Ce qui m’a permis d’entrer en contact avec le professeur Lüsebrink (Titulaire de romanistique et de communication) qui m’a proposé pour candidater à la bourse de la Fondation Alexanda For où j’ai d’ailleurs été sélectionné. J’ai séjourné deux ans en Allemagne. Cette même qualité de journaliste m’a permise de mettre sur pied Radio Campus de l’Université de Dschang. Tout comme pour radio Yemba, j’ai formé ses premiers journalistes dont on peut aujourd’hui citer quelques références. Plusieurs de mes étudiants ont opté pour les médias, à partir des cours que nous avons faits à l’Université de Dschang. Donc, c’est de cette façon que j’ai gardé ma fibre journalistique.
Citons quelques-uns de vos étudiants qui sont rentrés dans la presse !
Je suis naturellement fier de quelques-uns qui se positionnent parmi les meilleurs. Je peux citer Carole Yemelong qui est Rédacteur en Chef de Canal 2 International, Carole Leuwé qui est devenu promotrice d’une webradio, Pricille Ngouafong est la Crtv, Honoré Feuko est à Cameroon Tribune, Balise Nzupiap est à Zenü Network, Alice Linou est à Radio Bafoussam 2, Hindrich Assongo qui est actuellement le président de Dschang Press Club, Charlit Njinkemo qui est à Radio Campus, Hervé Tiwa qui travaille dans une entrepris de média à Yaoundé, Cyril Wirba qui a quitté la presse pour devenir Commissaire de Police et exerce à la présidence de la République. Ils sont nombreux et j’en oublie.
Avant de devenir journaliste vous rêviez d’être enseignant. Les deux métiers ont en commune l’enseignement, sauf que vous avez privilégié celui qui vous met directement devant les étudiants.
L’idéal dans le monde aujourd’hui c’est de concilier ses compétences. Cela vos permet de vous épanouir. Et je me suis rendu compte que la pratique journalistique, l’enseignement supérieur, la recherche, et ma fibre artistique non seulement me permettent de me réaliser, mais aussi de transmettre un certain nombre de valeurs aux étudiants, à ceux qui sont les apprenants dans chacun de ces domaines. Je trouve que c’st quelque chose de positif parce que dans aucun de ces domaines je me sens mal à l’aise. Voilà pourquoi je maintiens les trois cordes dans ce que je fais.
Rentrons à présent dans votre parcours d’enseignant. Vous êtes recruté comme Assistant ?
C’est cela. J’ai été recruté comme Assistant.
Aujourd’hui vous êtes professeurs titulaire. Au quartier on dit que vous avez fini l’école. C’est quoi le parcours d’un enseignant d’université ?
La discipline universitaire est comme celle d’une Armée où vous avez des autorités subalternes et des autorités supérieures. Du point de vue académique, du point de vue scientifique, du point de vue aussi administratif. Parce que les postes des universitaires sont à la fois académiques et scientifiques il y a un certain nombre de critères pour les distinguer les niveaux, dans ces échelles d’autorité. Le plus bas de l’échelle c’est Assistant. On peut être Moniteur si on est doctorant en appui à un professeur dans le laboratoire. Lorsque vous bravez les critères qui sont fixés pour passer au grade supérieur, c’est-à-dire que vous publiez, vous encadrez, vous faites montre d’assiduité et de rectitude du point de vue éthique, on vous passe au grade de Chargé de cours.
Pour être Assistant, doit-on absolument être titulaire d’un Doctorat ?
Pas forcément. On peut recruter des Assistants sans thèse. Comme cela a été le cas pour nous. Moi j’ai été recruté sur la base du DEA (Diplôme d’Etudes Approfondies), bien que sorti de l’ESSTIC.
Un diplôme professionnel !
Bien sûr un diplôme professionnel. Et à partir du moment où j’avais la possibilité de m’inscrire dans une université française j’ai pris mon inscription étant à Dschang et puis j’ai soutenu ma thèse à Cergy-Pontoise. Bénéficiant de la professionnalisation des enseignements, ça venait à point nommé pour moi, puisque toutes les options professionnelles qui étaient suggérées pour la Faculté des Lettres me concernaient, pour la plupart. Et donc ce côté professionnel n’a jamais été lésé, que ce soit du côté de l’art, puisque dans les beaux-arts j’interviens, que ce soit du point de vue du journalisme puisque je donne des cours de communication au plan pratique, du point de vue académique et scientifique puisque je mène des recherches dans tous ces domaines-là. Bien que notre domaine de prédilection soit la littérature, et notamment l’art dramatique en majorité.
Le Chargé de cours est un grade intermédiaire.
Bien évidemment, et au-dessus de Chargé de Cours il y a Maitre de Conférences. Vous avez, au Cameroun, deux possibilités pour devenir Maître de Conférences. Comme le Cameroun n’a pas adhéré à l’ensemble du système CAMES qui consacre à l’agrégation, nous, en Lettres, faisons des Habilitations à Diriger des Recherches, nous faisons d’autres types de passage de grade similaire.
Comment appelle-ton ce type de passage ?
Ça renvoie toujours au grade de Maître de conférences, que vous soyez Agrégé, ou titulaire d’un HDR, ou passez l’interview au CCIU (Comité Consultatif inter Universitaire). Vous êtes tous destinés à être Maître des Conférences. Après avoir passé quatre ans dans le grade de Chargé de Cours et après avoir fait montre d’un ensemble de publications au niveau national et au niveau international, ayant fait montre d’encadrements, d’assiduité et de productivité ; et aussi forcément du respect de la déontologie professionnelle.
Quand vous avez bravé l’étape de Maître de conférences qui est la plus cruciale dans le changement de grade, en termes de difficultés et d’exigences-on vous demande d’avoir un minimum de six publications qui ne souffrent pas de contestations dans des documents connus et évalués, on vous demande d’avoir encadré au moins six mémoires niveau Master, on vous demande d’avoir participé à des jurys d’examen, on vous demande d’avoir enseigné effectivement, on vous demande d’avoir appuyé au plan administratif et au plan du développement. C’est autant de choses que l’on évalue pour vous décerner le grade de mettre de conférence. Et quand on regarde bien, vous devez franchir 17 obstacles avant d’être proclamé Maître de Conférences, du Département jusqu’au ministère de l’Enseignement supérieur.
Lorsque vous avez franchi tous ces obstacles vous êtes Maitre de Conférences. Après … ?
Le dernier grade c’est celui de Professeur Titulaire des Universités qui est, en réalité, un approfondissement dans une spécialité. Et là on doit avoir fait minimalement quatre ans dans le grade de Maitre de Conférences, avoir publié trois articles et un livre, ou six articles de classe A, de classe internationale. Et puis encadrer deux thèses de doctorat, et six mémoires de master. Au moins. Il faut faire montre d’appui au développement. Il faut faire montre d’appui au plan administratif, d’appui pédagogique. Parce que le rapport administratif et le rapport pédagogique doivent vous être favorables. Voilà !
Pourtant au quartier on pense que le Professeur Agrégé c’est le plafond.
Quand on dit de quelqu’un qu’il est agrégé, c’est qu’il est au rang magistral et qu’il possède une Agrégation, et non une Habilitation à Diriger les Recherches ; ce qui est la même chose. En termes d’équivalence. En clair, lorsque quelqu’un est professeur agrégé, cela veut dire qu’il est passé de Chargé de Cours à Maître de Conférences. Ce sont les voies d’accès qui différèrent. Beaucoup de Maîtres de Conférences vont à la retraite sans être professeurs titulaires. C’est ce qui dans le système anglosaxon est appelé Associate Professor. Mais quand vous quittez le grade de Associate professor vous devenez Full Professor.
Monsieur Patrice Nganang- il s’agit d’un écrivain Camerounais qui enseigne dans une université aux USA- a l’habitude d’écrire qu’il est Full Professor.
Full professor, comme je l’ai dit signifie que Monsieur Patrice Nganang est professeur Titulaire. Aux Etats-Unis cela est assez structuré, donc moins complexifié qu’ici. Et quand vous avez pris votre retraite comme fonctionnaire, vous devenez Professeur émérite. Et en tant que professeur émérite vous pouvez aspirer à poursuivre votre collaboration avec l’université, parce qu’elle peut vous faire signer des contrats de deux ans renouvelables. Pour continuer l’enseignement et faire vos consultations. Vous pouvez être nommé, à titre honorifique, professeur honoraire. Et on associe au Doyen honoraire, etc. On vous associe ainsi à des rencontres qui permettent à l’institution de bénéficier de votre expertise.
Vous sortez de l’année 2018 auréolé du titre de Professeur Titulaire des Universités. Cela vous grandit !
Comme j’ai coutume de dire je ne me sens pas grand, je reste modeste. Parce que l’humilité scientifique nous le commande. Mais il y a quand même la joie d’avoir franchi un certain nombre d’obstacle. Mais quand on devient professeur titulaire on cesse de se chercher et on cherche c’est-à-dire que vous n’entrez plus en compétition avec qui que ce soit pour obtenir quelque galons que ce soit. Mais vous faites la recherche sans la peur d’une quelconque contradiction forcément liée à votre promotion. Il n’y a plus une promotion, et il n’y a non plus quelque chose en compétition qui va dans l’ordre d’influencer vos récompenses. Du point de vue des prérogatives et des émoluments.
Si je vous comprends bien, vous ne travaillez plus avec la peur de représailles ?
Exactement. Librement on peut mener des programmes de recherche. On peut mener des projets de recherche. On peut conduire des axes de recherches. On peut encadrer mieux. On peut faire valoir son expertise avec beaucoup plus d’objectivité. Voilà pourquoi vous verrez que c’est les professeurs titulaires qui sont appelés à présider les jurys. Cela parce qu’ils peuvent juger équitablement. Ils ne sont pas sous les influences du genre « si je prends telle décision ça risque de compromettre mon changement futur de grade. Il juge objectivement, en son âme et conscience. Sachant qu’on a la bonne foi de la science, puisqu’il incarne le modèle scientifique.
Le passage d’un grade à l’autre donne naturellement doit à l’amélioration de votre traitement salarial. Vous …
Oui. Lorsqu’on a changé de grade, comme nous venons de le faire sous fond de Bonne Année, sous fond de vœux de Nouvel An, ça donne droit à des prérogatives qui génèrent un traitement salarial conséquent. Mais sauf que nous avons, particulièrement moi, on fait face à une situation où on a les dossiers financiers qui trainent depuis plusieurs années, notamment au niveau du ministère des Finances où le solde n’est pas normal, il est coupé de moitié par des erreurs d’administration qui te mettent en debaie et qui ne sont pas corrigées malgré toutes nos entreprises. Il y a les allocations pour la modernisation dont les dossiers trainent encore au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur dont le Ministre avait pris la charge d’apurer et que ceux qui sont en charge de l’exécuter ne le font pas avec une certaine célérité. Tout cela concourt à rendre la situation de l’enseignant promu difficile. Il a fallu l’ascèse suffisante pour que je reste calme pendant de nombreuses années, sans crier avec des pancartes dans la rue. Parce que c’est assez rude, c’est à peine si on tient avec sa famille. Je crois que les autorités compétentes ont pris la mesure de la situation dramatique qui est la mienne. Le Recteur s’est engagé et a saisi d’ailleurs toutes ces instances-là pour que la situation soit redressée. Je suis optimiste à ce sujet. Même comme cet optimisme là a des réserves. Parce que la douleur n’attend pas.
2e partie
Propos Recueillis par Augustin Roger MOMOKANA
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