Beaucoup de camerounais la reconnaitront ou s’en souviennent encore. Elle aura arrosé de son talent de comédienne les petits écrans au Cameroun, précisément Canal 2 International. Puis un jour elle a choisi de s’établir en France, plus précisément à Paris. Depuis lors elle a accumulé des galons, grâce à son passage dans Trois écoles de formation professionnelle.
Selavie est aujourd’hui une actrice accomplie de cinéma et une humoriste de grande et bonne renommée. Ces différentes formations ajoutées à son génie font d’elle une artiste très sollicitée tant par les promoteurs de spectacles que les festivals.
Les organisateurs du festival du film éducatif de Dschang (Festival Komane) ont jeté leur dévolu sur Selavie pour être la marraine de la 4ème édition de ce festival qui s’ouvre à Dschang ce jeudi 1er février 2018. En marge de la conférence de presse mercredi, à l’Alliance franco-camerounaise de Dschang, notre reporter s’est entretenu avec Selavie qui dit se sentir à la maison, puisqu’elle est originaire de Fokoué.
Sinotables.com : Comment est-ce que vous vous présentez à nos lecteurs ?
Selavie : Je suis Mbounou, de mon nom de famille. Je suis du village. Parce qu’étant de Fokoué. Je suis comédienne, humoriste, actrice.
De quoi vivez-vous en Europe ?
En Europe je vis des spectacles. Quand je suis arrivée là-bas, j’ai suivi beaucoup de formations, justement dans l’actorat. Etant africaine c’est très difficile, surtout quand vous arrivez et ne connaissez personne. Pourtant quand vous êtes encore ici vous vous dites que là-bas vous allez tourner avec de grands acteurs. Et puis dès que vous y arrivez, c’est toute une autre réalité. Vous redescendez alors très vite sur terre quand vous vous se rend compte que c’est un monde que vous ne connaissiez pas. Vous êtes un peu comme un singe qu’on sort de la forêt et qu’on balance en ville. Il n’a plus de repères.
Du coup je me suis formée dans le cinéma. Et jusque-là, à un moment donné, je me suis rendue compte que même avec ces formations il n’y avait pas de fruits. Parce que quand on est africain, ayant grandi en Afrique et n’ayant pas la culture européenne, c’est très compliqué. Les agents qui recrutent prennent beaucoup plus ceux qui n’ont plus leur accent. Moi j’ai mon accent d’africaine. Et c’est même parce que les gens me le disaient que j’ai su que l’accent était remarqué et constituait un handicap. Ils vous disent que pour le casting on a besoin d’une personne qui ne parle pas comme vous.
A un moment donné je me suis dit « mais au Cameroun j’étais quand même la première femme humoriste et j’ai la balle de ça dans mon sang !» Je suis donc allée à l’école du One man show où j’ai passée trois années de formation. A l’issue j’ai écrit mon premier spectacle : « Sélavie vous colonise ». Pour moi il fallait un retour d’ascenseur à ces gens qui se moquent de nous.
Alors aujourd’hui vous êtes dans le cinéma ou vous êtes dans l’humour ?
Je fais les deux, mais je suis beaucoup plus dans l’humour que dans le cinéma. De temps en temps, je suis dans le cinéma. C’est plus de l’humour que je vis ; parce que ayant écris mon propre spectacle. J’ai eu un producteur européen. Et je suis plus dans les milieux européens. Je ne suis pas dans les milieux africains. J’ai écrit mon spectacle. Je tourne et j’ai fait plusieurs villes, y compris celles qu’on disait qu’elles étaient racistes.
Je parle de l’Europe avec mon regard d’Africaine. Je parle de ce que je vois, de la différence entre les Blancs et les Noirs. J’ai parlé du mariage blanc qui est vraiment un fléau là-bas. J’ai parlé de la manière dont l’Européen regarde les Africains. Parce que quand tu es africain et que tu vois un Blanc, tu sais que le Blanc est un Blanc. Tu ne sais pas qu’il y a des arabes, qu’il y a des russes, etc. De même, quand le Blanc voit un Noir il ne sait pas qu’il y a le Sénégalais, qu’il y a le Camerounais. J’ai parlé de la politique. J’ai parlé aussi de l’éducation des enfants : comment les Blancs éduquent leurs enfants. J’ai tout mis dans mon spectacle.
Vous décrochez difficilement des rôles dans le cinéma ou quoi ?
Le rôle dans le cinéma est très difficile là-bas. En ce qui concerne le One man show, tu peux louer une salle et tu joues ton spectacle du moment où tu as tes propres moyens. Là-bas, pour jouer dans une salle tu dois la louer. Tu la loues et cela est par semaine. Je jouais tous les vendredis. Le prix de la location de la salle est fonction du nombre de places. Paris c’est comme une vitrine. Quand on voit que tu joues à Paris on t’appelle en province. Et là tu ne paies rien. C’est exactement comme ici au Cameroun. Lorsque tu joues à Douala ou Yaoundé tu paies, mais quand les gens t’invitent par exemple à venir jouer à Dschang, ils gèrent tout.
La difficulté pour décrocher des rôles dans le cinéma est propre à tous les acteurs du cinéma ou c’est le lot des Noirs ?
C’est propre à tous les acteurs, mais beaucoup plus aux Noirs ; et davantage aux Noirs ayant grandi en Afrique. A moins que lors de l’écriture du scénario on ait prévu le rôle pour une fille ou un garçon qui vient d’Afrique avec son accent.
Qu’est-ce qui vous motive à accepter de marrainer la quatrième édition du festival Komane ?
