Yvon YOYO est un fonctionnaire Centrafricain actuellement en formation au CIEDEL à Lyon en France. Il vient de séjourner pendant un mois au CARADEL, à Dschang, dans le cadre de son stage académique.
CARADEL (Centre d’action, de recherche et d’appui au développement local) a permis à Yvon YOYO de comprendre les mécanismes de montage, de gestion des projets de coopération. A ce titre il visité plusieurs structures à l’instar des plateformes de gestion des déchets, des latrines écologiques, des institutions culturelles dont le Musée des Civilisations et l’Alliance Franco-Camerounaise de Dschang, entre autres.
Avant de quitter le Cameroun le 1er janvier, Yvon YOYO s’est entretenu le 31 décembre 2021 avec Sinotables.com. Nous vous invitons à découvrir l’interview.
Cet article a été rédigé par Augustin Roger MOMOKANA pour le compte du journal en ligne Sinotables. Date de la mise en ligne 9 Janvier 2022.
Commençons par le début. C’est quoi le CIEDEL ?
Le Centre international des études en développement local (CIEDEL) est associé à l’Université catholique de Lyon. Il forme dans l’expertise en développement local et protection des droits humains, et également en ingénierie des projets. En dehors de cela, le CIEDEL organise des cours modulaires qui varient entre deux semaines et un mois. En ce qui me concerne, j’y suis pour l’expertise en développement local et protection des droits humains.
Et vous êtes donc ici à Dschang dans le cadre de votre stage académique !
Oui ! Je suis à Dschang pour mon stage académique. Ce que je suis venu faire à Dschang c’est de voir les procédures de financement des projets : comment monter un projet de développement, comment présenter un dossier pour qu’il soit financé par les bailleurs de fonds. Nous voulions voir concrètement comment les choses se passent ici : les projets qui ont exécutés par les municipalités sous d’autres institutions, et bailleurs de fonds bien entendu, la dynamique associative aussi.
Fallait-il nécessairement aller à Lyon pour apprendre à monter les projets ? Ça se passe comment à l’Université de Bangui ? C’est un problème ?
Vous savez, la formation que nous faisons est une formation pour l’expertise. Des formations en gestion de projets existent au niveau de Bangui. Ce sont des formations générales. A Lyon les formations sont plutôt spécialisées. Elles concernent des professionnels. Et c’est pourquoi je suis présentement à Dschang pour travailler avec CARADEL et Composteurs Sans Frontières dont le directeur est une expertise reconnue à l’échelon africain.
Parlez-nous des projets que vous avez visités !
Nous avons visité des projets d’assainissement au niveau de Dschang et dans les autres communes du département de la Menoua. Nous avons visité un projet sur la gestion des déchets, un projet culturel notamment le Musée des Civilisations au bord du lac municipal et l’Alliance Franco-Camerounaise de Dschang.
Quelle est l’impression générale qui se dégage à l’issue de cette visite des projets cités ?
Il s’agit des projets qui sont encore en cours d’exécution, excepté l’Alliance Franco-Camerounaise de Dschang. J’ai pu comprendre comment ils ont été montés, les mécanismes de leurs financements, la mise en œuvre à travers les bénéficiaires. CARADEL a pu nous permettre de comprendre tout cela, et ensemble nous avons questionné leur avenir. Ce qui va nous permettre de mieux apprécier leur aboutissement, les obstacles et éventuellement les échecs probables.
Ces projets vous inspireront-ils à votre retour à Bangui ?
Bien sûr ! C’est de très bons projets. N’oubliez pas que le Cameroun et la République Centrafricaine font face aux mêmes problèmes, mais à des degrés divers. Ce sont les problèmes d’eau, les problèmes d’assainissement, le problème de la biodiversité, la protection des droits humains. Donc ce n’est pas nouveau, et je peux vous dire que ce sont les mêmes bailleurs de fonds qui interviennent aussi en République Centrafricaine. Là c’est de voir qu’est-ce qui a été fait au niveau de la ville de Dschang et qui peut être fait au niveau de Bangui, ou bien qu’est-ce qui a été fait qui n’a pas marché et qu’il faut améliorer en le faisant à Bangui.
Comment allez-vous amorcer votre déploiement après la formation ?
Nous travaillons à mettre en place CARADEL Centrafrique, pour dupliquer le model camerounais parce que nous avons les mêmes réalités. Parce que la vision du CARADEL c’est devenir sous régional. On est entrain de travailler sur les textes juridiques pour ce faire. Et le but du CARADEL c’est d’accompagner, faire du coaching, la recherche de financements. On est dans cette perspective-là, c’est-à-dire celle qui consiste à mettre en place CARADEL Centrafrique d’ici 2022. Dès que j’aurais terminé ma formation je vais, avec certains collègues, travailler dessus.
