Le débat sur la contribution de la Langue au Développement est vieux comme la “Genèse”. Mais les différentes sensibilités sociologiques tardent à trouver le point du consensus. Même se elles lui reconnaissent d’être au centre du processus transformationnel, c’est-à-dire des contacts qui aboutissent aux décisions et actions d’impact. La Grande Conférence de l’Université de Dschang sur la « Diversité linguistique et culturelle, dynamiques sociales et problématique du développement au Cameroun » a donné lieu à des échanges parfois rudes, selon les personnalités, mais empreintes de convivialité et de respect.
Rappelons que la Grande Conférence se tenait dans le cadre de la dédicace de l’encyclopédie « Les Grassfields du Cameroun : des fondements culturels au Développement humain. » Un ouvrage collectif de plus de 440 pages co-dirigé par Zacharie Saha et Jean Romain Koueso. Edité par le CERDOTOLA (Centre international de recherche et de documentation sur les traditions et les langues africaines).
Quelques questions posées :
Professeur Guy Mvele est politologue.Il est le Secrétaire Général de l’Université de Dschang.
J’ai une préoccupation liée aux luttes de reconnaissance qui sont au cœur de la diversité linguistique et culturelle. J’ai été particulièrement été intéressé par l’exposé du professeur Chumbow quand il faisait allusion aux guerres intestines, aux conflits et aux violences qui pouvaient entrainer les questions de déni de connaissance et de reconnaissances dans la diversité culturelle. Et pour cela je suis remonté à la thématique qui nous réunie aujourd’hui, en l’occurrence la « Diversité linguistique et culturelle, dynamiques sociales et problématique du développement au Cameroun ». Dans ma compréhension qui est sans doute mauvaise j’ai dû cerner cette thématique en y voyant la diversité linguistique et culturelle comme un facteur de développement au Cameroun. Or, et je ne voudrais pas me tromper, il se trouve que parler de la diversité linguistique et culturelle comme facteur de développement me semble être un raccourci et entrainerait l’interrogation de savoir est-ce qu’on ne devrait pas transiter par les questions de luttes et de désirs de reconnaissances qui sont au cœur même de la promotion de la diversité linguistique et culturelle. S’il y a diversité linguistique et culturelle au Cameroun, c’est parce qu’il y a des groupes socioculturels qui sont engagés dans des luttes de reconnaissance à l’intérieur de l’ensemble Cameroun. Ma question : Peut-on envisager la diversité culturelle comme facteur de développement sans transiter par les débats sur les luttes de reconnaissance qui sont au cœur des dynamiques sociales. ? Vous savez mieux que moi que ma conscience se réalise si elle est reconnue par l’autre. Et pour cela, les questions de luttes de reconnaissance qui sont largement documentées à partir des travaux de Hegel, notamment sur la Phénoménologie de l’esprit, publiés au début du XIX siècle nous posent les luttent de reconnaissance comme étant au cœur même des dynamiques sociales.
Le Professeur Moïse Timtchueng est juriste. Enseignant en Faculté des Sciences Juridiques et politiques de l’Université de Dschang.
Je m’interroge sur trois petits points : la première, déjà par rapport à la thématique, inspirée par la bible, c’est simplement posé la question de savoir sin on peut parler d’un peuple grassfield ou bamiléké ou des peuples grassfields ou bamiléké ? Je pars de ce que j’observe en matière de rites funéraires. Je suis à ma 25e année aujourd’hui à Dschang et je constate que, par rapport à la mort, il y a des pratiques très développées dans deux départements : la Menoua et les Bamboutos dont les éléments culturelles visent à privilégier l’autopsie systématique. Il y a des villages ici où vous ne pouvez pas inhumer quelqu’un sans qu’on ait fait une autopsie. Au regard de cette particularité, par rapport aux autres villages constituant les grassfields peut-on parler d’un peuple bamiléké ou des peuples bamilékés ? La deuxième question a trait à la nécessité de la préservation de la diversité linguistique. Nous voyons dans certains pays africains que l’Etat a réussi à adopter une langue locale pour en faire une langue nationale. Dans toute la côte Est Africaine, je pense au Wolof chez les sénégalais, je pense au fon au Bénin… est-ce que cette diversité ne retarde pas l’avènement d’une véritable nation camerounaise ? Dans la mesure où, quand je vais par exemple au Bénin, je me rends compte que les clivages sont considérablement atténués du fait que tout le monde se reconnait dans le fon. A lors qu’au Cameroun, par exemple, le tribalisme est quelque part institutionnalisé avec la régionalisation. Ne serait-il pas convenable, pour le Cameroun, d’imiter ces initiatives qui ont été prises dans certains pays, pour ne pas dire sous région en prenant m’exemple du souahili. Ma troisième et dernière question. Le professeur Chumbow a parlé de reconnaissance et je me questionne sur la pertinence du mot bamiléké. Est-ce que vous pensez qu’une tribu doit se faire représenter par un nom dans lequel elle ne reconnait pas ? Il y a un nom qui regroupe les masses : Binam. Qu’est-ce qu’on
Monsieur Assonken Benoît, Enseignant des Ecoles Normales. Ancien joueur et capitaine de l’Aigle royal de Dschang. Conseil municipal de Dschang.