La première motivation c’est déjà parce que ça se passe à Dschang. Je pense que je n’aurais pas été favorable si ça se passait ailleurs. Je suis de Dschang. La deuxième motivation c’est qu’il s’agit d’un festival de cinéma. Je fais du cinéma. Je ne pouvais que revenir voir un peu comment ça se passe ici.
Quel impact vous compter apporter à ce festival, sachant que vous êtes humoriste et actrice de cinéma ?
C’est assez difficile à dire. Parce que justement il y a eu un problème de communication. A Douala, quand j’ai dit que j’allais à Dschang les gens n’étaient pas au courant du festival. Ici quand j’ai rencontré des gens ils n’étaient au courant ni du festival ni de ma présence. C’était à moi de leur expliquer l’objet de ma présence au pays et plus précisément à Dschang. Constatant cela je me dis que ça va être vraiment compliqué, mais j’ai cette impression-là que les choses sont…
Vous avez quand même prévu quelque chose pour le public du festival ?
Moi je vais faire comme toutes les marraines font, c’est tout.
Que font les marraines ?
Je ne sais pas. Vous avez l’habitude des festivals.
Mais dites-nous ! Généralement je me tiens à distance pour vivre le festival.
Cela signifie que vous allez me voir de loin. Si vous voyez les marraines souvent de loin, c’est que vous me verrez aussi de loin. Je suis là ! Selavie est là !
Quel message aux populations de la Menoua ?
Le message c’est d’aimer le cinéma, de soutenir le cinéma. De ne pas aussi hésiter à venir prendre des cours. Je pense qu’il y a des cours. Si c’est leur passion, qu’ils se lancent.
Et à ceux qui rêvent de vous retrouver en Europe ?
J’ai l’habitude de dire de l’Europe qu’il s’agit d’un endroit que chaque personne qui en rêve doit venir voir pour s’en faire sa propre opinion.
Vous sortez de la conférence de presse. Vous avez écouté les organisateurs et les journalistes. Quel conseil aux organisateurs du Festival Komane?
Pour les organisateurs je préfère en parler avec eux. J’ai émis quelques idées déjà et je crois qu’ils les ont bien enregistrées. On en parlera en amont. Ça me gênerait que tout le monde écoute le conseil que j’ai à leur donner.
Quel regard posez-vous sur ce festival, festival de seconde zone, comme quelqu’un le qualifie ?
Un festival est un festival. Peu importe où il est organisé. Maintenant, c’est aux festivaliers de le porter. C’est exactement comme l’entreprise. Une entreprise qui se trouve à Dschang n’est pas une entreprise de seconde zone par rapport à une entreprise qui se trouve à Douala. C’est dommage que les gens qualifient le festival Komane de seconde zone.
Si les organisateurs avaient les moyens, ils pourraient l’organiser dans plusieurs villes. Faire le tour du Cameroun, mais à des périodes bien définies. Ceux qui ont beaucoup de moyens organisent des festivals tournant.
Komane, un festival consacré au film éducatif. Comment entendez–vous cela ?
Moi, je crois que c’est beaucoup plus pour dire que les sujets, les thèmes doivent être axés sur l’éducation des cinéphiles. Les films doivent être sur des thèmes ou des sujets porteurs. Ne pas présenter des films qui ne captivent pas l’attention des festivaliers. Au sortir de la salle de projection les festivaliers doivent se sentir transformés ou interpellés par ce qu’ils viennent de voir. Il faut qu’à la sortie les gens aient retenu quelque chose, qu’ils puissent se poser la question qu’est-ce que ce film m’a apportée. Comment je me suis senti en regardant le film. L’enrichissement personnel compte quand on voit des films éducatifs.
Vous avez suivi trois formations dans le cinéma. Cela signifie que ceux qui vous ont connu à Canal 2 International ne vous reconnaîtraient plus aujourd’hui ?
J’étais très douée en improvisation. Je ne sais pas d’où ça me venait, mais c’est comme ça. A cette époque-là les gens venaient beaucoup vers moi pour que je les forme, pour que je les coache mais je n’avais pas des notions de coaching pour apprendre quelque chose à quelqu’un que je n’ai pas apprise. C’était cela la difficulté. Spontanément j’ai eu l’idée de suivre une formation professionnelle. Parce que formée je pourrais mieux transmettre ce métier que j’aime bien aux autres. Et en ce moment je fais des ateliers, des master class. J’en ai fait à l’Institut français de Brazzaville au Congo au mois d’octobre. J’en fais régulièrement à Paris également. Je donne des cours aux autistes, aux handicapés. Je le transmets avec beaucoup de plaisir et de passion, que ce soit dans l’humour comme dans le cinéma.
Qu’est-ce qui vous pousse à quitter le Cameroun, c’était en 2007, pour la France ?
C’est l’envie de me former pour, justement, transmettre le métier ; et tourner avec les grands. C’était ma motivation personnelle.
Par rapport à votre époque de Douala, votre public a-t-il grandi, est-il sélect ?
J’ai grandi, le public a grandi. La difficulté se trouve au niveau de l’humour. L’humour que je faisais à cette époque-là était un humour brouillon. Aujourd’hui je sais agencer et parfois ça les gêne parce qu’ils ne sont pas habitués à ça. Mais au fur et à mesure ils comprennent le style. Ceux qui connaissent Selavie des Années 2000 auront l’agréable surprise de découvrir une autre Selavie plus percutante et professionnelle.
Je vous remercie, madame Selavie, d’avoir répondu aux questions de Sinotables.com.
Je vous en prie.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA