Dschang, 13 juillet (Sinotables.com) – Séverin Djeunang est un ancien responsable technique de la Base Nautique de Dschang. Il n’est plus dans les sports nautiques, mais sa passion pour la Base nautique de Dschang demeure. Tant et si bien que de passage à Dschang il n’a pas hésité à effectuer une visite de cette « terre de passion ».
Sinotables.com l’y a surpris et l’homme a accepté de répondre aux questions de notre reporter. L’homme qui a changé de métier et opère depuis dans le culturisme est déçu par la dégradation de l’infrastructure, en même temps qu’il est fasciné de constater son « patron » est demeuré en poste malgré tout. « J’aurais souhaité que véritablement la mairie reprenne conscience des opportunités que lui a offre le lac municipal », dit-il.
Monsieur Séverin Djeunang, je suis content de vous retrouver ici à la Base Nautique de Dschang où vous aviez servi. C’était…
Ah oui je suis Séverin Djeunang, j’ai été responsable technique à la Base Nautique de Dschang il y a dix ans. C’était précisément en 2005, 2006 et 2007. Mon premier stage est intervenu en 2008, offert par la coopération décentralisé Nantes-Dschang. Après ce stage je suis retourné ici. J’ai formé des enfants à la pratique de ce que j’ai appris du côté de « Chez les Blancs », comme cela se dit ici. J’ai beaucoup donné pour cette base nautique. Nous tous le savons, à l’Ouest les gens ont une peur bleue de l’eau. Trop de trucs sont dits autour de l’eau. Donc j’ai partagé ce que j’ai appris avec le maximum d’enfants, ayant organisé plusieurs événements. Par la suite j’ai jugé que j’ai donné le meilleur de moi dans le domaine de tout ce qui est nautisme. Je me suis dit pourquoi ne pas avoir aussi un profil de carrière dans ce domaine que j’ai découvert grâce à la coopération Nantes-Dschang. C’est ainsi que j’ai décidé personnellement de repartir fin 2009 pour éventuellement passer d’autres diplômes. Je dois dire qu’à un moment donné j’étais limité au niveau de certaines pratiques, de certaines connaissances aussi. A chaque fois je faisais des découvertes dans les rivières du Cameroun. Je pouvais arriver à des endroits où je ne pouvais pas savoir comment gérer une équipe. Tout ça me manquait. On a beau appris des choses sur le tas, on a beau dire que la sommes des expériences dépasse le diplôme ; mais il m’a fallu retourner pour me former de nouveau. Je suis retourné, je me suis formé et j’ai passé d’autres diplômes. Là-bas j’ai eu la chance de pouvoir continuer dans certaines bases nautiques. Mais je suis quitté du domaine du nautisme pour celui de la musculature.
Qu’est-ce qui justifie ce soudain changement de cap ?
Je n’ai jamais été sportif. Quand j’ai connu les activités nautiques, on ne va pas dire que j’étais un handicapé, mais je n’aimais pas le sport. En faisant beaucoup d’activités nautiques ça m’a développé les épaules. J’étais surpris qu’à chaque fois que je marchais on me demandait si je fais de la musculation. Quand je retourne pour perfectionner mon expérience du côté de la France, je rencontre des enfants qui me demandent si j’ai musclé mon corps. C’est ainsi j’ai commencé à regarder les reportages de gars qui font du body building, culturisme. A force de faire beaucoup de canoë j’ai développé beaucoup les épaules et les jambes ne suivaient pas. Il fallait donc que j’aille chercher un peu au niveau des jambes. A chaque fois j’avais cette morphologie et ça m’ouvrait des portes. Un jour des gens m’ont repéré et m’ont dit qu’ils vendent des protéines pour perdre du poids dans le but que je devienne un partenaire. C’est comme ça que je me suis retrouvé entrain d’être coach de musculation, en abandonnant un peu le canoë kayak. Je ne pouvais pas faire les deux à la fois. Quand tu as certaines opportunités il faut te concentrer dessus. Comme j’ai abandonné toutes mes études à l’époque pour me concentrer sur la Base nautique. Tous ceux qui me connaissent savent que j’ai tout laissé pour le consacrer à la Base nautique, à faire comme le jeune que je vois à côté, à travailler de 7h du matin à 20h.
Quel était votre rêve, comment entrevoyiez-vous votre avenir à la Base nautique ?
Quand je viens à la base nautique je n’avais même pas pensé aux compétitions internationales. J’aimais l’eau. J’aimais rester dans l’eau. J’étais content d’être là. Je me souviens, à l’époque, mon propre papa m’a dit : « je ne te compte plus parmi mes enfants. Moi je suis enseignant, toi tu vis dans l’eau. Je ne suis pas avec les gens qui vivent dans l’eau. » Mais c’était vraiment ma passion. Parce que j’avais déjà quelques notions en natation. Je me suis attaché à cette Base nautique, à ce lac, à cette eau et après on a communiqué ensemble.