Depuis Lyon est-ce que vous avez déjà une idée de ce que vous allez emporter à Bangui en termes de partenariats.
Pendant notre formation nous avons pris contact avec de nombreux partenaires. Les municipalités plus précisément. Parce que quand on parle de développement local, c’est d’abord les municipalités. Nous avons eu beaucoup d’échanges avec des Ong françaises et des Ong internationales basées à Lyon. Elles qui viennent chaque deux semaines au niveau de l’Université pour faire des exposés sur leurs activités. A mon retour, je vais essayer de mettre en pratique tous ces acquis-là, en comptant bien évidemment sur certaines de ces Ong avec qui nous avons une convergence de vue assez relevée dans le domaine du développement local et de la protection des droits humains.
Avez-vous échangé aussi avec le maire de la Commune de Dschang ?
Cela n’a pas été possible vu son agenda très surchargé. Néanmoins, j’ai échangé avec certains élus locaux et avec certains responsables de la municipalité. Vous savez, même si le maire n’est pas disponible il y a toujours des gens pour assurer l’accueil et le service. Le maire est politique et vous avez des techniciens qui chargent de l’exécution.
Vous voici donc entrain de quitter Dschang après un mois de séjour. Parlez-nous de ce que vous avez trouvé de merveilleux dans cette ville.
Dschang c’est une ville modèle. En pleine construction. Dschang a des atouts à tous les niveaux. Ce qui manque c’est de mettre en place une synergie entre tous les acteurs. Ce que j’ai observé c’est que, apparemment, la population n’a pas encore cerné ce que la municipalité veut, ce que certaines associations sont entrain de faire. Pour réussir il faut la participation active de tous les acteurs. Parce que si tout le monde adhère à ce projet municipal, la ville de Dschang sera dans dix ans une ville pilote en Afrique.
Vous avez visité le Musée des Civilisations, la Décharge municipale et les sites de compostage des déchets, l’Alliance Franco-camerounaise de Dschang. Y a-t-il à Bangui un site similaire au Lac Municipal de Dschang qui peut vous amener à rêver d’un projet d’envergure comme le Musée des Civilisations ?
Au niveau de Bangui nous avons trois sites municipaux. Mais ils sont un peu distants de la capitale. Nous avons le lac aux crocodiles. Ce que j’ai vu à Dschang est impressionnant et dès mon retour, je vais me rapprocher de nos établissements pour partager cela avec eux afin que nous puissions voir comment améliorer nos sites touristiques. J’ai été très impressionné quand j’ai visité le Musée des Civilisations, quand j’ai visité le lac artificiel avec la verdure et la faune sauvage qui va avec. Je m’empresse de pouvoir finir ma formation pour rentrer au pays où j’aurai de grands challenges à relever.
L’intégration sous régionale est une préoccupation constante des populations qui, malheureusement, coince. Qu’est-ce qui selon vous fait problème ?
L’intégration c’est la volonté politique. Pour qu’il y ait une véritable intégration il faut qu’il y ait une liberté d’expression, des échanges francs entre les Etats de la CEMAC, la libre-circulation des personnes et des marchandises. Si déjà il y a des barrières… un Camerounais ne peut pas entrer en Guinée Equatoriale, un Centrafricain ne peut pas entrer au Gabon… ça c’est déjà des obstacles. Pour qu’il y ait intégration il faut d’abord que les politiques prennent le dossier en main pour faciliter les choses. Imagine que tu quittes Bangui pour venir au Cameroun pour des études –c’est des échanges au niveau des universités- il y a des barrières.
Vous avez certainement eu beaucoup d’appétit pour la cuisine camerounaise ?
Oui ! Puisque comme vous le savez, le Cameroun et la République Centrafricaine c’est un même pays. C’est la colonisation qui a apporté ses histoires de frontières. Que l’on soit au Cameroun ou en Centrafrique c’est les mêmes plats. On mange la même chose. Il y le plantain, il y a le macabo chez moi. Il y a le taro, il y a le maïs, il y a le manioc. Il y a les feuilles de manioc, le eru, etc. C’est la même chose. Sur ce plan je me sens en Centrafrique au Cameroun.
Vous êtes parti pour ouvrir CARADEL et Composteurs Sans Frontières Centrafrique. Mais comment fonctionniez-vous avant ?
Je suis d’abord fonctionnaire de l’Etat. Mais à côté je fais des consultations aux Ong nationales. CARADEL fait la recherche, le coaching, l’accompagnement, le recherche de financements. Donc ce ne sera même pas difficile de mettre sur pied CARADEL Centrafrique. De toutes les manières on est entrain d’élargir le champ pour que ça devienne un centre sous-régional.
En ce qui concerne Composteurs Sans Frontières, j’ai eu à rencontrer le président en France. Monsieur Pascal RETIERE m’a d’ailleurs invité à séjourner à Nantes. Et je pense que d’ici fin Janvier je serai à Nantes. Nous sommes entrain de réfléchir pour mettre également en place Composteurs Sans Frontières en République Centrafricaine.
