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Ma personne,
Heum ! Résoudre la crise anglophone-là n’est pas la course d’un bébé hein. C’est trop compliqué dion.
Pour quoi c’est compliqué ? Hé bien parce qu’il va falloir pour aller chercher cette paix- dont on parle comme si elle était couchée derrière le Palais des Congrès- faire des sacrifices de part et d’autre, et ensuite remplir objectivement un certain nombre de préalables.
Je commencerai par les sacrifices ou encore concessions. Il convient de relever que si pour Yaoundé la sécession ne peut pas être à l’ordre du jour lors des assises du Dialogue National Inclusif ou de Réconciliation, il va falloir s’imaginer que les séparatistes vont exiger l’abandon de la décentralisation pour un véritable fédéralisme. Mais un fédéralisme à 10 États, pour rester dans la configuration administrative actuelle. Voilà à mon sens les deux concessions évidentes. Et l’enjeu est tellement grand et pressant que chacun devra se faire violence pour l’amour de la patrie.
Je tombe sur les [autres] préalables qui s’imposent d’elles-mêmes. Tu as la définition de ce qu’on entend par dialogue national inclusif. Une fois cela compris, il faudra trouver un cadre pour abriter ce dialogue. Ce cadre doit garantir la neutralité et la sécurité de tous les participants.
Forcément ce sera ailleurs qu’au Cameroun. Il faudra bien déterminer la composition des parties au dialogue. Je dois te dire à ce sujet que l’affaire sera encore plus complexe si le gouvernement veut contrôler le dossier, c’est-à-dire organiser et conduire le processus. On a déjà les participants, il faut alors désigner les médiateurs. Les médiateurs doivent également être neutres, c’est-à-dire des personnalités étrangères à la crise. Ils auront à leurs côtés des consultants désignés parmi les personnalités camerounaises les plus intègres et les puissances qui ont des intérêts économiques prononcés au Cameroun. L’une des graves erreurs serait de faire sans la France, les Usa, la Grande Bretagne, L’Allemagne et la Chine. Si nous ne les associons pas à ce dialogue ils pourront, au nom de la sécurité de leurs intérêts, créer un nouveau chaos. Il faudra enfin définir les étapes et les échéances du dialogue.
Précision importante à faire. J’ai essayé de lire quelques notes sur les crises similaires ailleurs dans le monde, notamment celle de l’Ex-Yougoslavie. Il serait bon de savoir avec Paul Garde, dans sa préface de LA DÉSINTÉGRATION DE LA YOUGOSLAVIE ET L’ÉMERGENCE DE SEPT ÉTATS SUCCESSEURS que « Ceux qui veulent empêcher l’opinion de comprendre (ils sont nombreux) ont intérêt à laisser croire que tout a commencé avec les premières proclamations d’indépendance, qui, en juin 1991, seraient survenues comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Ce n’est jamais vrai en histoire, tout événement a des antécédents et des causes.»
Voilà qui est bien dit. Nous ne saurions focaliser notre dialogue sur la crise déclenchée en septembre 2017 dans les régions anglophones. Il faudra rentrer dans l’histoire pour en rechercher les causes « lointaines ». Ici je vois l’exploration de l’assise de Foumban (1961), et si l’on voudra aller plus loin, l’exploration aussi de la triple colonisation. Cette dernière permettra de comprendre pour quoi et comment l’éclatement a été opérée, comment et pour quoi la réunification a été menée. Voilà comment le dialogue pourra véritablement s’imprégner de la crise de manière à chasser le démon qui s’est installé au Cameroun.
S’agissant du dialogue proprement dit, le gouvernement devra, une fois de plus, faire profil bas. Et cela je le suggère au pouvoir en place. Cela signifie que les médiateurs doivent être neutres car, il est question d’éviter de retomber dans le piège de la manipulation comme cela a été le cas dans les années 90 avec la Tripartite.
Pour tout ce que j’ai déjà dit, je vois la mise en place préalable, d’un Comité National comprenant d’éminentes personnalités religieuses, du droit et des partis politiques représentés au parlement. On fixe les quotas et chaque partie désigne ses représentants. Le comité aura pour mission de fournir au président de la République la liste des médiateurs.
Une fois la liste des médiateurs fournie, le comité devra identifier les parties au dialogue. Et à ce sujet, nous voyons 11 groupes composés des personnalités issues des deux groupes sociolinguistiques (anglophone et francophone):
• Des représentants des réfugies & déplacés (3)
• Des représentants de l’Ambazonie (3)
• Des représentants des indépendantistes armés (03)
• Des représentants des victimes collatérales (3)
• Des représentants de la société civile (5)
• Des représentants de l’Union Africaine (2)
• Des représentants des Nations Unies (2)
• Des observateurs Américain, français, britannique, chinois, russe (1)
• Des représentants de la justice (3)
• Des représentants des forces armées (3)
• Des représentants du parlement (4)
Dans cette affaire les forces armées, le parlement et la justice et la société civile sont suffisamment constitués pour veiller sur les intérêts nationaux.
Au sortir de ce travail, le processus du dialogue proprement peut démarrer ou alors se mettre en place. Un processus qui devra se solder par une nouvelle constitution, un nouveau cadre électorale, un planning de mise en place de nouvelles institutions, entre autres.
Cela pour dire au premier Ministre que sa course à travers les deux régions anglophones a oublié les victimes collatérales (Menoua, Noun, Moungo). Voilà pour quoi je peux appeler ça la course du bébé. Elle ne peut pas régler la crise qui est, en réalité, une crise généralisée. Car non seulement nous avons cette guerre dans les régions anglophones, mais également nous sommes tous conscients que nous devons mettre le dialogue à profit pour gérer les problèmes de la montée du tribalisme, des religions, de la corruption, etc.
Pour quoi est-elle une course d’enfant ? Parce que cette crise n’est pas celle d’une famille de 10 enfants où 2 sont marginalisés, comme le pense mon ami Jean-Claude Mbede Lastardedieu. Il s’agit ici d’une crise qui est la conséquence d’un ensemble de frustrations accumulées depuis des décennies et qui, finalement, sont sur la table l’histoire-même du Cameroun. Le problème anglophone n’est que l’étincelle qui menace de provoquer un embrasement général. Aux chirurgiens de faire le travail.
Si cette fois-ci nous brûlons le pas, nous ferrons prochainement face à une crise encore plus aiguë, plus douloureuse et meurtrière. En tout cas ce que je dis n’est qu’une approche pour régler durablement la crise dans laquelle notre pays est plongée. Tout cela demande beaucoup d’argent.
Ma personne, pour faire cela il faudra beaucoup d’argent. Où le Cameroun ira-t-il trouver de l’argent nécessaire pour financer ce dialogue ? Si nos milliardaires pouvaient-faire comme Fotso Victor vis-à-vis de l’église catholique- mettre chacun 1 milliard dans le compte, si l’argent récolté dans le cadre de l’Opération Épervier pouvait servir une cause nationale… Car si nous tentons de faire financer ça par les gens-là, on va sauf que leur laisser gérer nos ressources pendant au moins 50 ans encore.
Momokana
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