Communiquer ensemble ! Qu’est-ce que ça veut dire communiquer ensemble ?
Je ne sais pas comment vous expliquer cela. Mais nous connaissons toutes les histoires autour du lac. Je n’ai jamais pensé à ce qu’on nous raconte. Parce que pour moi « qui ne risque rien n’a rien ». C’est pour cela que j’essayais à chaque fois qu’on soit comme les gens du littoral qui n’ont pas peur de l’eau. Ils vivent avec l’eau. L’eau fait partie de la terre. L’homme qui marche doit pouvoir nager aussi.
Au moment de vous engager ici, aviez-vous connaissance du projet d’aménagement du Lac municipal de Dschang?
Honnêtement j’ai eu beaucoup d’espoir. Ça a commencé et il n’y avait même pas de boukarou. Il n’y avait pas d’espace de loisir pour enfant. Il n’y avait pas de musée. Il y a eu des canoës kayak qui sont arrivés, je crois entre 2002-2004, avec les premiers moniteurs. Donc j’y croyais et à chaque fois mon rêve se réalisait. Parce qu’au jour le jour naissaient des structures tout autour du lac, et de la Base nautique qui était également initiée par Sylvain Djache qui est un grand manager pour moi. Je n’ai de cesse de remercier ce monsieur pour cet immense projet qu’il a conçu pour notre ville et qu’il a également piloté. Il y a eu le Musée des Civilisations, la piste piétonne, l’espace des jeux pour enfants. Entre 2002 et 2008 il y a eu beaucoup d’argent injecté dans le projet. Tout allait bien, Il y a eu beaucoup de changements et après, à un moment donné, j’ai senti quelque chose comme un frein. Vous savez quand on a 25 ans on ne pense pas comme quand on a 30 ans. En voyant que certaines choses se passaient, j’ai commencé à réfléchir de mon avenir. Mon travail c’était juste m’occuper de l’eau. Après il y a eu des histoires politiques. Je ne peux pas expliquer ce qui se passait en amont.
Dites-nous un mot de la sécurité du lac. Pendant que vous y étiez y’ avait-il des noyades ?
C’est un peu comme un chauffeur au volant de sa voiture. Il y a toujours des risques d’accident. J’ai connu des noyades, mais elles ne concernaient pas l’association. Il y a eu des tentatives de suicide. Des fois on a eu à ramener des personnes en vie. Heureusement que nous avions été formés pour également sauver des gens. On a eu à sortir deux personnes noyées, l’une est malheureusement décédée. Je me souviens qu’à l’époque, avec le soutien de certains sauveteurs de Santchou, on a pu sortir certains corps du lac. Mais ces personnes venaient se noyer avant les heures d’ouverture. Je me souviens, à l’époque, on ouvrait la Base nautique de 14h à 18h. C’est après toutes ces noyades qu’on a décidé d’ouvrir la Base nautique le matin, pour pouvoir essayer d’établir une surveillance en permanence sur ce lac. Mais comme l’on sait le monde est fait de hauts et des bas. D’autres personnes peuvent ne pas se sentir bien, et puis se retrouver dans le lac, ce qui terni la réputation de la Base nautique. Comment voulez-vous qu’on explique aux gens qu’il y a des noyades dans un lac qui est censé avoir des moniteurs tout autour. Mais ce que les gens ignorent c’est que ces moniteurs ont des heures de travail. Ils ignorent que le lac est tellement vaste et on n’a pas des équipements, comme les jumelles, des miradors pour pouvoir le surveiller. Il y a eu des noyades à mon époque, et après j’ai appris qu’il y avait de temps en temps des noyades.
Outre le canoë kayak qui se pratique sur le lac, qu’est-ce qu’on peut également offrir ce lac municipal à ses visiteurs?
Comme j’ai toujours expliqué aux touristes à l’époque, il y a beaucoup de richesses au lac municipal. On a non seulement son aspect qui est beau à voir, mais aussi on a beaucoup d’espèces d’oiseaux dans ce lac, beaucoup d’espèces de poissons ; on a aussi son côté naturiste : les gens peuvent venir ici pour ressourcer. C’est un endroit qui est calme, convivial. Il permet de se libérer l’esprit et avec tout le stress de la vie. En plus on a diverses expériences en canoë Kayak, pédalo et bac à moteur. Ce lac est pour moi le paradis de l’Ouest. Je ne crois pas qu’il y ait un endroit pareil à l’Ouest et même au Cameroun. A mon époque je recevais tellement de touristes : plusieurs ambassadeurs sont passés ici. J’ai accueilli des ministres ici. J’ai des gouverneurs qui sont passés ici. J’ai accueilli des préfets ici. J’ai reçu de nombreux chefs traditionnels ici au lac. Avec certains on est resté en contact. J’aurais souhaité que ce projet continua et que véritablement la mairie reprenne conscience des opportunités que lui a offre ce lac.
