
Enseignant de formation et homme politique, Étienne SONKIN a été maire de la Commune Urbaine de Dschang (1996-2007) et sénateur (2013- 2018). A travers la réflexion que nous vous proposons, il nous édifie sur un pan capital de l’histoire politique de Dschang.
“Du tumultueux transfert de Dschang à Bafoussam du chef-lieu de l’ancien Département Bamiléké, à la création de l’Université de Dschang : l’offensive du maire Vougmo Fidèle.”
Lorsque le Cameroun Oriental accède à l’indépendance le 1er janvier 1960, l’actuelle Région de l’Ouest (y compris le Mungo et à l’exclusion du Département Bamoum plus tard devenu Département du Noun) était un grand territoire appelé Département Bamiléké.
Au mois de mai de la même année, Kwayeb Enoch (de regrettée mémoire) fut le tout premier Camerounais nommé Préfet de ce Département en remplacement d’un certain français du nom de Sacré-Saint.
En ce temps-là, les actuels Départements de l’Ouest s’appelaient plutôt Sous-préfectures et ne portaient que les noms des Arrondissements qui en sont les Chefs-lieux de nos jours. Exemples : Sous-préfecture de Dschang (pour le Département de la Menoua), Sous-préfecture de Bafang (pour le Département du Haut-Nkam), Sous-Préfecture de Bafoussam (pour la Mifi), etc. Ainsi qu’il l’a affirmé plus tard dans une interview accordée au Journal le Messager, édition N° 213 du 5 février 1991, c’est lui-même le Préfet Kwayeb Enoch cumulant le titre d’Inspecteur Fédéral à l’issue de la fédération le 1er octobre 1961 du Cameroun Oriental avec le Cameroun Occidental, qui avait initié la réorganisation du Département Bamiléké. Laquelle avait abouti par la suite à sa dénomination en « Province de l’Ouest » et à la transformation des Sous-préfectures sus-évoquées en Départements (Menoua, Mifi, Haut-Nkam, Ndé, Bamboutos). Dans le même sillage, c’est avant son départ suite à sa nomination en 1963 par le Président Ahmadou Ahidjo comme Ministre Délégué à la Présidence chargé de l’Administration Territoriale Fédérale, que Kwayeb Enoch a mis à exécution un décret pris en 1960 créant (discrètement ?) le Chef-lieu de la région Administrative de l’Ouest à Bafoussam (au détriment de Dschang).
A noter que la période de l’après-indépendance avait été particulièrement marquée dans cette Région par des troubles socio-politiques menés par les partisans de l’UPC (qualifiés de rebelles ou maquisards) qui disaient réclamer la vraie indépendance (sic).
Cette décision sensible (transfert du chef-lieu) prise dans un contexte tendu et envenimé par les troubles politiques sus-rappelés, tandis qu’elle était prétendument accueillie dans le calme et la paix par les populations, tel que rapporté en haut lieu par Kwayeb et les services de renseignements, était en réalité l’objet de vives récriminations notamment de la part du Maire Vougmo Fidèle, tout premier magistrat municipal à occuper ce poste à Dschang après l’indépendance. En s’amplifiant, ces récriminations vont créer un climat très délétère qui tendait presque vers un soulèvement populaire. Alerté de cette menace, le Président Ahidjo effectua aussitôt une visite spéciale dans la région en 1962 pour rassurer et pacifier. C’est à cette occasion que le Maire Vougmo prononça un discours historique longuement applaudi dénonçant ce transfert pour persuader le Chef de l’Etat qu’il avait été induit en erreur par ses collaborateurs dans la prise cette décision. Ce discours avait bel et bien retenu l’attention du Président Ahidjo et, à l’occasion du dîner offert par le maire Vougmo au nom de sa municipalité au Centre Climatique à cette occasion, le Chef de l’Etat lui fit savoir qu’il en avait pris bonne note et se réservait de d’en tirer les conséquences. Il y a lieu de relever pour le féliciter que sur l’échiquier politique de la Menoua de l’époque, il n’y a eu que le Maire Vougmo pour oser de manière aussi engagée là où tous les autres acteurs de la scène ont brillé par un silence qualifié de complice par une certaine opinion.
Entre temps, non content de l’audace et de la popularité de ce maire effronté par ailleurs militant de l’UPC, un procès sera ourdi à son encontre par les autorités administratives l’accusant de complicité avec les rebelles encore appelés terroristes. Très miraculeusement, le Tribunal Militaire de Dschang qui l’avait jugé, malgré le caractère réputé répressif de cette juridiction exceptionnelle et le contexte, l’avait acquitté purement et simplement. Courroucé par cet acquittement aux allures d’un cinglant désaveu et la liesse populaire très manifeste qui s’en était suivie, Kwayeb fit placer le Maire Vougmo en résidence surveillée à la Maison d’arrêt de Lomié, le destituant ainsi tacitement de ses fonctions.
Cependant, bien plus tard, fidèle à sa promesse de réparer le tort qu’il avait commis en dépossédant Dschang de son statut de Chef-lieu de Région, en 1976, le Président Ahidjo insérera Dschang dans la short list des quatre villes du pays appelées à abriter chacune un Centre Universitaire au titre de la déconcentration de l’Université de Yaoundé qui été l’unique en son genre dans tout le pays. Les quatre villes concernées étaient : Buéa, Douala, Ngaoundéré et Dschang. Une remarque particulière qui transparait sur cette décision présidentielle et qui corrobore la thèse de la réparation du préjudice causé à Dschang, est que toutes les autres villes bénéficiaires (Buéa, Douala et Ngaoundéré) étaient des Chefs-lieux de provinces, excepté Dschang dont l’exception illustrait fort évidemment l’engagement du Président Ahidjo à honorer sa subtile promesse.
C’est fort de tout ce qui précède qu’en 1976, à la faveur de la réforme universitaire, le Président Biya transformera le Centre Universitaire de Dschang en université de plein droit.
Etienne SONKIN
Maire de Dschang (1996-2007)
Sénateur (2013-2018)
Annexes : quelques extraits de documents de référence
Sources : Mémoires de Fomi Albert-Claude (ancien Directeur du Budget, ancien Secrétaire Général du Conseil Economique et Social), mémoires académiques de certains étudiants, archives du Maire Vougmo, témoignages de quelques patriarches.