Université de Dschang. Le cycle des Grandes Conférences 2019 a été inauguré mercredi 9 janvier, avec pour thème « Diversité linguistique et culturelle, dynamiques sociales et problématique du développement au Cameroun ».
A l’occasion la Faculté des Lettres et des Sciences humaines était la vedette, à à cause de la sortie de l’ouvrage « Les Grassfields du Cameroun, des fondements culturels au développement humain ».
Un sujet suffisamment important pour justifier la présence dans l’Amphi 1000 de plusieurs personnalités dont le Préfet de la Menoua, le Sous-préfet de Dschang, des hommes politiques et de nombreux chefs traditionnels.
Avant l’ouverture des hostilités, le Doyen Maurice Tsalefac prend la parole pour souhaiter la bienvenue aux invités et étudiants qui ont pris d’assaut le grand amphithéâtre. Puis remet le micro au modérateur.
Autour de la table, et sous le contrôle de Dr Alexandre T. Djimeli, un panel d’éminences grises moulées dans la linguistique : professeurs Anne Marie Ndongo Semengue, Beban Sammy Chumbo, Lilian Lem Atanga, Emmanuel Nforbi, Jean Romain Kouesso et Dr Zacharie Saha.
Cette grande conférence a été, également, le prétexte pour dédicacer l’ouvrage encyclopédique sur les peuples des grassfields du Cameroun.
« Il est en effet frappant de constater que la culture et les langues ne sont pas souvent au centre de la réflexion sur le développement et plus spécialement dans leur dimension plurielle, leur diversité. »
Zacharie Saha et Jean Romain Kouesso, co-auteurs de l’ouvrage édité par le CERDOTOLA, constatent la nécessité d’« établir un rapport sain et optimal entre la quête du développement, la culture et le patrimoine linguistique ». Il est question de mettre l’expertise africaine au service des choix de l’Afrique pour se construire.
Notre journal vous propose quelques moments phares de cette joute intellectuelle
Professeur Njoya, Vice-recteur, représentant du Recteur de l’Université de Dschang.
« Diversité linguistique et culturelle, dynamiques sociales et problématique du développement au Cameroun ».
Cette problématique présente une particularité en raison de son inscription dans l’aire du temps. Elle s’arrime parfaitement à la ligne politique du président Biya concrétisée dans le préambule de notre Constitution et à travers la mise en place des institutions de gestion des clivages linguistiques et culturelles. Le Professeur Chumbow l’a dit à travers un savant alliage entre la théorie et la pratique. Il s’agit de concilier l’un et le multiple par la mobilisation de la tolérance et du dialogue social. Je dirai, pour le pasticher, il s’agit de la construction d’un Etat consociatif. J’ai la profonde conviction que nous nous sommes tous ressourcés, que nous en avons appris davantage.
Je voudrais revenir sur la question relative à la dénomination Bamiléké. Pour dire que parfois c’est une image d’Epinal. Ce qu’il faut retenir des dénominations c’est que cela participe à la construction sociale, c’est-à-dire que c’est les acteurs sociaux qui construisent une réalité sociale et donne un nom à cette réalité sociale. Un nom quelconque ne nait pas ex nihilo, c’est une construction sociale, et cela est intrinsèquement lié à un rapport aux forces à une certaine période de l’histoire. Et lorsqu’on vous donne un nom et que vous l’acceptiez volontiers je ne peux pas imaginer qu’il puisse avoir un problème et qu’on nous dise que la dénomination bamiléké pose un problème, à partir du moment où les acteurs sociaux qui sont concernés ne rejettent pas une telle dénomination. Donc l’appellation, la dénomination est la résultante d’un rapport de force et d’une construction sociale de nos réalités par les acteurs.
Le problème de la diversité et de la multiplicité culturelle a été mis en rapport avec le développement. Mais la question préjudicielle que je peux me poser c’est de savoir si le nombre de langues ou de cultures conditionnent le développement. Pour qu’on s’évertue aujourd’hui à imaginer qu’on puisse créer une langue qui soit nationale.
Professeur Anne Marie Ndongo Semengue, Responsable Langues pour le développement au CERDOTALA, représentante du Professeur Charles Binam Bikoi, le Secrétaire Exécutif dudit organisme.
Qu’est-ce qui est fait sur le plan national pour la promotion des langues, notamment dans l’enseignement ?
Je vais vous répondre non pas pour le compte du CERDOTOLA mais en tant que Linguiste de nationalité camerounaise. Sur le plan national, ce qui est fait c’est que nous sommes dans le processus d’insertion des langues nationales dans le système éducatif. Les décrets, les textes de lois ont été publiés. Nous avons commencé par le secondaire où il y a 10 langues qui sont déjà enseignées dans dix lycées et au fur et à mesure on va agrandir. C’est que nous avons un problème d’enseignants. L’Ecole normale supérieure de Yaoundé a ouvert un département des langues et cultures africaines mais on n’a pas beaucoup d’enseignantes qui sortent. Parce qu’il y a une vingtaine par année. Donc on est encore en sous production. Mais nous pensons qu’avec le temps on va étendre le projet sur toutes les régions. Parce qu’à ce niveau là on parle de langues régionales. A l’école primaire nous avons proposé que l’enfant commence dans sa langue maternelle, et après on prend une langue régionale. Donc chaque région pourra avoir une langue de communication.
Le gouvernement camerounais a pris une certaine politique qui n’est pas celle que vous attendez. Sa politique c’est de promouvoir toutes les langues. Et dans notre constitution les langues locales ont reçu le statut de langues nationales. Ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. Nous sommes dans un grand chantier. Et des actions sont en cours. On est entrain, actuellement, d’expérimenter l’enseignement des langues camerounaises.
Professeur Beban Sammy Chumbow, président de l’Académie africaine des Langues (ACALAN), par ailleurs PCA de l’Université de Dschang.
Dans un cas comme le nôtre la diversité linguistique se trouve être un bien, c’est-à-dire une valeur ajoutée. Si nous voulons construire une nation plurielle, pluraliste, un pays uni dans la diversité nous devons d’abord reconnaître la valeur de la diversité et faire valoir cette valeur. Construire le pont d’entente entre les diverses communautés ethnolinguistiques qui constituent notre pays. C’est là où chacun de nous a une responsabilité avec un devoir de bien contribuer au projet du vivre ensemble. Nous avons dit que la cohésion doit être l’objet principal de chacun et que l’Etat a sa responsabilité dans la construction de la nation pluraliste. Nous citoyens nous avons également cette même responsabilité. Souvent nous pensons que c’est l’Etat qui doit agir. Nous avons indiqué qu’il y a lieu pour chaque camerounais de voire dans quelle mesure il doit connaitre l’autre. Le problème que nous avons maintenant c’est que chaque communauté ethnolinguistique a son identité propre. Et il y a l’identité nationale que nous devons construire. Et pour le construire nous devons être sensibles à la nécessité de bien connaître l’autre qui diffère de nous. L’autre qui diffère de moi apporte quelque chose de neuf, quelque chose qui s’ajoute à ma valeur. Quand je retrouve quelqu’un qui est différent, j’ai l’opportunité d’apprendre quelque chose en le connaissant. Nous insistons sur la tolérance. Mais elle ne peut réussir que si elle va avec la compréhension mutuelle. On vit ensemble quand on se connait. Donc nous devons faire un effort pour connaitre l’autre culture, connaitre l’autre personne pour que nous puissions vivre ensemble et éviter des situations où l’ignorance de l’autre peut créer un désagrément. Parce que l’ignorance de l’autre peut amener à un soupçon. Le soupçon peut amener à la peur de l’autre. La peur peut engendrer la tension. La tension nous amène vers le conflit. Et le conflit nous amène vers la guerre. Les guerres commencent toujours par cette situation de manque de compréhension, de manque de connaissance de l’autre. Et nos communautés ethnolinguistiques ont cette responsabilité de garder leur identité culturelle qui est une richesse, mais nous avons aussi la responsabilité de construire l’unité nationale à partir de nos identités personnelles avec cette ouverture, cette tradition de tolérance appuyée par la compréhension mutuelle, la connaissance de l’autre.
Professeur Jean Romain Kouesso, co-auteurs- avec Zacharie Saha- de l’ouvrage « Les Grassfields du Cameroun : les fondements culturels au développement humain ».
36 chapitres ont été retenus ? Pour un ouvrage à deux tomes. Avec pour tome 1 : Sur les fondements des Grassfieds préfacé par Jean Pierre Varnier. Et le deuxième tome : Culture Grassfieldiennes à l’épreuve du développement humain, préfacé par Baban Sammy Chumbow. En Avril 2017 nous étions à nous demander comment trouver un éditeur viable et fiable. Que soit béni ce jour du mois de juin 2017 où le professeur Charles Binam Bikoï me confia, dans son cabinet à Bastos, que notre projet était magnifique et que c’est pour cette raison qu’il s’engageait à prendre l’entière responsabilité de l’édition matérielle. Quelle fut ma surprise ! Quelle fut notre surprise : quelle fut notre étonnement ! Vous comprenez qu’en ce moment là je ne pouvais pas croire qu’un tel ouvrage quelqu’un puisse accepter, sans négociation, qu’il va prendre en charge l’édition. Et c’est dans ce processus-là que le professeur Charles Binam Bikoï nous convaincra quelques mois plus tard, de changer la structure de l’ouvrage et de faire des ajustements nécessaires. Et que l’ouvrage sera plutôt édité en un seul volume. Mesdames et messieurs, c’est ainsi qu’est sorti des éditions du CERDOTOLA l’ouvrage que vous avez eu à découvrir et que le professeur Lem vient de présenter.
A suivre: EXTRAIT DU DEBAT
Augustin Roger MOMOKANA