Vous exprimez là votre déception !
Honnêtement c’est une déception. A mon époque tout était propre. Mais là je vois des herbes partout. Quand je suis arrivé j’ai eu un choc de constater que beaucoup de truc ont été abandonné. Il n’y a pas d’entretien. En fait ce n’est pas la même image que je rêvais découvrir en revenant ici. Ça peut s’expliquer, parce que toute chose a une ou des explications. Mais j’espère bien que toutes les élites, tous les hommes puissants de cette ville, de ce département, y compris moi-même, essayerons de mettre la main à la pâte pour essayer de relever la Base nautique. On aimerait tous, avec la CAN 2019 qui arrive, que la ville de Dschang soit une grande attraction pour les touristes qui viendront au Cameroun. Il faudrait que cette Base nautique soit prête pour accueillir le monde. Parce que même si notre ville n’est pas dans la CAN, elle doit s’inventer un moyen d’être la cité où tous les touristes aimeraient y faire un tour.
Vous sous-entendez là que vous avez un projet pour cette Base nautique ?
Justement, et j’en parlais avec le moniteur. Je suis déjà entrain de réfléchir sur qu’est-ce que je peux apporter à cette Base nautique qui m’a ouvert de nombreuses portes. Aujourd’hui j’ai envie de remercier cette base. Là je réfléchis vraiment sur ce que je mettrai sur pied lors de la CAN. Pour quoi pas ouvrir des Portes découvertes en eau vive et en eau calme pour essayer de remuer encore toutes ces pagaies et ces bateaux qui, me semble-t-il, ont été laissés à l’abandon. Je prépare un petit projet pour la CAN et il vous sera communiqué en temps opportun.
C’est Monsieur Kuété qui vous a remplacé ?
Je ne vais pas dire que Monsieur Kuété m’a remplacé. Je dois dire que Monsieur Kuété c’était mon responsable. Il était là comme coordonnateur de la Base nautique. Dès le départ il a toujours été là. Et c’est quelqu’un que je tiens à féliciter, à remercier. Parce que dix ans après il est toujours là, il n’a pas lâché. On lui a abandonné le navire et il en assure la garde. Je crois que tous les enfants, tous les moniteurs qui ont été formés ici lui doivent beaucoup de chose. C’est un monsieur en or et nous devons l’encourager dans cet amour infini pour le lac municipal de Dschang. Quand vous regarder les herbes vous vous dites que même la mairie n’est pas à ses côtés, mais il demeure là, dans l’espoir que peut-être demain on prendre conscience de la nécessité de relancer la Base nautique qui pouvait être une vitrine pour Dschang.
Vous étiez dans le nautisme, et désormais c’est le culturalisme. Qu’est-ce que c’est exactement ?
Le corps humain est constitué de nombreux muscles. Il faut ressortir ces muscles à travers des exercices, à travers un suivi alimentaire qui va avec. C’est un peu comme un footballeur qui doit travailler les muscles de son corps. Sauf que nous développons un peu plus le physique pour être le mieux impressionnant. Pour être un Kunta Kinté comme on le dit souvent. En bref, le culturisme c’est ressortir tous les muscles de son corps.
Dans quel but ?
Quand moi je me suis mis là-dedans ce n’était pas pour impressionner qui que ce soit. C’était plus pour découvrir les limites de mon corps. On a souvent une force intérieure qu’on ne découvre que lors des bagarres. Mais on peut ressortir cette force au quotidien. C’était ça mon but. Et puis côté santé ça te maintient en forme.
Cela permet tout au moins de gagner aussi sa vie, non ?
Ça permet de gagne sa vie. Aujourd’hui j’ai un travail, j’ai un salaire, j’ai une maison, j’ai des enfants qui vivent des fruits de ce que je fais.
Comment se passe le séjour au village ?
Ça se passe bien. Après toujours tant d’années on vient pour se ressourcer. Et quand on se ressource on renaît de nouveau. De l’autre côté on vit énormément de stress et quelque fois on se dit qu’il faut se rapprocher des siens pour reprendre des nouvelles forces pour pouvoir aller de l’avant.
Je ne compte pas m’arrêter là en fait. Je compte que plus tard qu’on dire que tel gars de Dschang est manager technique de tel champion du monde, ou bien tel jeune de Dschang était dans les salons de body fitness, comme je le fais en Allemagne, en Italie, en Suisse.
Comment avez-vous trouvé la ville de Dschang, en général ?
Je suis content. Parce que la ville a beaucoup évolué. Il y a beaucoup de structures qui ont été mises sur pied. Des hôtels qui naissent au jour le jour. Il y a des rigoles qui sont entrain d’être construites. Il y a plus de point d’eau potable. J’ai vu qu’il y a des routes qui ont été aménagées. C’est vrai aussi qu’il y en a qui ont été dégradées. Il n’y a pas que le côté positif. Mais je trouve que ça a beaucoup changé par rapport à l’époque.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA