
Annoncé à plusieurs reprises puis reporté, la transmission du leadership au sein du Social democratic front (SDF) n’aura finalement pas lieu. En tout cas pas entre Ni John FRU NDI et son, successeur dont il était le seul à devoir connaitre le nom. Le Chairman a rendu l’âme.
« Au-delà de toutes sortes d’appréciations, l’histoire retiendra que le Chairman Ni John Fru Ndi aura notamment été l’énigmatique déclencheur de la nouvelle ère démocratique au Cameroun », hommage le sénateur émérite Étienne SONKIN à l’annonce du décès du président national du parti de la balance.
Né le 7 juillet 1941 à Baba II, le leader charismatique de l’opposition des années 90 à 2000 a cassé sa pipe. Ni John FRU NDI s’est éteint lundi 12 juin 2023 à Yaoundé des suites de maladie. Il était âgé de 82 ans.
Ni John FRU NDI est devenu la figure majeure de la scène politique camerounaise à l’occasion du lancement le 26 mai 1990 à Bamenda du Social democratic front qui très rapidement deviendra le principal parti de l’opposition au régime de Paul BIYA. John Fru Ndi a challengé Paul BIYA à la présidentielle en 1992, à celles de 2004 et 2011. A chaque fois, il a occupé le second rang parmi les candidats. Son slogan était « Power to the people ». Ainsi il s’est battu pour le changement qu’il n’obtiendra jamais parce que usé par le jeu politique et trahi par la concurrence.
3. Candidat régulier aux élections présidentielles de 1992, 2004 et 2011, il a fait rêver le peuple camerounais qui voyait en lui l'espoir du changement en 1992. pic.twitter.com/1qSyfsAE4j
— Ketch Arol (@arol_ketch) June 13, 2023
En 1992, à l’issue du scrutin présidentiel, Paul BIYA est réélu avec 39,9 % des suffrages, devant John FRU NDI qui réalise 35,9 %. Les résultats sont très contestés à travers le pays. À Bamenda, fief de Ni John FRU NDI et dans plusieurs autres localités du pays dont Douala et Yaoundé, de manifestations et d’incidents se multiplient pour « revendiquer la victoire du Chairman » alors que des voix s’élèvent pour pousser John FRU NDI à marcher sur Étoudi, il déclare : « Je ne marcherai pas sur les corps des camerounais pour m’installer à Étoudi ». Par la suite il est mis sous résidence surveillée à Bamenda.
Pour rappel, l’ouverture démocratique au Cameroun est consécutive à la politique d’ajustement structurelle imposée à l’État du Cameroun en 1988 par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire international. Elle impose la privatisation des sociétés du portefeuille de l’État avec toutes des répercussions inimaginables au plan de l’emploi, la réduction du train de vie de l’État, la réduction des salaires de 60%, la suppression de la bourse aux étudiants de l’Université de Yaoundé.
La mise en application de la PAS créé de nouveaux pauvres, suscite donc des mécontents et de nombreuses revendications populaires appuyées par une presse que l’on baptisera Sainte Trinité (Le Messager, Challenge Hebdo, La Nouvelle Expression) dont l’ouverture politique, la liberté d’association. Revendications qui se transforment dès les premières heures de 1990 en mouvement de contestation sous le sceau des « villes mortes ». Paul BIYA est obligé de lâché du lest en supprimant la loi « contre-subversive ». Paul BIYA ouvre, mais Paul BIYA trouve de nouvelles méthodes pour se maintenir au pouvoir : fraude électorale, création des commandements opérationnels sous le prétexte de restaurer la paix dans le pays.
Les élections municipales sont annoncées le 12 février 1991. Mais pour y arriver il doit y avoir une garanti de paix politique dans le pays. L’opposition politique demande la Conférence nationale souveraine, mais Paul BIYA propose et organise du 30 Octobre 1991 au 15 novembre 1991 la Conférence Tripartite. Elle réunit autour du premier Ministre SADOU HAYATOU le gouvernement, les partis politiques de l’opposition et la société civile. Il a pour objet d’élaborer l’avant-projet du Code électoral et l’accès des partis politique aux médias.
« Nous ne sommes pas venus à la tripartite pour claquer la porte, nous sommes venus pour négocier, avec un maximum d’honnêteté, d’ouverture et de souplesse, les termes d’un réel retour à la décrispation de la vie socio-politique » : Hamadou Moustapha, premier vice-président de l’UNDP, cité Fridolin Martial FOKOU dans son Mémoire de l’ENS Yaoundé 2012.
Alors que les travaux de la Tripartite se déroulent, SADOU HAYATOU retire la parole à Pierre Flambeau NGAYAP sous le prétexte qu’il a violé la règle de bonne conduite établi pour l’assise. Ce retrait suscite le courroux de John FRU NDI et Samuel EBOUA qui claquent la porte. La quarantaine de partis de l’opposition restés et le gouvernement vont signer le document dit déclaration de la Tripartite dont les conséquences sont la levée du mot d’ordre de villes mortes, la démilitarisation des bastions de l’opposition, la réhabilitation de certaines figures historiques du pays, entre autres.
Ni John Fru Ndi a joué un rôle significatif dans la lutte inachevée du peuple Camerounais pour la reprise du contrôle de son destin. Je salue la mémoire d’un leader singulier, charismatique et courageux. Puisse la terre de nos ancêtres lui être légère.
— Maurice Kamto (@KamtoOfficiel) June 13, 2023
Accusé de ne pas accepter de soutenir la candidature d’Adamou NDAM NJOYA pour la présidentielle de 2004, Ni John FRU NDI répondra sans ambages : « Je ne décharge pas les passagers dans le gros porteur pour les mettre dans le taxi. » C’était sa façon à lui de dire qu’il ne saurait être le principal opposant de Paul BIYA à reculer pour laisser à un autre de jouer le rôle. Avait-il raison ? A-t-il eu tort ?
Augustin Roger MOMOKANA