Je voudrais m’interroger sur la diversité linguistique et culturelle comme opportunité du développement. J’ai beaucoup apprécié l’exposé de Monsieur le Président. Il y a deux paradigmes : le paradigme d’assimilation est un paradigme de rejet. Tandis que celui du pluralisme peut être considéré comme celui d’accommodation. Mais seulement nous n’ignorons pas une chose. Nous savons que si la diversité est enrichissante, elle est autant un foyer de tension si non ‘y prend garde. Et c’est le cas dans notre pays. Professeur, en homme politique, vous avez dû faire preuve de beaucoup d’acrobatie pour ne pas parler de tribu, etc. mais voilà une réalité que nous vivons et qui nous met en proie aux différentes divisons. Je pense qu’il y a une démarche que le ministère de l’agriculture a entreprise qui pourrait nous servir de modèle de construction par rapport à cette diversité linguistique et culturelle. Nous avons le devoir de conserver nos différentes langues, nos cultures. Mais nous avons pour autant le devoir de vivre ensemble. Comment est-ce que ça va se passer ? Le ministère de la culture a déjà commencé à découper le Cameroun en régions culturelles. Est-ce que dans cette approche on ne peut pas conserver nos langues ? Mais tirer de ces langues une qui serait synthétique au plan culturel qu’on pourrait appeler nationale pour que l’identité ne soit pas un leurre, pour que l’identité nationale ne soit pas une chimère. Est-ce que cela est possible ? Il y a des luttes ethniques d’influence qui empêchent cela. Est-ce que la recherche ne peut pas suggérer, sur la base des indicateurs bien définis, une langue qui est reconnue comme parlée par la majorité des Camerounais. Et qui pourrait se voir enrichie par des éléments culturels des autres langues pour qu’on en fasse une langue nationale. Qu’on enseigne à l’école, qu’on enseigne aussi dans les familles. Pour que le Camerounais qui se retrouve en France, vous comprenez pour quoi cet exemple, qui se retrouve en Allemagne, qui se retrouve en Angleterre, partout dans le monde se reconnaissent dans cette langues-là.
Le Professeur Avom Désiré est économiste. Doyen de la Faculté des Sciences économiques et de gestion.
En fait moi je perçois faiblement le lien que vous établissez entre diversité linguistique et culturelle et le développement. J’aurais pu m’attendre à ce qu’on identifie un certain nombre de vertus ou alors les problèmes de la diversité culturelle et essayer de trouver un lien avec ce que les économistes peuvent considérer comme développement. Est-ce qu’il y a un facteur e de diversité linguistique qui peut être rattachée, par exemple, à la construction d’une route ? Qui peut être attaché à la construction, par exemple, d’une université ? Je ne sais pas. Je n’ai pas vu cela. Les économistes font beaucoup de travaux. Par exemple aujourd’hui on va reconnaitre un certain nombre de valeurs à la langue. Parce que l’utilisation de la langue a facilité les échanges entre les acteurs. Il y a des études qui sont extrêmement pointues là-dessus. Derrière la diversité linguistique je perçois la multiplicité ethnique et aujourd’hui des études nous montrent que dans les sociétés où il y a une multiplicité ethnique et qu’il n’y a pas de gouvernance qui garantisse l’accès aux biens le consentement à payer l’impôt diminue, c’est-à-dire que les gens se disent que si je paie l’impôt, cet impôt va dans une caisse centralisée et le retour, en thermes de redistribution, en terme d’amélioration des conditions de vie, n’est pas toujours garanti. C’est pour cela que vous retrouvez cet argumentaire parmi les gens qui soutiennent la décentralisation. Parce que quand on décentralise, je paie mon impôt, je vois la personne qui est chargée de gérer mon impôt et cette personne me voit. Et à partir de là il y a une sorte de crise de confiance. Pare que quand un maire doit sortir tous les jours dans la ville de Dschang, avec tous les problèmes que la ville de Dschang connait, et qu’il doit affronter le regard de sa population… quand on cite les pays qui ont choisi une langue, par exemple le Mozambique, la Tanzanie, je ne sais pas si cela s’est accompagné d’un développement au sens où nous l’entendons. Je suis allé plusieurs fois dans ces pays. J’observe que c’est des pays qui connaissent énormément des problèmes. Ils n’ont pas l’eau. Ils n’ont pas l’électricité. Ils n’ont pas accès à l’école. Donc associez aussi les économistes à la réflexion.
Le Professeur Robert Fotsing Mangoua est Linguiste. Enseignant à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Dschang.