Nous avons appris avec satisfaction que la télévision camerounaise Vision 4 est bien installée en République Centrafricaine. Il s’agit d’un partenariat sud-sud à saluer. Est-ce que en Centrafrique la nouvelle est accueillie avec le même enthousiasme qu’au Cameroun?
La difficulté de la République Centrafricaine c’est que pour voir même la télévision nationale ou les télévisions privées il faut passer sur Canal. Or si on pouvait avoir ces chaines sur le réseau national, je crois que même ceux qui sont dans l’hinterland auront accès à la télévision. N’oublions pas que la télévision facilite le développement. Mais quand tu parles de Vision 4 à Bangui, il y a des gens qui te diront sincèrement qu’ils ne la connaissent pas. Parce qu’elle est sur Canal. Tout le monde n’a pas Canal. Parce que pour avoir Canal il faut s’abonner et payer une redevance mensuelle.
Vous pensez qu’il faille nécessairement avoir un bouquet national pour que la télévision participe au développement du pays. Pourquoi les investisseurs trainent-ils le pas ?
Ça on ne sait pas. C’est la politique du gouvernement. Parce que même la télévision nationale est beaucoup plus sur Canal. C’est ce que nous sommes entrain de dénoncer et de combattre. Parce que ce n’est pas normal. Vue la situation économique du pays, tout le monde n’a pas accès à la télévision. Pourtant cela aurait contribué à résoudre la crise sécuritaire qui plombe le pays. Parce qu’il y a des émissions qui se font à la télé mais, malheureusement, tout le monde ne regarde pas la télévision. Pour avoir accès à la télévision il faut acheter un décodeur, payer un abonnement mensuel. Ce qui n’est pas à la portée de la majorité des Centrafricains. Nous pensons que s’il y a des opérateurs par câbles, s’il y a un bouquet national, cela va faciliter un peu l’accès à la télévision. Parce que l’abonnement ne peut pas être exorbitant comme celui de Canal.
Nous nous rendons compte que les médias en ligne ne sont pas aussi développés là-bas ! Il y a quand même abangui.com qui fait un travail remarquable de ce côté-là.
L’Internet c’est la fibre optique. Le Cameroun bénéficie déjà de cette couverture-là. Nous avons un projet de fibre optique qui est rendu à sa phase d’exécution. Si les choses avancent bien je pense que d’ici la fin du premier semestre 2022 on aura la fibre optique. Cela va beaucoup contribuer à la démocratisation de l’Internet qui aura comme conséquence la création d’une économie numérique en République Centrafricaine.
Nous sommes pratiquement à quelques heures de l’avènement de l’année 2022. Quel message de vœux voulez-vous formuler pour votre pays ?
Le message de vœux ? Je commencerai par mon directeur de stage, Monsieur Barthélémy NDONGSON qui m’a reçu et encadré dans sa structure. Il s’adresse également à vous, étant donné que Sinotables fait un travail remarquable pour le développement local au niveau du département de la Menoua. Je voudrais aussi faire un clin d’œil à toute la population du Cameroun parce que je me sens à Dschang comme chez moi. Beaucoup de personnes m’ont aidé durant ce stage. Je peux citer Monsieur Joël SAGNE MOUMBE et bien d’autres. Pour ma famille biologique c’est naturelle. Comme on est sur internet je peux passer mes meilleurs vœux de santé et bonheur à ma famille et à tous les Centrafricains, et à toute la colonie centrafricaine de Dschang. J’ai reçu des étudiants centrafricains à Dschang, on a échangé. Je leur souhaite une année 2022 de succès.
En ce qui concerne mon pays, la République Centrafricaine, je dois dire que sans la paix il n’y a point de développement. Le souci majeur c’est qu’il y ait la paix dans mon pays. Tant qu’il n’y a pas la paix, tout ce que nous faisons est perdu d’avance. Mais pour qu’il y ait la paix il faut la réconciliation de tous les cœurs. Afin que nous puissions relever l’économie et la situation sociale qui sont tombées au plus bas. Il faudrait que chacun puisse se surpasser pour que nous puissions tenir un même langage de réconciliation de paix sincère. Tant qu’il n’y a pas une réconciliation sincère, tant qu’il n’y a pas une paix sincère, on va se regarder en chien de faïence, avec des blocages par-ci par-là.
Je vous remercie, Monsieur Yvon YOYO, pour votre disponibilité à répondre aux questions de Sinotables.com.
C’est moi qui vous remercie sincèrement pour cette tribune que vous m’avez offerte non pas seulement pour parler uniquement de mon stage académique, mais aussi de quelques aspects de mon pays la République Centrafricaine.
Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA