« Avant, quand quelqu’un mourait l’enterrait le lendemain. On ne connaissait pas ces affaires de morgue. La morgue a transformé nos rapports avec les morts. Quelqu’un meurt, on le garde à la morgue. Même par fantaisie. Même les familles pauvres sont tombées dans le piège. »: un anonyme.
Cet article a été rédigé par Augustin Roger MOMOKANA pour le compte du journal en ligne Sinotables. Date de la mise en ligne 19 octobre 2021.
Selon les us et coutumes de chez-nous, une femme qui a perdu son mari s’autorise quelques privations dont les sorties sur les places publiques. Ce jusqu’à ce qu’elle ait exécuté le rite du veuvage qui intervient après l’inhumation.
Samedi 16 octobre 2021, à Kemzi, un quartier de Banza, dans le groupement Baleveng, leurs majestés GUEMGNI Gaston (Chef supérieur Baleveng), TANEFO Jean Marie (Chef supérieur Bamendjinda) et TSIDIE Gabriel (Chef supérieur Bamendou) ont pris part aux obsèques de Mehama MEDEA Marie.
Mehama MEDEA Marie est la maman du Polytechnicien NANFA Simon, et la belle-mère de l’évangéliste ZAPZI Etienne. Elle est décédée le 10 juillet dernier à l’âge de 97 ans, laissant à la postérité plus de 130 enfants, petits-enfants, arrières petits-enfants bien identifiés dans un arbre généalogique.
Sa Majesté GUEMEGNI Gaston dont elle était une princesse profité de ce deuil pour passer deux messages à la population: l’un au sujet des funérailles prévues en 2022 pour tous les défunts chefs supérieurs Baleveng, l’autre sur le rapport entre le vivant et le défunt.
Il a commencé par rappeler à son auditoire que la mort est quelque chose de connue de nous tous. Nous ne devons pas la voir comme quelque chose d’étrange qui vient arracher à notre affection une personne que nous chérissons. Chaque jour, nous devons être prêts à accepter ses dégâts. Et lorsqu’elle sévit dans notre famille, nous devons nous arranger à ce qu’elle ne fasse pas de nous des prisonniers. Nous devons réduire le délai du dépôt des corps à la morgue. Surtout lorsqu’il s’agit d’un homme.
« Lorsqu’un homme marié décède, sa femme est appelée à exécuter le rituel du veuvage que nous tous connaissons. Il n’est bien qu’une fois le père mort, les enfants s’arrangent pour faire vivre le calvaire à son épouse. Je dis ceci parce que de plus en plus, je constate que lorsqu’un homme décède aujourd’hui, demain vous apercevez sa veuve au marché. Elle est dans la rue alors qu’elle n’a pas encore exécuté le rituel. Elle n’a pas rompu avec son défunt mari et elle traine son ombre partout. Je demande aux familles de ne plus favoriser cela. Si un homme meurt et que nous sommes dans l’incapacité d’organiser ses obsèques dans les jours qui suivent, il serait bien que nous procédions à l’avant-obsèques, jeux dire que nous fassions ce que nous appelons *morgue du village*. Une fois cela fait la veuve peut exécuter son rituel. Nous l’aurions ainsi libérée et les obsèques pourront suivre dans un, deux ou cinq mois, selon la volonté de ceux qui les organisent. »
Ce disant, Sa Majesté GUEMENGI Gaston n’a pas caché son amertume de ce que la mort soit devenue l’occasion de grandes manifestations de joie. La douleur de la séparation n’existe plus. On dirait que le deuil est même très attendue chez certains. Ceux-là qui ne peuvent pas enterrer leur parent tant qu’ils n’ont pas perçu les « assurances » des tontines.
« Ce sont les enfants résidants en France qui ont commencé à demander que l’on mettent le corps de leurs parents à la morgue pour attendre leur arrivée. Comme ils viennent avec beaucoup d’argent le deuil devient une grande fête. Les autres ont pris goût. La pratique s’est donc généralisée, si bien qu’aujourd’hui même le plus pauvre du village dépose le corps de son défunt à la morgue. »; notre source anonyme.
Les riches et les mbenguistes ont transformés les obsèques en une gigantesque fête qui, pour être organisée nécessite le concours de leurs amies. Certains organisent des veillées de collectes de fonds tandis que d’autres font appel aux associations dont ils sont membres à l’effet de récolter de l’argent épargné dans le cadre de l’assistance aux membres.
De plus en plus, des voix s’élèvent qui dénoncent les mécanismes en vigueur dans ces tontines qui ne pensent qu’à la mort. De même qu’elles prévoient des fonds en cas de perte d’un membre, du parent, du/de la conjoint(e) ou d’un fils, elles devraient également prévoir des aides pour les soins médicaux. Car certaines personnes sont mortes faute de moyens financiers pour se soigner.
Augustin Roger MOMOKANA