Dans le prolongement de l’intervention du professeur Avom, je voudrais montrer le lien, qui est un lien peut-être très ancien entre la langue et le développement. Permettez que je rappelle, mais je peux me tromper dans la reprise, une partie du livre de la Genèse, dans la Bible, qui n’a pas cessé de m’intriguer depuis que je l’ai lue et bien comprise c’est la partie qui explique la multiplicité des langues dans le monde. Je paraphrase : les hommes construisaient un tour qui devait aller jusqu’au ciel. Dieu dit voyons ce qu’ils font. Après avoir regardé ce chantier qui progressait. Premier acte de développement. C’est matériel et c’est concret. Dieu dit comme ils sont un seul peuple et ils parlent une même langue rien de ce qu’ils ont décidé de faire ne leur sera impossible. Brouillons leur langage. C’est pour ça que nous voyons les images de la construction de la Tour de Babel, c’est un chantier abandonné. Parce que les acteurs du chantier, sur les différents niveaux de l’échafaudage, ne se comprenaient plus. Et donc, ce premier acte de développement s’est trouvé bloqué du fait du brouillage de la langue. Mon intervention visait en fait à remercier le professeur Chumbow sur la possibilité, malgré la diversité linguistique et culturelle de mettre en route un processus de cohésion, de manière à ce qu’on aille vers un développement partagé. Je voulais noter que l’exposé était fluide, on voit bien les rôles des communautés, les ponts à construire entre les langues. Mais je voudrais dire que c’est une chose qui va être difficile. Parce que si Dieu lui-même a brouillé les efforts de ses créatures qu’il aimait beaucoup alors qu’en réalité il n’y avait aucun intérêt, puisque nous vivons dans un monde d’intérêts, il y a pas mal de gens qui auraient intérêt à ce que nous ne soyons pas un seul peuple et que nous ayons par conséquent une seule langue. Et ces gens-là ne se retrouvent pas seulement en dehors du peuple que nous sommes, c’est-à-dire les ex puissances coloniales et tous les pays partenaires qui ne fonctionnent que sur leurs intérêts, mais à l’intérieur aussi j’ai le sentiment que ce désir d’avoir une seule langue, malgré les vertus que nous puissions lui reconnaître, n’est pas quelque chose de partager par tous. J’en veux pour preuve le fait que moi j’étais élève du secondaire il y a pas ml d’années déjà, et j’apprenais une langue qui n’était pas la mienne à l’école. Une langue standardisée, écrite. I y a 30 ou 35 ans. On ne voit plus ce type d’initiative. C’était le Nufi qui n’est pas ma langue. Mais nous aimions cette langue-là. Nous l’apprenions et nous en étions contents. Peut-être qu’il y a des gens ici qui ont fait ces expériences. Imaginons que ces initiatives aient continué. Comment le système éducatif a cru qu’il va produire des gens qui ont le sentiment d’appartenance si à un moment donné on a arrêté d’enseigner les langues dans lesquelles ils … Donc moi je suis d’accord avec le prof, mais je veux dire c’est un chantier pour lequel il faut se secouer. C’est pour cela que, contrairement à certains, je pense que c’est des sujets sur lesquels le politique doit avoir une influence de taille. Même si, on l’a dit tout à l’heure, le culturel doit venir avant le politique. Il y a des postures dans lesquelles on peut le dire. Mais l’enjeu est tellement important que de mon point de vue, je ne vais pas dire qu’il faut imposer une langue, mais il faut qu’on aille vers un mécanisme par lequel ayant compris que c’est une affaire de survie collective, il faut bien qu’on enferme tous ces linguistes et on leur dit vous sortez d’ici avec trois langues qui vont être enseignées dans le Cameroun. Les linguistes là sous la conduite du professeur Chumbow et sous la menace de l’autorité qui est là enfermée dans cet amphi ils sortent un mois plus tard avec trois langues qu’on va commencer à enseigner, qui va s’enrichir au fil du temps. Je voudrais rappeler que la langue que je parle en ce moment c’était le dialecte lointain de l’empire romain. On a tantôt le roman, tantôt l’ancien français. C’est ça que je parle. Mais au XVIe siècle, un groupe d’écrivains de ne plus écrire dans la langue du colon, mais d’écrire dans sa propre langue. Ils ont même écrit un ouvrage intéressant : DEFENSE ET ILLUSTRATION DE LA LANGUE FRANÇAISE qui n’existait même pas dans le sens que nous la connaissons aujourd’hui. Et avec le temps elle s’est enrichie au point de devenir une langue de puissance dans la diplomatie mondiale, une langue de colonisation. Pour quoi nous ne pourrions pas emprunter les mêmes chemins. Pour que cela se fasse les acteurs qu’ils soient politiques, culturels, doivent se mettre au travail.
Augustin Roger MOMOKANA