« Repassez à partir de Vendredi », reprend machinalement le gérant d’une librairie où je me rends pour la énième fois depuis que mes gosses brûlent d’envie de zyeuter les manuels scolaires programmés dans les classes où ils ont été promus. J’ai pris l’habitude de les pourvoir en documents essentiels un mois avant le jour dit. De quoi leur permettre de se familiariser à ces instruments, pour aborder les aspects plus accessibles.
Le Libraire me dit qu’au port de Douala on attend encore les livres; et qu’ils seront bientôt disponibles au Terminal, comme ce béton préfabriqué des stades, dans 72 heures ou plus. Ce même béton que Dragages en d’autres temps préfabriquait sur place, ah la belle époque ! Pour bâtir la tour du marché Central de Yaoundé…
Notre libraire piaffe d’impatience, plus remonté que nous autres parents! Que fera-t-il des emprunts obtenus auprès des tontines et par découverts bancaires? Puisque la marchandise tarde à venir et le pointage des intérêts aggrave le manque à gagner. Voilà qui peut donner des embolies, au-delà du stress! Hier, c’est le poème qui manquait sur les rayons et on me demandait à quoi ça sert le poème. Aujourd’hui c’est le bouquin scolaire qui fait défaut, l’avenir de notre progéniture, de la nation!
L’on se souvient, à la belle époque, nos livres étaient estampillés CEPER. C’était avant 1983, le Cameroun pouvait alors battre monnaie, dit-on. Qui eut prédit que dame CEPER allait mettre la clé sous le paillasson quelques années plus tard, prise dans l’étau de l’austérité Structurelle? Quel successeur les pouvoirs publics trouvèrent-ils donc au mastodonte du livre scolaire? Non content de s’assumer une souveraineté monétaire, notre pays affiche sa fierté d’importer du livre et du cahier pour ses enfants, là où il liquide son bois brut à vil prix.
A la radio nous apprenons que la SOPECAM est suffisamment avancée à ce jour dans la production des bulletins de Campagne en vue du Scrutin présidentiel du 7 octobre. La SOPECAM ne pouvait-elle donc pas surseoir à la fabrication du matériel d’une élection présidentielle critiquée avant même sa tenue, afin de « couper » ces livres sans lesquelles notre école ne sera pas une école ?
« Papa ! Il n’y a plus d’imprimerie au Cameroun? À quoi sert alors l’Imprimerie Nationale ? A quoi sert SOPECAM? L’imprimerie Saint Siro ne fonctionne plus ? L’imprimerie De Gaulle ne sert à fabriquer que le manifold ? » Autant d’interrogations poussées par un enfant dont vous doutiez qu’il connaisse quelques informations de ce secteur d’activité dans la capitale administrative de notre pays.
Et pendant que nous attendons l’arrivée des livres scolaires, aucun politique candidat à la présidentielle ne crève le Silence sur cette dépendance artificielle qui menace notre souveraineté scolaire, épuise nos devises et amaigrit la valeur ajoutée, notre PIB. Ces gens politiques se contentent de pérorer à longueur de programme les promesses sur la durée de leur mandat, la paix dans la continuité, la jeunesse ou la vieillesse de leur âge, que de nous dire comment reprendre la main sur l’édition du Livre, sur la machine à papier, réhabiliter CELLUCAM…
Voici venu septembre et dame pluie n’a pas l’air de modérer sa fête, mais de changer ses nids de poules en cratères, ou agrandir la longueur des bourbiers. Même si les livres étaient au port à l’heure où j’écris, il faudra toujours plusieurs semaines pour atteindre l’arrière-pays par ces routes impraticables. Il faudra observer plusieurs trêves pour traverser le feu des zones de guerre de Ndebaya, de Nsanaragati ou d’Achigachia… Ainsi, les élèves auront célébré la rentrée scolaire 2018/2019 sans livres dans la besace.
Fernand Leos DOUANLA