
POUR UNE FOUMBAN II : LES INCONGRUITES DE LA CONFERENCE DE FOUMBAN DE 1961
Dans un contexte de crise socio-politique tel que celui présent au pays de Um Nyobè depuis bientôt trois ans, il fallait du courage et de l’audace pour interroger l’histoire profonde de ce pays d’Afrique Centrale dont la colonisation a fait une exception dans tout le continent. Clovis Foutsop et Albert Dongmo proposent dans cet essai préfacé par l’historien Koufan Menkéné et postfacé par le sociologue Claude Abé, une lecture sous l’angle de l’Histoire, du problème camerounais que certains ont tôt fait d’appeler Crise anglophone.
S’il est souvent admis d’une manière générale que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, en sciences sociales cependant, cette idée devrait être admise avec méfiance et prudence pour au moins deux raisons. La première est qu’il faut tenir compte des variables contextuelles tant générationnelle et situationnelle que celles liées à l’époque et à l’espace géographique. Sur cette dernière variable ajoutons pour être plus clair que bien qu’étant du même pays, Montagnards et Côtiers n’auront pas forcement la même approche pour résoudre le même problème. La deuxième raison est toute liée à la nature de l’Homme qui, quoique animal politique au sens aristotélicien, demeure un être « ondoyant et divers ». Cette équivoque ainsi levée, on commence à comprendre combien elle est ardue voire fastidieuse cette tâche qui consiste à revisiter le passé pour répondre aux questions du présent. Pourtant c’est l’approche des historiens. Clovis Foutsop et Albert Dongmo ne se soustraient point à la règle lorsque, se projetant vers les solutions de sortie de la crise que traverse leur pays, ils trouvent un précédent historique à savoir la fameuse Conférence de Foumban de 1961.
La crise que nombre d’observateurs de l’actualité Camerounaise appellent à tort Crise anglophone c’est comme qui dirait, « du déjà vu ». Les auteurs convoquent à suffisance dans leur ouvrage, des faits qui montrent qu’un tel évènement était inévitable au regard de la « sortie manquée » de 1961, tout comme il serait prévisible qu’il s’en produise un autre plus grave ou tout au moins pareil, si d’aventure les préoccupations de fond venaient encore à être ignorées. A ce niveau, l’impartialité et la rigueur scientifique des auteurs sont à saluer. Navigant à contrecourant d’une vaste littérature sur la question, faisant état d’une duperie – et nous y reviendrons- survenue à un moment donné de l’histoire du Cameroun, ceux-ci préfèrent poser sous un tout autre angle le problème du vivre ensemble entre les Camerounais francophones et ceux Anglophones. Un problème né de la fraction du Kamerun en deux entités qu’on appelait sous le régime de Tutelle, Cameroun Français et British Cameroon. Il faut déjà ici souligner avec les auteurs, l’erreur de la Société Des Nations, ancêtre de l’actuelle ONU, qui avait décidé de cette partition du pays sorti du Protectorat allemand le 4 mars 1916 et dès lors sous son propre Mandat. La seconde vague des Nationalistes Kamerunais dont Samson Adoeye Georges, Rubben Um Nyobè, Nerius M. Mbile, Félix Roland Moumié ou encore le Dr. Endeley… va d’ailleurs adresser la question de l’Indépendance en la conditionnant à un préalable qu’est la Réunification.Cependant, l’histoire nous a servi les Indépendances d’abord et la Réunification ensuite. Mais bien plus, les Nationalistes qui avaient été les premiers à poser le problème de la Réunification s’en sont vu écartés au moment de sa mise en œuvre. C’est d’ailleurs là la grande réponse de cet ouvrage au « problème camerounais » d’hier comme d’aujourd’hui.
Si on revenait sur la prétendue « duperie » à laquelle se fie une certaine littérature, celle-ci incriminant John Ngu Foncha alors leader affirmé du Southern Cameroon, pour s’être laissé soudoyer par la République du Cameroun, celle-là récusant un Référendum à l’irrégulière qui posait un choix entre le « Yes » et le « Oui » aux Cameroun sous administration britannique quant à l’idée de se joindre à leurs voisins francophones… autre y va saluant le génie des leaders qu’avaient été Ahidjo et Foncha. Une autre encore, récusant la supercherie selon laquelle qu’il n’a jamais été question lors du fameux Référendum pour l’Etat qu’était le Bristish Cameroon de choisir d’être Indépendant tout court. En effet les Camerounais de ce territoire avaient été appelés aux urnes pour se choisir un destin avec « La Nigeria » ou plutôt avec « La République du Cameroun ». Mais ce serait mal adresser la question de l’édification d’une Nation que de s’y prendre en étalant son parti pris. Foutsop et Dongmo sont clairs, a échoué dès lors qu’elle n’a pas su poser au centre de l’idéale de l’en-commun, les bases de la construction d’une Identité camerounaise. Ce débat-là, pensent-ils, aurait postulé pour une refondation générale de ce qui s’apprêtait à devenir Nation. S’il avait été sérieusement mené, serait-on aujourd’hui à parler dans un même pays de deux systèmes juridiques ? Deux sous-systèmes éducatifs ? Deux langues officielles importées ? Ou tout simplement, nos deux auteurs se reconnaitraient-ils aujourd’hui comme des « descendants des crevettes » ?
Est-il désormais trop tard ?
Le titre de l’ouvrage est en soi une réponse à cette question. Il urge à nos jours que les problèmes de fond qu’avaient posés les vrais concepteurs du projet de la Réunification du Cameroun, soit remis sur la table d’une discussion franche qui intègre toutes les couches sociales, toutes les obédiences politiques ou religieuses, tous les groupes ethniques sans exclusion aucune. A l’opposé d’une telle action, on pourrait avoir des groupes retranchés chacun dans sa « raison », ne voulant ni entendre celle de l’autre ni même lui accorder un tant soit peu, de raison d’être. On serait dans un schéma de radicalisation dans les deux sens. Et à ce titre, l’exemple qui puisse mieux présenter la situation serait celui de Cabinda. En effet, de 1883 à 1884, en plein la mouvance de la partition du continent africain, les Portugais déjà présents sur les rives du fleuve Congo, signèrent avec certains Chefs autochtones cabindais, des accords commerciaux dits de Chimfuma et de Chicamba. Ensuite, le 1er février 1885, par le biais du Traité de Simulambuco, Cabinda devint un territoire sous protectorat portugais. Cependant, eu égard des rivalités dont elle faisait l’objet, la Conférence de Berlin de 1885 va consacrer le dépècement l’ancienne Nation Kongo et l’enclave de Cabinda sous l’administration directe du Gouverneur portugais établi à Luanda. C’est fort d’une telle réalité que le texte qui concède à l’Angola son Indépendance en 1975 reconnait Cabinda comme partie intégrante de son territoire. Depuis, les mouvements politiques de cette partie se multiplient avec une revendication majeure : la sécession. Si cette parenthèse qui se referme peut avoir sa raison d’être ici, c’est à cause de l’absence d’un dialogue entre Luanda et les mouvements séparatistes affirmés et retranchés dans une forme d’expression qui s’apparente au modus operandi des groupes terroristes. Si comparaison avec le pays dont il est question dans le présent ouvrage, ne veut pas forcément pas dire raison, reconnaissons tout au moins avec ses auteurs que ce dont a besoin le Cameroun, c’est d’un Dialogue entre ses fils et filles de tout bord. Au terme de cette lecture alléchante, on ne tarit pas d’appétence …Pour une Foumban II.
David Wateu